Le Chinois d’Henning Mankell débute en Suède, se poursuit en Chine puis aux États-Unis avant un détour par le Zimbabwe et le Mozambique. Et l’ampleur de ce roman n’est pas que géographique puisqu’il s’étend de 1863 à 2006.
C’est en janvier 2006 qu’a lieu l’incroyable tuerie de Hesjövallen : dix-neuf morts. Quasi tous les habitants de ce petit village sauf trois. Les victimes sont toutes de très vieilles personnes (sauf un enfant) unies par des liens familiaux plus ou moins lointains. Ils ont été massacrés à l’arme blanche. Du jamais vu. Vivi Sundberg est chargée de l’enquête. C’est donc elle qui reçoit la visite de la juge Birgitta Roslin, en qualité de proche des victimes : la mère de Birgitta a jadis été adoptée par un des couples assassinés.
Birgitta ne connaissait pas ces gens et c’est plus par curiosité qu’elle ressort quelques papiers de famille ; puis s’intéresse de plus en plus à l’affaire qu’elle devine très complexe. Un homme est bientôt arrêté : il a avoué les meurtres. Mais Birgitta est persuadée que la police fait fausse route car elle a trouvé une piste grâce à des papiers de famille et à un ruban rouge ramassé sur les lieux de la tuerie. Pour elle, il faut suivre la piste chinoise, celle d’un mystérieux Asiatique hébergé la veille non loin de là et client d’un restaurant chinois dont un des lustres compte un ruban rouge de moins.
L’enquête s’avère complexe, mais la deuxième partie abandonne Birgitta pour se concentrer sur trois frères Wang qui en 1863 quittent leur misérable province pour trouver du travail à Canton. Où l’un est tué et les deux autres enlevés et jetés dans un bateau pour les États-Unis. Ils seront acheminés vers le Nevada où ils deviendront esclaves pour construire le chemin de fer. Sous les ordres de J.J. (Anders, sait-on grâce aux recherches familiales de Birgitta), ils manient la nitroglycérine pour frayer un chemin à travers la Sierra Nevada. Ils sont exploités et humiliés. Ce n’est qu’en 1867 qu’ils rejoignent New York et de là Liverpool pour retourner en Chine. San se fera contremaitre de deux Suédois qui ont pour mission d’évangéliser les Chinois. Ils parlent d’égalité entre les hommes, San a confiance mais sera trahi.
La suite réserve bien des développements inattendus. Sur les traces de Ya Ru, descendant de San, le lecteur comprend peu à peu la vengeance à l’oeuvre dans la tuerie de Hesjövallen. Mais l’argument romanesque semble n’être qu’un prétexte pour Henning Mankell qui se livre à une véritable analyse de la situation économique et surtout idéologique de la Chine. Qu’en est-il de ces valeurs pour lesquelles les Chinois ont tant subi et se sont tant privés. Aujourd’hui que le pays est devenu une grande puissance économique, qu’en est-il des paysans et des plus pauvres, du partage des richesses ? Ya Ru est l’homme d’affaire corrompu, celui qui s’est enrichi à force de pots de vin et autres malversations et profite au soleil de sa richesse, un pied dans chaque pays. Sa soeur Hong Qiu est restée fidèle à ses idéaux et ne veut pas que la Chine devienne une puissance coloniale ; elle cultive et travaille à un idéal de solidarité.
Le monde changeait, il était normal que la Chine s’adapte à son nouvel environnement. Ce que Hong, parmi beaucoup d’autres, remettait en question, c’était la possibilité de concilier les fondamentaux du socialisme avec une économie laissant de plus en plus de place aux lois du marché. N’y avait-il aucune alternative ? Elle ne pouvait s’y résoudre. Un pays puissant comme la Chine n’était pas forcé de vendre son âme dans une course effrénée pour trouver du pétrole, des matières premières et des débouchés pour son industrie. Il lui incombait au contraire de prouver au monde que l’impérialisme brutal et le colonialisme n’étaient pas des passages obligés dans le développement d’un pays.
