Ils sont les singes de Dieu : « criards, babillards, et de fort mauvaises bêtes si on ne leur montre pas les dents« . Ils sont aussi haineux, impitoyables, intransigeants, fanatiques. Illuminés de Dieu, non ceux qui aujourd’hui vitupèrent et terrorisent mais ceux qui hier parlaient au nom du Christ. Ils avaient pour nom Jean Boucher ou Charles Hotman, ils formaient le conseil des Seize de la Sainte Ligue catholique, ils ont appelé au meurtre et à la haine, au régicide même. « Sanguinaires et furieux, prêcheurs de sang et de carnage« , ils tenaient Paris dans leurs mains sanglantes.
C’est Pierre Tison, personnage fictif, qui prend la parole dans une première partie. Issu d’une famille d’ultra-catholique (son cousin fait en chaire l’éloge de la Saint-Barthélemy), il embrasse naturellement la cause de la Sainte Ligue parisienne après la mort du duc d’Anjou qui fait du roi de Navarre l’héritier du roi Henri III. Ce dernier est l’objet de toutes les haines, on le déteste, on le conspue, on fomente des complots en vue de l’assassiner.
Les Seize demandèrent à tous les prêtres de la capitale de placer devant eux, sur leur autel, une figure de cire à l’effigie du roi, pour y enfoncer, pendant la messe, une pointe à l’endroit du coeur.
Les Seize ne reconnaissent d’autre autorité que la leur, ils tiennent la capitale et en chassent le roi qui doit s’enfuir. Il faudra de longues années de guerre à Henri IV pour y entrer à nouveau. En attendant, il est interdit de parler de paix et quiconque se plaindrait serait jeté à la Seine. Si par malheur on parlait de trêve en chaire, les Seize menaçaient de mort l’impudent qui devait bien vite s’amender :
« Frères, des malveillants ont prétendu que j’étais un homme de paix. Ils ont menti. Jamais on ne m’entendra dire autre chose que Guerra, Guerra, Guerra !«
Espionnage, arrestations, exécutions sommaires : ils ne reculent devant rien et entendent bien faire monter sur le trône Isabelle, fille de Philippe II roi d’Espagne qui les soutient contre les huguenots. C’est bien la Terreur qui règne à Paris. Terreur qui pour ces fanatiques doit être le prélude à l’instauration d’une dictature théocratique : le pouvoir religieux est étroitement lié au pouvoir politique.
Que reste-t-il alors de la Renaissance, de l’humanisme ? Paris est-il définitivement livré aux singes de Dieu ? Une courte deuxième partie donne la parole à Madeleine Longeville, fille d’un notaire. Avec sa douce amie Marie elle profite des plaisirs de la vie et de son jardin sous les fenêtres de Pierre Tison qui se plaît à les regarder car il voit en elles la pureté et l’innocence. Sans le savoir, il contemple là tout ce qu’il combat : la beauté, la compassion, la poésie, l’amour… La douceur du discours de Madeleine s’oppose à la haine de Pierre Tison. Ces quelques pages sont une respiration, un éclat de lumière au milieu des ténèbres : non, les Parisiens n’étaient pas tous aveuglés par la haine et les catholiques tous fanatisés.
Mais il est évident que la voix de Madeleine ne fait pas le poids face à l’absolutisme forcené des Seize : ils ont pour eux la force et le pouvoir, ils sont capables de faire plier n’importe qui par la menace et la souffrance. Ils sont aveuglés par leur mission divine et il n’y a aucune place en eux pour la controverse. Si la compagnie de Pierre Tison, esprit fanatisé, n’est pas des plus agréables, il est aujourd’hui très intéressant de chercher à comprendre les mécanismes de la folie religieuse. Les fous de Dieu se succèdent : toujours le même Dieu, toujours les mêmes violences, seuls diffèrent les prédicateurs qui appellent à la haine de l’autre. Encore et toujours ils haranguent et séduisent par leurs discours et leur intransigeance, parce qu’ils s’investissent de l’autorité de Dieu.
Patrick Wald Lasowski ne cède pas à la surenchère de descriptions sanglantes. Au regard des faits, sa plume est même sobre, voire sèche, à l’image de ce Pierre Tison, moine Capucin (pauvre saint François…) momentanément muet. Il transmet plus la fureur des hommes que celle des faits, ce qui épargne au lecteur un déferlement d’horreurs. Aucun doute pourtant : la violence est partout, la guerre ensanglante le royaume à l’apogée d’une haine réciproque.
C’est avec une grande maîtrise des faits et de la narration que l’auteur mêle Histoire et fiction. Les informations nécessaires à la compréhension du contexte et des personnages sont amenées avec naturel dans le cours du récit, sans les affreux tunnels explicatifs qui plombent souvent les romans historiques. L’élégante lange de Patrick Wald Lasowski sait être pédagogique sans être pesante : une réussite qui aurait même mérité plus d’ampleur encore.
.
Les singes de Dieu
Patrick Wald Lasowski
Le cherche midi (Styles), 2016
ISBN : 978-2-7491-452-9 – 159 pages – 15,80 €
intriguant tout ça
Et original : les guerres de religion ne sont pas un sujet souvent traité dans les romans historiques.
C’est pas un peu trop sanglant comme lecture ?
Non, pas de descriptions violentes, pas de complaisance dans l’horreur : c’est plus le verbe qui intéresse l’auteur, je pense.
Mais voilà qui a l’air passionnant ! De plus, sur le sujet j’avais lu le Tim Willock, fort décevant car tellement sanglant que la lecture en devenait écœurante. Ici, je pense y trouver davantage mon compte, si le verbe a sa place.
J’ai au programme de relire La reine Margot. Je ne sais pas si je vais caser Willocks avant ou après. En tout cas, malgré sa grande violence, j’ai beaucoup aimé La Religion donc je pars très confiante pour la suite.
Je suppose que se pencher sur le fanatisme religieux catholique, doit pouvoir aider à comprendre celui d’aujourd’hui même s’il est islamiste.
Oui, et je suis assez fascinée par ça, par l’histoire de l’Église en général : comme ce pauvre type errant nommé Jésus, tout seul dans son désert a pu créer ça, comment ça s’est passé, comment des types se sont arrogé le pouvoir, la violence, la mort sur un message de paix et d’amour. Bon pour Mahomet, la paix et l’amour n’était pas vraiment au programme, mais à la base, c’est toujours le même dieu qui génère des messages différents…
Merci à Sandrine pour cette chaleureuse, généreuse, et élégante présentation des Singes de Dieu.
J’en suis vraiment très touché.
Je me suis consacré, depuis, à des travaux sur l’art (Scènes du plaisir, Masmonteil…), mais je viens de terminer un roman historique portant sur la période 1933-1944.
Avec mes plus sincères remerciements,
patrickwaldlasowski