Où l’on rencontre Douglas Brodie, ex-flic et surtout ex-soldat. Il a combattu le Reich en Europe et en Afrique du Nord, est resté mobilisé cinq ans (51e Division des Highlands) et quand s’ouvre Les Justiciers de Glasgow, il est encore pour partie là-bas. Il vient de se faire embaucher à la Gazette, quotidien populaire qui charrie le fait divers et les bruits de couloirs. Bras droit du grand Wullie McAllister, il est appelé à le replacer, s’il fait l’affaire. Il vit dans un quasi taudis et sa vie sentimentale est en berne.
Deux affaires vont secouer son quotidien. Alec Morton, conseiller municipal en charge des finances est retrouvé assassiné. Et pas qu’un peu : pendu par les pieds, sa tête a été placée dans un seau de ciment encore frais. Par ailleurs, un certain Ismael lui demande son aide et celle de son amie avocate Samatha Campbell pour défendre un certain Johnson, pris en flagrant délit de vol dans la maison de la sœur du directeur de la police. Le gars risque sa vie pour avoir voulu voler de la pâtée pour chien. Parce qu’après s’être battu en Europe, il n’a plus rien trouvé à son retour en Ecosse, plus de travail, plus d’avenir, plus rien.
Brodie connaît bien la condition de ces soldats sans ressources puisque c’est la sienne. Sauf que lui a juste un peu plus de chance avec son passé de flic et sa place au journal. Suite au procès de son ami, Ismael va prendre la tête d’un gang de justiciers : les Marshals de Glasgow. Ils vont eux-mêmes administrer de sévères corrections à tous ceux qu’ils estiment injustement acquittés : pères incestueux, maris violents, fonctionnaires corrompus.
Certains se satisfont du travail effectué par les justiciers de Glasgow car ils estiment la police corrompue ou incompétente. Mais Brodie n’admet pas cette justice personnelle qui fait de la ville un nouveau far west. Bientôt, les Marshals appellent à la délation et des homosexuels sont torturés à mort. Ismael assure que lui et les siens ne sont pour rien dans ces derniers meurtres. McAllister suit son filon autour du meurtre du conseiller municipal. Celui-ci l’amène à enquêter auprès du gratin de Glasgow, ville transformée en vaste chantier de reconstruction que les promoteurs s’arrachent à coups de pots de vin et de marchés publics truqués.
Voilà un roman d’une grande richesse, autant humaine que politique. L’intrigue tourne autour des chantiers de reconstruction de la ville au sortir de la guerre, avec des industriels véreux et des politiques qui s’enrichissent un peu trop rapidement. Et les histoires de corruption, il y en a plein les romans noirs. Ce qui démarque Les Justiciers de Glasgow, c’est la force des tensions sociales qui se révèlent et la grande densité de son narrateur, Douglas Brodie. Dont les relations avec Sam, devenue sa propriétaire (elle le loge dans son immense maison vide) vont se complexifier, ce qui est assez classique pour un roman noir avec mâle en souffrance. Mais, beaucoup plus subtil, Brodie ne parvient pas à adopter une positions morale tranchée face aux actions des marshals : se faire justice soi-même c’est mal, mais la police est à ce point gangrénée qu’elle ne peut faire régner l’ordre et encore moins inspirer le respect.
Personnage complexe donc, comme la vie, et comme Glasgow au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Si on connaît peu le contexte, Gordon Ferris se charge de nous le reconstituer et de le faire vivre de nuit comme de jour, dans ses quartiers miteux et dans ses belles demeures. La ville n’est aujourd’hui pas riante, il y a bien plus attirant en Ecosse, mais c’est une ville ici grouillante, pleine d’envies et de rêves d’avenir. Pleine de profiteurs aussi.
Le seul petit souci : Brodie fait souvent allusion à son enquête précédente, celle racontée dans La Cabane des pendus, menée avec Samantha. Elle a été rudement malmenée, lui a dû tuer (faire justice lui-même…), mais on ne comprend pas tous les détails de l’affaire. Ce qui ne gêne pas pour la compréhension de l’intrigue, mais l’avoir lue est sans doute un plus pour mieux l’apprécier.
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Les Justiciers de Glasgow
Gordon Ferris traduit de l’anglais par Hubert Tézenas
Seuil (Policiers), 2016
ISBN : 978-2-021222555 – 544 pages – 22,50 €
Bitter Water, parution en Grande-Bretagne : 2012
Une nouvelle idée d’auteur écossais intéressant (je ne le connaissais même pas de nom). L’enquête précédente est déjà en poche ?
Oui, la première enquête sort en format poche à l’occasion de la publication de ce deuxième opus. Je crois que la parution de ce premier tome n’a pas fait beaucoup parler d’elle…
Bonjour Sandrine
Gordon Ferris figurera très certainement dans ma sélection des « meilleurs de l’année » avec ce roman.
Amitiés.
Ça ne m’étonne pas, il a une belle densité. Un petit bémol pour moi, qui n’en fait pas un coup de coeur : la fusillade finale est vraiment très (très) longue…
Je vois que « la cabane des pendus » est sorti en collection Points ; je commencerai donc par celui-là.
Ça vaut certainement mieux. Moi je ne savais pas qu’il y avait un tome un avant de commencer celui-là…
Voilà qui me tente doublement, et pour la ville, et pour l’intrigue.
Je suis allée à Glasgow : c’est une ville vraiment tristounette…
ah encore un ! je dois déjà lire Peter May et sa trilogie mais celui-ci me tente beaucoup, mais je vais commencer avec son premier !
Je n’ai encore pas lu Peter May mais j’ai L’île du serment dans ma PAL et je compte bien m’y atteler.
L’Écosse est vraiment une terre de polars, après Ian Rankin, Peter May et Malcolm MacKay ! Je sens que je devrais aimer, je note le premier…
Il y a de bons auteurs, c’est vrai. Ils ne nous présentent certainement pas l’Écosse sous son meilleur jour, mais on l’aime comme ça dans les romans !
Très noir, donc.
Un bon polar, c’est toujours bon à prendre, il y a en tellement de mauvais…
Noir oui, mais ne se complait pas dans les descriptions sordides, c’est assez rare pour le signaler…
C’est une ville ouvrière. J’en garde pour ma part un bon souvenir.
Je suis contente d’avoir visité cette ville, mais je pense que je n’y retournerai pas : elle n’a pas le charme de bien d’autres…