L’innocente Birgitta va se retrouver en Chine, observée, manipulée par de bien plus puissants qu’elle. Et le lecteur embringué dans une intrigue qui dépasse de loin son point de départ. Les deux premières parties sont captivantes entre la tuerie et les Chinois esclaves aux États-Unis. Même si aujourd’hui de plus en plus de romans d’auteurs issus de l’immigration sont publiés, certaines nationalités sont largement laissées pour compte, en tout cas pour ce qui est des traductions en français. Des auteurs américains d’origine irlandaise, italienne, polonaise et même japonaise (Julie Otsuka) écrivent sur leurs ancêtres migrants mais très peu de Chinois. Leur exploitation est pourtant aujourd’hui bien documentée historiquement. Il faut donc qu’un Suédois se penche sur le sujet pour qu’il apparaisse au coeur d’un roman.
Qui prend ensuite une dimension inattendue, moins passionnante à mes yeux et moins crédible. L’intrigue policière n’est que prétexte à l’exposition des principes du néo-colonialisme à la chinoise, de l’expansion du pays qui exporte ses pauvres jusqu’en Afrique. Intéressant certes mais déstabilisant si on attend des explications détaillées sur la tuerie initiale. D’autant plus qu’on comprend rapidement les liens entre passé et présent : le suspens n’est à l’évidence pas le souci premier du romancier. Le Chinois d’Henning Mankell apparait donc au final comme un roman sociopolitique qui ausculte le cynisme d’un nouvel ordre mondial qui a bien du mal à marier idéaux et développement économique. Rien de bien neuf…
Le Chinois
Henning Mankell traduit du suédois par Rémi Cassaigne
Seuil, 2011
ISBN : 978-2-02-098265-8 – 554 pages – 22,30 €
Kinesen, parution en Suède : 2008
Je les ai tous lus,et ils ont tous plus ou moins ce côté sociopolitique, mais ceux que j’ai préférés dans cette veine sont « Le retour du maître de danse », « Les chiens de Riga » et « La lionne blanche » . Les autres sont moins politiques. Effectivement, l’enquête policière n’est qu’un prétexte, le plus souvent. J’ai moins aimé Mankell dans le roman autre, sauf « Les chaussures italiennes », très beau roman
Depuis belle lurette, j’ai dans ma PAL les trois premiers Wallander, réédités en intégrale (Opus Seuil). Un jour, je m’y mettrai…
je suis tout à fait d’accord avec ta conclusion ! Ce roman est pour moi le moins interessant de toute l’oeuvre d’Henning Mankell, que je trouve pour le moins très manichéen. Hereusement que ses autres romans sont là pour nous montrer tout le véritable talent de cet écrivain trop tôt disparu.
Ce qui ma donné envie de lire Le Chinois plutôt que les Wallander pour commencer ma découverte, c’est ce côté histoire des Chinois aux États-Unis que je n’ai jamais vu évoqué dans un roman (américain ou autre). Et cet aspect m’a beaucoup plu. Si celui-là est le moins bon alors de belles heures de lecture m’attendent certainement avec Wallander !
Vous avez de la chance, il vous reste à découvrir tous les autres romans de Mankell. Les premiers reliés à la situation des pays baltes proches de la Scandinavie, d’autres à des faits de société, au désenchantement de la société suédoise qu’on a souvent présentée comme idéale ici… D’autant plus que le commissaire Wallander est un personnage à l’évolution passionnante.
J’essaierai de les lire dans l’ordre, chose que je n’ai pas faite avec John Rebus par exemple. Ça ne gêne pas pour la compréhension de chaque roman, mais c’est vrai qu’on ne suit pas vraiment ainsi l’évolution de l’enquêteur.
