Ciel d’acier de Michel Moutot

Ciel d'acierAvec Ciel d’acier, Michel Moutot entreprend de raconter la saga des Indiens mohawks qui ont construit les grands buildings nord-américains. Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à l’érection de la Liberty Tower, ces hommes qu’on prétend insensibles au vertige se tiennent en équilibre tout là-haut, toujours plus haut.

On les appelle charpentiers du ciel, ironworkers ou skywalkers mais ils sont à la base des Mohawks, une des six tribus de la nation iroquoise. Ils vivent au bord du Saint-Laurent près de Montréal, où ils construisent de longues maisons de bois. Ils dirigent la drave, poussant de fleuves en lacs les troncs de pins depuis le lac Ontario jusqu’à Montréal ou Québec : sur ces villes flottantes, ils sont comme chez eux. Hommes du fleuve, ils apprennent la marine à vapeur le moment venu. Car les Mohawks n’entendent pas être avalés par la civilisation blanche : le progrès ils s’en emparent, le domptent et deviennent les meilleurs.

Dans les années 1880, l’essor du chemin de fer et bientôt celui des voitures à moteur impose des ponts : il faut aller vite, de plus en plus vite et relier entre elles toutes ces villes qui jaillissent sur un  territoire jadis mouvant et nomade. Pour voler par-dessus les nombreux cours d’eau, l’homme blanc a besoin de ponts. Les Mohawks qui marchent sur les troncs en mouvement du fleuve apprennent donc à marcher sur des poutres d’acier et deviennent rapidement les meilleurs connecteurs, ces ouvriers chargés d’assembler les poutres au sommet des ponts, puis des immeubles.

Michel Moutot choisit pour raconter la saga des Mohawks une chronologie éclatée. Ciel d’acier s’ouvre sur le 12 septembre 2001, alors que John LaLiberté travaille à déblayer les ruines du World Trade Center dans l’espoir de retrouver des survivants. Lui qui construit des immeubles s’emploie depuis la veille (et jusqu’à la fin, en mai 2012) à couper l’acier pour ouvrir un passage aux sauveteurs. Sans répit et d’abord sans protection, John et les autres fendent la masse de gravats. Ils respirent des émanations toxiques qui coûteront la vie à certains.

D’un chapitre à l’autre, on va et vient tout au long de cette dynastie de constructeurs. Jack LaLiberté, le père de John, a bâti les tours jumelles à la fin des années 70. Il fut le seul à mourir durant la construction. Mais d’autres avant lui sont morts sur des chantiers, notamment lors de la catastrophe du pont de Québec en 1907. Manish Rochelle et les siens ont quitté en masse Kahnawake pour Québec et sur trente-huit Mohawks employés, trente-trois ont péri dans l’écroulement du pont.

Les Mohawks sont vite devenus des experts réputés mais ont payé un lourd tribut aux poutrelles d’acier. Métier à risque, il a permis aux Indiens de bien gagner leur vie, de s’intégrer et d’être reconnus. La vie de famille pâtit de ces lointains chantiers qui laissent les hommes éloignés de chez eux pour de longs mois (certains reviennent chaque week-end à la réserve), mais ils aiment cette vie. Les fils ont hâte de devenir ironworkers comme leurs pères, leurs oncles, leurs grands-pères…

Michel Moutot raconte ces hommes avec passion. Ciel d’acier fourmille de détails techniques, de précisions historiques mais aussi de petites histoires personnelles qui rendent Jack, John, Manish et les autres très vivants. C’est John, ce héros du 11 septembre qui nous est le plus proche. A travers lui, Michel Moutot fait revivre la tragédie de l’intérieur, n’hésitant pas à rappeler aussi ce qui dérange (les pillages, les mensonges quant à la toxicité de l’air, l’emploi galvaudé du mot « héros » que John ne veut plus entendre)…

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Ciel d’acier

Michel Moutot
Arléa, 2015
ISBN : 9782363080714 – 522 pages – 22 €

37 commentaires sur “Ciel d’acier de Michel Moutot

  1. Merci pour votre blog fort intéressant.
    J’ai bien apprécié ce livre qui est à mi-chemin entre journalisme et roman. Cette fresque raconte autant l’histoire d’une tribu que celle de la construction de New York. Un livre bien équilibré et surtout bien documenté. Dommage que cet ouvrage ne contienne pas quelques photos et une carte.

    Pour aller plus loin, 2 articles trouvés sur le web :
    «Déjeuner en haut d’un gratte-ciel»: la célèbre photo révèle de nouveaux secrets – 1932
    http://www.slate.fr/culture/77946/photo-celebre-rockefeller-mystere

    Le désastre du pont de Québec 1907
    http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/le-desastre-du-pont-de-quebec/

    1. Merci pour ces liens. C’est vrai qu’en découvrant sur le net d’impressionnantes photographies, on se dit que certaines n’auraient pas été de trop dans ce livre.

    1. J’aimerais bien avoir un frère, une soeur, lui prêter des livres et en parler avec lui/elle. J’espère que lui aussi a aimé et qu’il saura te convaincre de le lire.

    1. Oui ça l’est. J’ai cru un moment que ça allait être un peu trop journalistique, puis l’auteur met quand même de la la chair (de l’humain) autour de ses personnages. Pas comme dans un grand roman américain mais ils sont plus que des symboles.

    1. Je n’ai pu entendre qu’une interview de l’auteur : il dit que tous les faits sont réels (les diverses catastrophes) et tous les personnages inventés.

    1. Peut-être pas de souffle épique pour moi. J’ai même cru au début que chaque personnage allait être un archétype, un symbole d’une époque. Puis l’auteur met de la chair autour, la famille, le clan (notamment dans l’histoire de Manish) et l’histoire prend de la profondeur. Certains personnages passent un peu vite (la maîtresse de Jack par exemple), mais finalement, si j’ai envie de les retenir, c’est qu’ils me plaisent et me manquent…

    1. Je pense que ce roman est très documenté, l’auteur est journaliste et a beaucoup travaillé sur les Mohawks. La bonne idée est d’en faire un roman.

    1. En 2016, j’ai tenu jusqu’au 23 février sans acheter de livres. Du coup, ma PAL avait un peu maigri… mais elle s’est bâfrée d’un coup et la voilà revenue à son état d’avant 😉

    1. C’est vraiment une très bonne idée de roman. Je ne sais pas si des Américains ont écrit des romans sur le sujet, je n’en ai pas lu.

    1. Elle n’avait guère fait de bruit, je crois, et c’est dommage. Espérons que le format poche lui donnera plus d’échos.

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