Meurtres à Willow Pond de Ned Crabb

Meurtres à Willow PoundAh le Maine ! Sa nature préservée, ses grands lacs, ses camps de pêche ! Tout un folklore qui raporte à qui sait l’exploiter. Chez les Seldon, voilà trois générations qu’on règne sur Cedar Lodge, un camp de pêche très chic et réputé à Willow Pond. Pour l’heure, c’est Gene Seldon qui tient les rênes d’une main de fer. A la mort brutale de son frère et de sa belle-soeur, elle a hérité de la propriété et du lac, malgré Kipper, Brad et Merrill, ses trois neveux et nièce.

La vieille maligne, surnommée le Duce, « réincarnation de Benito Mussolini dans un corps de vieille femme » a enchaîné ses avides héritiers par testament : Brad et Merrill sont les meilleurs guides de pêche de la région, leur réputation va bien au-delà et fait venir les clients. Pour qu’ils restent à Cedar Lodge, elle a promis à chacun un tiers de sa fortune, pas avant sa mort bien sûr. Mais le caractère exécrable de la vieille bique et sa longévité mettent ses héritiers au supplice. Surtout qu’ils vont sur la cinquantaine et que la tante Gene se porte toujours aussi bien Et quoi ?! Voilà qu’elle ambitionne de se marier ! Mais alors, c’est à l’époux, ce Bob Weller issu de nulle part, qu’ira l’argent !

Pas de doute, il est temps de se débarrasser d’Iphigene Seldon. Et pourquoi ne pas justement profiter de cette réunion de famille qu’elle a elle-même organisée à Cedar Lodge. Seront présents : Brad, le neveu alcoolique et son ex-femme Renee, une cougar très vorace ; la nièce Merill et son presque ex-mari Huntley Beauchamp, par ailleurs intendant de Cedar Lodge ayant déjà détourné plusieurs millions ; Bruno l’amant de Merrill ; le neveu préféré Kipper et son amant français Jean-Pierre, par ailleurs cuisinier du camp ; Bob Weller le fiancé ; Six et Alicia Godwin, les seuls vrais alliés sur lesquels Gene peut compter, les seuls qui l’apprécient pour autre chose que son argent.

Mais ce couple d’amis, anciens universitaires devenus libraires d’anciens ne suffira pas à éviter le drame : comme prévu, Gene est retrouvée assassinée par une nuit d’orage. Reste maintenant à la police à découvrir lequel des héritiers ou débiteurs de Gene a fait le coup. Ou plutôt, lequel a précisément réussi. Car tous semblent avoir porté le coup fatal, mais on ne peut mourir qu’une fois, non ?

Ce Meurtres à Willow Pond est un Gallmeister assez différent des autres romans lus chez cet éditeur. Pas vraiment nature writing (même si la nature, le lac en particulier, tient une grande place dans le paysage) et pas roman noir, il s’inscrit dans la veine d’un Agatha Christie égaré dans les grands espaces américains. On croise ici aussi des personnages d’apparence présentable dont la turpitude se dévoile au fil des pages. Les Seldon sont très beaux, brillants, bronzés mais dévorés par l’envie et la rancoeur. Brad ne tient que par l’alcool, Merrill par la coke et Renee a le feu au cul. Tous ne pensent qu’à l’argent. Gene elle-même n’est pas un personnage agréable : vulgaire, provocatrice, elle prend plaisir à dominer voire humilier. Pas bien beaux à voir ces richards, et pourtant Ned Crabb les examine à la loupe…

Le lecteur lui se réjouit de la méchanceté de cette famille, de la perspicacité de quelques-uns. La grande réussite du roman tient en effet dans une galerie de portraits au vitriol de certains riches Américains. Les dialogues sont savoureux et l’humour méchant très efficace. On remarquera par ailleurs, que Meurtres à Willow Pond est un véritable manifeste en faveur du troisième âge : Ned Crabb se plaît à souligner de nombreuses fois la sexualité épanouie des plus de cinquante ans (voire beaucoup plus puisque Gene a soixante dix-sept ans !) et leur dynamisme à toute épreuve (la course poursuite finale se termine bien grâce au courage des deux plus vieux protagonistes). On imagine bien que le roman n’a pas été écrit par un jeune premier…