Je n’ai pas lu Le Chinois, mais j’ai toujours pris les polars d’Henning Mankell (avec Kurt Wammander notamment) pour des romans sociétaux, voire sociopolitiques lorsque l’intrigue s’aventurait en Afrique ou ailleurs. Il n’y aurait eu que al dimension policière, ils auraient été bien, mais sans plus, c’est le personnage principal et l’ancrage dans la société suédoise actuelle qui en font des romans à part et excellents
J’imagine que quelques frustrations peuvent poindre ici ou là. L’histoire de la tuerie dans Le Chinois par exemple commence très fort, le mystère est total et étonnant, mais finalement, on ne suit pas l’enquête et ça se termine mollement. Ce qui m’intéressait c’était le côté historique et non policier, mais j’imagine que certains amateurs peuvent être frustrés…
Pas un de ses meilleurs, c’est sûr.
Je n’ai cependant pas été déçue : je poursuivrai donc avec l’auteur 😉
Je l’avais bien aimé celui-là, surtout pour la partie chinoise. Il n’y a jamais beaucoup de suspense chez Mankell, on est plus dans le socio-politique effectivement. « Un paradis trompeur » n’est pas mal du tout dans le genre (ce n’est pas un Wallander)
Merci pour le conseil (même si j’ai trois Wallander dans ma PAL !).
Je n’apprécie guère la veine geo politique de l’auteur, j’ai détesté la lionne blanche pour cela que j’ai trouvé singulièrement simpliste, dommage le reste à l’air intéressant 🙂
Eh bien ici, je dirais que les méchants sont clairement méchants et que les gentils sont idéalistes… à toi de voir 😉
Je passe ce titre de l’auteur, alors.
Moi, je l’ai apprécié…
Quelques romans de cet auteur m’attendent dans ma bibliothèque, celui-ci n’en fait pas parti. A lire les commentaires, ce n’est pas son meilleur roman mais Henning Mankell est un auteur prolifique et de très bon niveau donc tout est relatif.
Tu as tout à fait raison. Pour ma part, je n’ai pas été déçue : je voulais une histoire de Chinois aux USA au XIXe siècle et je l’ai eue. J’aurais même bien lu toute une histoire sur le sujet.
De cet auteur je n’ai lu que Les chaussures italiennes… Énorme coup de coeur…!
J’ai lu tellement de bonnes choses sur ce roman que je ne doute pas de le lire un jour. Peut-être même sera-t-il mon prochain Mankell (et tant pis pour Wallander…).
Si Henning Mankell n’est jamais mauvais, il n’est pas toujours excellent et ce roman m’a laissé un peu perplexe, car bizarrement construit à mon goût…
La construction ne m’a pas dérangée, plutôt le manichéisme…
Dommage pour le manque de crédibilité, je ne l’ai pas lu celui là, mais en général, j’aime beaucoup Mankell, d’ailleurs ma dernière lecture, L’Homme inquiet, n’a pas dérogé à la règle.
Il est à mon goût de trop grande envergure pour rester vraiment crédible, à hauteur d’homme…
Ah zut, ton résumé me donnait pourtant bien envie. Mais il y a plein de Mankell géniaux !
J’en lirai d’autres, mais celui-là, je l’ai quand même bien apprécié !
Bonjour Sandrine, j’ai aimé ce Mankell même s’il est moins subtil qu’un Wallander. Bonnes fêtes de fin d’année.
Je crois que j’ai bien fait de commencer Mankell par ce roman pour l’apprécier : tout semble moins bien à la lumière d’un Wallander !
Bonnes fêtes à toi aussi.
je suis fan de la série Wallander, je n’ai pas lu celui-là mais les polars de Mankell ont toujours quelque chose en plus et c’est ce qui me plaît. Tu as de la chance d’avoir encore à découvrir tous ses autres polars 🙂 ! De jolies fêtes à toi!!!
Quelle belle perspective en effet d’avoir encore tant de bons livres devant moi 😉 Bonnes fêtes à toi aussi !
Je pense un des Wallander qui m’a le moins plus. L’enquête s’éparpille et comme tu le dis, perd en crédibilité.
Il t’a tellement déplu que tu as oublié qu’il n’y a pas Wallander dedans 😉
Ah oui c’est peut-être même pour ça qu’il m’a tant déplu 🙂 Hihi !