En 1942, quand Josef Bor est interné au camp modèle de Terezin, il y a déjà là un grand nombre d’artistes. Parmi eux, le chef d’orchestre et compositeur Raphael Schächter. Qui décide de monter dans le camp le Requiem de Verdi. Une oeuvre énorme par son ampleur, le nombre de musiciens et de choristes qu’elle nécessite. Mais rien ne saurait entamer la détermination de Schächter : ce requiem deviendra le requiem de Terezin, le témoignage de la volonté des victimes à ne pas s’avouer vaincues, même au seuil de la mort.
Schächter travaille d’abord à trouver ses choristes et quatre solistes. Chaque fois qu’il pense avoir trouvé la perle rare, celle-ci lui est enlevée. Car il doit faire avec les convois qui sans cesse partent pour Auschwitz et emportent ses chanteurs. On lui a bien promis qu’on ne s’en prendrait pas aux musiciens, qu’ils ne monteraient pas dans les trains. Mais c’est le mari de l’une qui part et les enfants de l’autre. Alors ils partent aussi, avec leurs familles, laissant Schächter à sa colère. Il est tellement obnubilé par son projet qu’il ne pense plus qu’à ça, traitant de lâches ceux qui choisissent de partir, de l’abandonner, pense-t-il…
Il m’ont trahi, tous m’ont trahi. Pourquoi n’ont-ils pas accepté de laisser leurs familles partir sans eux, pourquoi avoir voulu absolument les suivre ? Les gens perdent complètement la raison, pensa-t-il, dès que les liens du sang les retiennent ». Tous les arguments qu’il avait essayé de leur faire comprendre, tous les reproches même qu’il leur avait adressés étaient restés vains. Ils ne l’avaient pas laissé parler, ils ne l’avaient même pas écouté. Il se sentit trompé, son cœur était irrémédiablement bouleversé, son œuvre resterait inachevée.
Déjà symbolique par le choix d’un requiem, la représentation acquiert une dimension quasi sacrée quand il s’agit de la donner face à des dirigeants nazis. Et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit d’Eichmann lui-même. Josef Bor ne dit pas quelle fut sa place dans cette représentation, s’il en fut le spectateur ou non. Mais il était à Terezin pour avoir participé en 1942 à l’Opération Anthropoid, cet attentat de la résistance tchécoslovaque contre Reinhard Heydrich qui y laissa la vie (et que raconte si bien Laurent Binet dans HHhH). Broyé par le système nazi, il est arrêté et déporté à Terezin, avec d’autres qui comme lui luttent jusqu’au bout et seront envoyés à Auschwitz. Il en sortira vivant, mais pas Raphael Schächter ni de très nombreux autres qui monteront dans les trains malgré les promesses et malgré leur talent.
Requiem aeternam dona eis, Domine, et lux perpetua luceat eis.
Donne- leur, Seigneur, le repos éternel, et que la lumière brille à jamais sur eux.
Des Juifs chantant un requiem catholique, il y avait de quoi faire rire dirigeants et officiers. Mais qu’il s’appelle Dieu ou Yahvé, il s’agit de clamer que la mort n’est pas une fin et que l’art est plus fort que la terreur. Et que toute l’humanité souffre avec les Juifs de Terezin.
Les artistes enfermés dans ce camp ont lutté contre la barbarie avec leurs moyens, qui se sont révélés dans les faits inefficaces puisqu’ils sont tous morts. Contre la force brute et la haine il n’y a à l’évidence rien à faire. Si ce n’est garder la tête haute. Et témoigner, à l’image de nombreux écrivains qui aujourd’hui s’emparent de Terezin pour signifier que pour quelques jours, quelques heures, le Beau peut jaillir du désespoir et que mourir debout et fier vaut toujours mieux que ramper devant les bourreaux.
Le requiem de Terezin
Josef Bor traduit du tchèque par Zdenka et Raymond Datheil
Le Sonneur, 2015
ISBN : 978-2-916136-01-1 – 128 pages – 15 €
Terezinské rekviem, première parution : 1963
Encore un roman sur Terezin, quelle source d’inspiration ! Je le note puisqu’il est particulièrement question d’artistes musiciens !
Il me reste le Choplin à lire, tout bientôt 😉
j’allais justement te demander si tu avais lu le Choplin !
Tu en parles décidément beaucoup mieux que moi! C’est le premier roman que je lis sur Terezin et le traitement choisi est fort surprenant mais, après coup, fort intéressant. Je n’ai apprécié le début qu’après avoir lu la fin, chose étrange entre toutes!
Le point de vue de l’auteur est déconcertant. On imagine ce qu’il a pu vivre d’horrible dans les trois camps où il a été successivement emprisonné, et lui pourtant choisit de parler de musique et d’art. En 1963, il y avait déjà eu des témoignages et je pense qu’il n’a pas voulu en ajouter un de plus. Il a voulu témoigner d’une autre dimension, celle d’une résistance par l’art et la création. Ce qui ne fait d’ailleurs pas des musiciens des êtres meilleurs que les autres, comme on le voit bien à travers l’égoïste Schächter, assez déconcertant.
J’ai apprécié ton billet : j’aime bien quand on s’interroge sur une lecture 😉
j’avais décidé de dire non à toutes les sollicitations et puis finalement ça fait deux fois aujourd’hui que je me dis celui-là je veux le lire .. oh là là que je suis faible devant les livres.
Chacun ses péchés, celui-là est bon pour la santé et tout le reste 😉
Rien d’étonnant à ce que Terezin soit une source d’inspiration pour de nombreux auteurs. Un camp de la mort utilisé par les nazis pour prouver au monde entier qu’ils « traitaient bien les juifs ». Je n’ai jamais lu de romans sur ce sujet et celui-ci semble intéressant mais j’adore Antoine Choplin alors mon coeur balance pour commencer avec le sujet.
Tu peux les lire tous 🙂
Il pourrait bien me plaire celui-ci !
J’ai beaucoup aimé Lever de rideau sur Terezin de Christophe Lambert et je viens de lire Une forêt d’arbres creux d’Antoine Choplin que j’ai tout simplement adoré.
En matière de roman, je te conseille donc le Morten Brask qui est très bien.
La musique et l’art au coeur d’un camp, voilà qui est assez déroutant pour donner envie de s’intéresser à ce livre. J’imagine qu’on n’en sort pas indemne malgré tout. Ça doit être une sacrée expérience de lecture.
Ce texte-là ne joue pas sur les émotions. Il peut sembler assez froid, descriptif, car il suggère plus qu’il n’étale les horreurs vécues. C’est ce qui en fait sa force à mes yeux, sa sobriété.
C’est certain que je le lirai !!
Je ne doute pas que tu seras sensible à cette écriture.
Un très beau message.
Pessimiste mais très fort.