Que le côté whodunit de l’intrigue ne rebute pas les amateurs de littérature américaine : après une longue mais savoureuse première partie de mise en place des protagonistes, le shérif arrive, avec adjoint et lieutenant, ce dernier étant une femme qui ne s’en laisse pas compter. Et le lecteur attentif ayant noté le pluriel du titre, il s’attend à d’autres meurtres qui ne tardent plus et transforment la quiétude de Cedar Lodge en cauchemar avec espions pseudo british et vrais tueurs à gage.

 

Meurtres à Willow Pond

Neb Crabb traduit de l’anglais par Laurent Bury
Gallmeister, 2016
ISBN : 978-2351781081 – 420 pages – 24,30 €

Lightning Strikes, parution aux Etats-Unis : 2014

34 commentaires sur “Meurtres à Willow Pond de Ned Crabb

  1. tu t’en douteras, pof ! sur ma liste, mais il attendra un peu, le temps que je me le procure d’une façon ou d’une autre (copine, bibliothèque…) , peux pas tout acheter…

    1. J’imagine bien que tous les Gallmeister te tentent et qu’il faut faire un choix. Je me demande bien si cette touche british te plaira…

      1. Je ne sais pas, j’aime assez la littérature anglaise, mais quand elle est bien décalée, acerbe. J’avais lu un polar canadien chez Actes Sud de Louise Penny, très british à la Agatha, ça se lit, mais on en tire pas grand chose. Je n’ai pas tout aimé chez Gallmeister – ce qui ne veut pas dire, on est d’accord, que ce n’est pas bon – , comme Ron Carlson, pas accroché ni pu lire »Le signal », et Mark Spragg, pas mal mais sans plus. En fait, ce que j’aime chez Gallmeister c’est son talent à nous trouver des auteurs neufs, et oui, la plupart du temps très doués, et aussi de rééditer des livres et auteurs qui avaient été mal traduits, ou oubliés. Dorothy Johnson, McMurtry, et le superbe livre de Howard Fast « La dernière frontière ». Et puis bon, il m’a donné mon pote Walt Longmire ! 😉

  2. Si tout le catalogue Gallmeister est intéressant, je serais néanmoins et très certainement passé à côté de ce roman. Ce billet inverse complètement la donne et j’ai désormais très envie de le lire…

    1. J’avais un peu tendance à penser ces derniers temps que beaucoup des romans Gallmeister étaient assez semblables, voire même interchangeables pour certains… ce qui est un bien pour les lecteurs qui ne se lassent pas d’un genre, ils sont comme chez eux dans chaque roman.
      Ce roman-ci vient contredire cette idée, trop vite venue, puisqu’il sort à l’évidence du lot. Tant mieux !

      1. Tout à fait d’accord avec vous pour le constat (et je suis de ce lot d’amateurs) et c’est le côté « original » de celui-ci que je ressens à lire votre billet qui m’incite à me pencher sur ce cas !

    1. Impossible de ne pas l’évoquer : tous ces gens réunis et motivés pour tuer une riche vieille dame insupportable, c’est très Agatha tout ça. Et on voit donc que la dame supporte très bien son adaptation aux grands espaces américains.

    1. Oui, certains personnages sont poussés au maximum, c’est aussi ce qui fait l’humour du roman à mes yeux. La vieille Iphigene est particulièrement chargée : on comprend facilement qu’ils souhaitent tous s’en débarrasser !

    1. Ils sont très réactifs dans ta bibliothèque, tu as de la chance ! Et oui, voilà qui devrait faire l’affaire des challengeurs américains 😉

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s