Le Vivant d’Anna Starobinets

Après un recueil de nouvelles horrifiques, Je suis la reine, Anna Starobinets nous revient avec un roman dystopique, presque aussi inquiétant qu’un bon film d’horreur. Il ne s’agit pas ici de nuire à l’intégrité physique de la personne, mais de la modeler, de la formater dès la « naissance » afin de faire advenir la société idéale. Manipulations psychologiques. Même si « naissance » n’est pas le mot qui convient exactement, en disant réincarnation en soi-même, on serait plus près de la réalité.

C’est que l’humanité atteint le point de stabilité ultime : trois milliards d’individus composent le Vivant, pas un de plus. A soixante ans, chacun est mis en pause pour Cinq Secondes de Ténèbres, et c’est reparti pour un tour depuis la case départ. Chaque être humain est une part du Vivant, de l’harmonie. Chacun a sa place. Si quelqu’un dévie, on ne l’emprisonne pas, on le place en maison de Correction.

Pas de mort, pas de prison : on comprend peu à peu que les mots, une fois encore, jouent un rôle important dans l’instauration d’un régime totalitaire qui dit vouloir le bien des populations. On persuade à force de discours et de manipulations linguistiques (« La mort n’existe pas » est désormais l’équivalent d’un « bonjour ») que l’oppression est liberté. Il y en a pourtant un qui va être plus difficilement manipulable que les autres : c’est Zéro. Celui-ci est né sans incode, pas de numéro, il ne semble être la réincarnation de personne. De fait, il ne sera pas lié au Socio, ce réseau social qui relie tous les hommes entre eux sans qu’ils puissent se déconnecter au-delà de quarante minutes.

Ce Zéro fait figure d’agitateur. Il va condenser les mécontents. Rencontrer Cracker, le fondateur du Socio, qui va l’aider à disparaitre. Une vie est-elle possible en dehors du Vivant ? L’homme est-il effectivement un animal social ne pouvant vivre qu’en colonie hiérarchisée à l’image des termites ou des abeilles ?

On retrouve dans Le Vivant bien des éléments propres au genre dystopique. Ce qui en fait son originalité, c’est son mode de narration tout à fait particulier, qui demande au lecteur une certaine attention. Le contexte n’est pas défini, les personnage pas caractérisés, la chronologie elle-même est complexe. Les voix narratives varient, voire même l’identité des narrateurs. A charge pour le lecteur de suivre l’évolution de chacun.

C’est cette complexité qui fait tout l’intérêt du roman, qui présente quelques longueurs. La narration est stimulante, elle porte de façon très inventive les retournements de situation et autres révélations. La critique de notre monde hyper connecté, devenu un trope en matière de dystopie, se fait donc de manière originale. Encore une bonne pêche chez Mirobole.

Anna Starobinets sur Tête de lecture

Le Vivant (Живущий, 2011), Anna Starobinets traduite du russe par Raphaëlle Pache, Mirobole, mai 2015, 474 pages, 22€

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