Écrivain n’est pas un métier facile. En plus de l’angoisse de la page blanche, de la panne d’inspiration, des séances de dédicaces ou de conférences en présence de cinq personnes, il faut gérer les admirateurs. Et ce qui devrait être une joie, voire une fierté, peut devenir un vrai cauchemar.
Langer, Adam Langer apprend-on à la toute fin du roman, est un ex-journaliste littéraire et écrivain en perdition, c’est-à-dire homme au foyer : il s’occupe de ses deux petites filles pendant que sa femme essaie de trouver un poste en fac. Un roman autobiographique laborieusement publié l’a asséché et fâché avec sa mère. Lui l’enfant né de père inconnu n’a plus rien à dire après avoir écrit sur ses neuf pères putatifs.
Voilà que Langer rencontre Conner Joyce, écrivain de polars qu’il a jadis vaguement connu et dont l’oeuvre végète après un premier succès : il n’a pas su se renouveler. Conner traite Langer comme un ami de longue date et décide de lui raconter sa vie. Ou plus exactement ce qu’il lui arrive depuis qu’il a rencontré un certain Dex Dunford, riche excentrique qui collectionne les manuscrits d’écrivains. Pas n’importe quels manuscrits puisqu’il s’agit d’inédits, et pas n’importe quels écrivains puisque tous vivent ou ont vécu en ermites : Jerome Salinger, Harper Lee, Thomas Pynchon, Jaroslaw Dudek…
Et voilà qu’en mélangeant personnages réels et inventés, événements avérés et fiction, détails précis et trouvailles vraisemblables, Adam Langer (écrivain et narrateur…) emberlificote le lecteur qui ne sait plus ce qu’il en est. D’autant plus qu’un roman s’écrit dans la fiction, et que les niveaux de narration s’embrouillent sérieusement. Et sciemment bien entendu car l’auteur ne perd jamais les fils de ses histoires. Un écrivain qui écrit sur un écrivain qui écrit sur un écrivain…
Avec Les Voleurs de Manhattan, Adam Langer avait déjà prouvé son goût pour les romans « book inside« , ces romans qui parlent de romans, d’écrivains, et d’écriture. Ainsi que du monde de l’édition. Car à travers le difficile statut social de Langer et de Conner, il est largement question de la crise de l’édition aux Etats-Unis : des lecteurs toujours moins nombreux, des librairies qui ferment, des éditeurs qui cherchent et couvent la poule aux oeufs d’or et laissent tomber les autres. Seule la littérature pour adolescents et jeunes adultes se porte bien. Rien de bien nouveau, il se passe exactement la même chose chez nous. Et les pauvres auteurs au talent incompris méprisent et ridiculisent ceux qui gagnent de l’argent et vivent de leur plume. Ainsi Adam Langer dresse-t-il un portrait ridicule et désolant (pour lui) de l’auteur jeunesse qui cartonne et fait vivre sa maison d’édition. Rien de bien nouveau, il se passe exactement la même chose chez nous…
Le tout non sur un mode dépressif mais en utilisant et abusant parfois des codes du page turner : chapitres courts se terminant sur un suspens, personnages ou action abandonnés pour passer à autre chose et faire mariner le lecteur, accélération de l’action sur la fin. Hormis le narrateur et Conner, les différents personnages fonctionnent sur des archétypes. Le contrat Salinger se lit d’une traite, si ce n’est quelques bizarreries de traduction ici et là qui viennent agacer l’oreille (la fille de Langer mange-t-elle vraiment des « ours en gelée » ? S’est-il vu proposer « deux millions d’euros » par une éditrice ?).
Faux thriller inquiétant, Le contrat Salinger conjugue les codes du genre à ceux du rocambolesque, fragilisant la crédibilité de l’intrigue. C’est léger, un peu répétitif et au final divertissant.
Adam Langer sur Tête de lecture
Le contrat Salinger
Adam Langer traduit de l’anglais par Émilie Didier
Super 8 Éditions, 2015
ISBN : 978-2-37056-029-2 – 311 pages – 20 €
The Salinger Contract, parution aux Etats-Unis : 2013
J’aime beaucoup l’exemple des ours en gelée, ça donne en effet l’impression que c’est un livre divertissant 😉
J’essayais de visualiser la pauvre gosse en train de manger de l’ours en gelée, et c’était drôle en effet !
