
En 1927, William Castle (1914 – 1977) a treize ans. Pendant deux semaines de suite, tous les soirs, il va voir la pièce Dracula avec Bela Lugosi. Puis il ose un soir aller voir l’acteur dans sa loge, qui lui propose de regarder le lendemain la pièce depuis les coulisses. Deux ans plus tard, Lugosi le veut comme régisseur assistant. Son chemin est dès lors tracé : « foutre une trouille bleue au public« .
Et pour ça, il commence ses suggestions : pourquoi ne pas placer un cercueil devant le théâtre pour attirer le spectateur et faire apparaître/disparaître Lugosi dans un nuage de fumée pendant le spectacle ? Il a, dès quinze ans, tout compris à la publicité et à la mise en scène.
Pendant la Grande Dépression, il mange les pissenlits par la racine ne trouvant pas de boulot, finit même par travailler dans un grand magasin où, en tant qu’acteur, il incarne un personnage de comptine… Parce qu’avant d’être réalisateur et producteur, William Castle a été comédien.
En 1939, il reprend le théâtre d’Orson Welles dans le Connecticut alors que celui-ci part à Hollywood tourner Citizen Kane. La situation internationale lui permet de lancer une campagne publicitaire autour de son actrice allemande Ellen Schwanneke : elle devient « celle qui a dit non à Hitler » en ne répondant pas à son invitation de retour au pays natal. Pour parfaire le lancement, il n’hésite pas à profiter des menaces des sympathisants nazis en Amérique : il saccage lui-même l’extérieur du théâtre pendant la nuit, y peint des croix gammées. Le retentissement est énorme : Castle et Schwanneke sont ceux qui tiennent tête aux nazis, qui jouent malgré les menaces ! Castle est aussi celui qui n’hésite pas à mentir pour parvenir à ses fins. Et le baratin va lui réussir : c’est au culot qu’il va réussir à se faire un nom.
Il arrive à Hollywood le 20 septembre 1939 et bientôt à la Columbia dans le bureau de Harry Cohn, grand producteur. En décembre 1939, il est engagé comme répétiteur par un autre producteur, George Stevens sur le tournage du film La Chanson du passé. Il a sollicité ce poste mais ne sait pas du tout en quoi il consiste. Il fait ses classes pendant trois ans, désespérant qu’on lui confie un film à réaliser. Quand le scénario arrive enfin, il est mauvais mais ne peut en changer une virgule. A mauvais scénario, mauvais film. Les critiques sont impitoyables : La Chance d’une vie est « sans doute le pire film de l’histoire du cinéma« .
Il enchaîne avec Le Siffleur qui récolte de très bonnes critiques puis L’étrange mariage en 1944 (dont il écrit le scénario) avec Robert Mitchum dans un de ses premiers rôles. Il est aussi sollicité pour monter des pièces à Broadway. Il se fait piquer la paternité du scénario de La Dame de Shanghai par Orson Welles et en raconte le tournage chaotique sur le bateau d’Errol Flynn au Mexique.
En 1949, il quitte son exigeant patron à la Columbia, Harry Cohn, pour la Universal-International et William Goetz. Il y tourne plusieurs films qui ne l’intéressent guère. Il propose une adaptation de De la Terre à la Lune en relief, les spectateurs devant porter des lunettes pour voir les objets leur tomber dessus : refusée. Retour chez Columbia où il tourne un film par mois.
Qu’il soit metteur en scène ou réalisateur, il ne perd pas de vue son objectif : faire peur. Et ses gimmicks qui fonctionnent si bien au théâtre, Castle a envie de les essayer au cinéma.
En 1955, quand Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot sort aux États-Unis, Castle s’étonne de voir qu’autant de jeunes gens vont voir ce film : ils y vont pour avoir peur. La propre femme de Castle veut d’ailleurs quitter la salle pendant la projection.
« Tu as déjà vu quelque chose comme ce qui s’est passé ce soir ? Ces gamins voulaient avoir peur… Ils ont adoré ! Ils n’ont sans doute jamais vu de vrai film d’horreur. Ça fait dix ans ou plus qu’il n’y en a plus, depuis Lorre, Lugosi ou Karloff. »
Il veut réaliser des films d’horreur et se met à lire pour trouver une histoire encore plus terrifiante que Les Diaboliques. Il tombe sur La Forêt de marbre. Castle hypothèque sa propre maison pour devenir pour la première fois producteur. Et il contracte auprès de la Lloyd’s of London une assurance sur la mort de peur pendant le film : au cas où un spectateur mourrait de peur pendant la projection, le bénéficiaire de l’assurance recevrait mille dollars. Certains soirs, il fait venir un corbillard à l’entrée du cinéma, d’autres, des infirmières et une ambulance. Le film bat des records d’entrées : ce film à 90 000$ en rapporte 5 000 000.