Ce livre aurait pu me tenter… mais à te lire, je crains quand même un peu les poncifs…
Il utilise pas mal certains clichés et en utilise d’autres de façon un peu appuyée. C’est divertissant, on passe un bon moment surtout quand on s’intéresse un peu aux cuisines de l’écriture, à l’édition…
Bah, son premier m’avait valu des heures de bonne lecture, alors, pourquoi pas?
Celui-là me semble en effet dans la même veie et donc de nature à te faire à nouveau passer de bonnes heures…
Je l’ai trouvé vraiment original, et divertissant, mais au final un peu trop léger à mon goût…au vu de l’idée de départ, j’aurais aimé lire un livre un peu plus profond et bétonné…mais on passe un bon moment de lecture.
Oui, je suis tout à fait d’accord : c’est bien mené mais on attend quand même quelque chose de plus profond. Ce qui est dit du monde de l’édition l’était déjà dans le précédent et c’est d’autant moins original que ça se passe partout pareil. Et il peut en faire trop, notamment dans le portrait débile qu’il fait de l’auteur jeunesse qui vend beaucoup de livres. On sent l’écrivain frustré et jaloux qui ne se remet pas du succès d’autrui et opte donc pour la caricature et le dénigrement : c’est puéril.
j’ai passé un bon moment avec ce livre, page turner en effet!
Je chipote en peu, mais pour moi, c’est un peu trop systématiquement page turner, comme à la fin d’un épisode de série télé : il fois qu’on soit au chapitre/épisode suivant. Je crois que la logique scénaristique l’emporte chez certains auteurs qui utilisent les ficelles d’un support pour un autre. Ça peut fonctionner, mais à petites doses, en tout cas pour moi.
Pourquoi pas ? A tenter en bibliothèque, au cas où je serais déçue ou n’accrocherais pas…
Je crois que c’est un livre auquel on accroche facilement, tout est fait pour ça. Après, il n’est pas certain qu’il marque durablement.
J’avais assez aimé Les voleurs de Manhattan, bien que je n’en ai plus qu’un vague souvenir… Pourquoi pas, mais de préférence à la bibliothèque ! 😉
Je ne me souvenais plus non plus précisément de l’intrigue du précédent, si ce n’est qu’il s’agissait du monde de l’édition et que ça m’avait plu. Heureusement que nos blogs sont là pour palier les déficiences de notre mémoire…
Première fois que j’en entends parler. Mais pourquoi pas ?
Je croyais pourtant qu’on en avait pas mal parlé sur la blogosphère. En tout cas, les éditions Super 8 sont à surveiller de près.
ça doit être efficace quand on est en panne de lecture! Je note.
Ah oui ça tout à fait : les pages se tournent toutes seules !
Si je comprends bien un plaisir mitigé, malgré le sujet qui semble lui t’intéresser. Comme je n’assure pas avec des livres qui ont soulevé l’enthousiasme de la blogosphère , je vais laisser celui-ci sur les rayons de ma médiathèque.
Je crois que je suis mitigée parce que finalement, c’est trop banal pour un tel sujet. C’est bien, j’ai apprécié ce que j’ai lu, mais j’ai l’impression d’un gros potentiel qui n’est pas totalement exploité…
Il me fait de plus en plus envie.
Laisse-toi tenter !
On lit des avis mitigés dans les commentaires, cependant, je vais le noter dans ma wish list. J’ai un faible pour les livres qui parlent de livres. D’ailleurs je découvre l’appellation Book inside et j’aime bien, vient-elle de toi ?
Oui, c’est un mot que j’ai inventé il y a quelques années à l’occasion d’un swap que j’ai organisé et qui tournait autour de ces livres avec des livres et des écrivains dedans.
Est-ce que cela t’embêterait si je le reprends pour une catégorie de mon blog ?
Attends, je vais demander à monsieur Alphabet s’il veut bien qu’on se serve de ses lettres pour inventer des mots 😀 Mais bien sûr que tu peux : les mots circulent et sont vivants !
🙂 Cool !