Le distributeur demande d’autres films avec de tels gimmicks. Ce sera le coup du squelette qui sort de l’écran dans La Nuit de tous les mystères avec Vincent Price. Les jeunes adorent, font la queue des heures pour une place.
Domaine public, Lien
Pour Le Désosseur de cadavres, les exploitants de salles en veulent toujours plus : il électrocute le spectateur à partir d’un système électrique caché dans le fauteuil, qu’il faut faire poser dans tous les cinémas du pays jouant le film. Pour Homicide, le film s’arrête deux minutes avant la fin (c’est le Fright Break) et la voix de Castle propose le remboursement intégral à celui qui ne serait pas assez courageux pour voir la fin : il bâtit la campagne de pub sur « satisfait ou remboursé ». Le succès est croissant, les fans clubs se multiplient.
Castle voudrait arrêter le gimmick mais producteurs et diffuseurs lui en demandent, ainsi que les spectateurs. Il tourne La Meurtrière diabolique avec Joan Crawford qui joue une folle meurtrière décapitant sa famille et renonce au gimmick, la notoriété de l’actrice suffisant à la publicité du film. Une tournée très onéreuse est organisée avec elle : gros succès, le public se déplace en masse. Et William Castle distribue des haches en carton imprégnées de faux sang… Mais il a prouvé qu’il pouvait faire un grand film (c’est-à-dire un film rentable) sans gimmick.
Il s’essaie à la comédie avec succès, mais le cinéma est alors en train de pâtir du succès de la télévision. La notoriété de Castle commence à décliner quand on lui propose les droits d’un roman qu’il trouve tout de suite formidable : Rosemary’s Baby de Ira Levin. Il veut en être le producteur et le réalisateur. La première rencontre avec le jeune réalisateur pressenti par les studios pour le film est électrique :
La première fois que je rencontrai Roman Polanski, je le pris en grippe immédiatement. C’était un homme petit, trapu, habillé dans le style Carnaby Street de l’époque. Il avait l’air sûr de lui et vaniteux, et n’arrêtait pas de se regarder dans le miroir de mon bureau. J’avais décidé qu’il ne tournerait pas Rosemary’s Baby. Je lui demandai de s’asseoir, mais il refusa. Il me regarda avec insolence, les jambes écartées. Il était inutile d’essayer de discuter avec lui. Je décidais que notre entrevue serait brève et que j’allais me débarrasser de lui.
Polanski travaille méticuleusement et rend Castle complètement fou. Il parle de « nouvelle vague » du cinéma, veut que les sorcières soient entièrement nues, qu’on entende distinctement le mot « merde ». A la sortie du film, Castle reçoit des lettres de menaces : « Salaud ! Partisan de la sorcellerie. Adorateur du Sanctuaire du Satanisme… » Puis il tombe malade, multipliant les calculs rénaux. Le compositeur de la musique du film fait une chute et meurt : Castle, dans son délire, est persuadé que les sorcières du film accomplissent leurs menaces. Puis Sharon Tate est assassinée.
Rosemary’s Baby sort en 1968, Night of the Living Dead aussi et bientôt L’Exorciste et Les Dents de la mer : le public encore et toujours veut avoir peur, il est prêt à payer pour ça.
William Castle a accompagné l’émergence du cinéma d’horreur, né du fantastique. Toujours plus loin pour faire peur, faire peur en se faisant plaisir, glacer les sangs pour mieux se sentir vivant en sortant de la séance. Ses gimmicks ont franchi bien des fois les limites du bon goût, mais l’humour prévalait. Ce même humour qui préside à l’écriture de ces mémoires qui nous permettent de pénétrer dans les coulisses des films, de sentir l’odeur de cuisine et de contrats qu’on espère toujours juteux. Alchimiste c’est ce qu’il fut : il sut transformer des films à petit budget en standards du box office grâce à ses gimmicks. Le grand malheur étant bien sûr que nous ne puissions pas en bénéficier aujourd’hui…
Comment j’ai terrifié l’Amérique : 40 ans de séries B à Hollywood (Step Right Up !, 1976), William Castle traduit de l’anglais (américain) par Pauline Soulat, Capricci, mai 2015, 311 pages, 20€