Les Affinités de Robert Charles Wilson

Les AffinitésAdam Fisk a grandi dans une famille qui ne lui correspond pas : père républicain autoritaire et psychorigide, prompt à l’humiliation, mère décédée, belle-mère attentive mais soumise. Il n’y avait que mamie Fisk pour l’aimer, le comprendre, et lui financer ses études de graphisme, loin du marasme familial, à Toronto. Mais mamie Fisk se meurt et Adam se sent plus seul que jamais.

C’est alors qu’il se décide à passer les nouveaux tests en vogue et qu’il intègre ensuite une de ces Affinités dont on parle : les Taus. Pour faire court, les Affinités sont des groupes de personnes réunies suite à des tests complexes qui rendent compte de leur compatibilité de caractère. Il existe vingt-deux Affinités correspondant à 60% de la population.

Pour Adam qui n’a plus de famille au sens de foyer, pas de travail et aucun moyen de poursuivre ses études, les Taus sont un miracle : ils l’accueillent à bras ouverts, lui procurent un foyer, du travail et bien sûr l’acceptent immédiatement tel qu’il est. Il fait aussitôt partie des leurs, sans arrière-pensée.

La première partie du nouveau roman de Robert Charles Wilson présente en détail le personnage narrateur : il nous devient rapidement proche car il est juste, attentif aux autres et au départ assez paumé. On le suit ensuite sur plusieurs années, non sans quelques ellipses, et avec lui le développement des Affinités sur le territoire nord-américain. Les Affinités sont critiquées par certains qui y voient une sorte de secte, par d’autres (parfois les mêmes) qui n’en font pas partie. Mais petit à petit, apparaissent également des rivalités entre les diverses Affinités, notamment entre Taus et Hets. On se demande bientôt si à force de lobbying et d’influence, l’une ou l’autre ne va pas exercer une influence sociale majeure, et pourquoi pas s’emparer du pouvoir politique pour gérer la société à sa façon…

Mais Robert Charles Wilson ne va pas jusque-là, restant centré sur son personnage principal et sur les conflits d’intérêt qui le déchirent : doit-il, comme l’idéologie tau le veut, donner la primauté à son Affinité sur tout le reste ? Sur sa famille ou au moins ce qu’il en reste ? Il n’est pas légitime de venir en aide à des individus n’appartenant pas à l’Affinité, c’est une question de loyauté qu’Adam remet en cause, essayant cependant de ménager la chèvre et le chou.

On comprend que les Affinités se sont étendues dans le monde et que cette expansion a créé des tensions, bien que rien ne soit clairement explicité. Des bulletins d’information nous font comprendre qu’en Inde et en Chine, la situation est plus que tendue. Mais on reste sur sa faim quant aux mécanismes mondiaux.

Ce qui intéresse l’auteur, c’est comment ces nouvelles influences communautaires agissent sur un simple individu, confiant sans être naïf, intelligent sans être retors. Avide cependant d’amitié, d’écoute et de rapports sociaux véridiques. Rien à voir donc avec les réseaux sociaux tels qu’on les connaît aujourd’hui, qui ne sont que des vitrines où chacun polit son image médiatique. Les Affinités sont bien plus que ça, elles tiennent bien plus de l’idéal communautaire des années 70. L’idée est de savoir si ces principes, à grande échelle, ne se transformeraient pas en cauchemar.

Il faut bien sûr savoir où se situe le cauchemar : si l’idée de vous faire offrir des gâteaux par vos nouveaux voisins le jour de votre emménagement vous donne déjà de l’urticaire, la barre est vite franchie. Mais la mentalité nord-américaine est autre, les usages sociaux aussi, on peut donc comprendre qu’Adam se réjouisse d’être entouré, choyé, assisté pourrait-on dire au moment où il intègre son Affinité. On sent pourtant que la possible manipulation n’est pas loin, qu’il suffit d’un bon manipulateur pour faire marcher tout ce monde-là du même pas, celui qu’il aurait choisi.

On regrette que Robert Charles Wilson développe les démêlés entre InterAlia (l’organisme qui gère les tests d’Affinités) et les Affinités : on s’en fiche un peu, d’autant plus qu’on reste trop dans le flou concernant la situation mondiale. Mais comme souvent avec l’auteur, ce roman ouvre des pistes de réflexions à court terme et donc réalistes sur le devenir de l’homme sommé d’être social, solidaire, exposé. Appartenir à un groupe signifie clairement ici ne pas appartenir à d’autres et surtout, en exclure tous ceux qui lui sont étrangers. C’est la porte ouverte en grand à l’inégalité sociale, à la discrimination et au racisme au sens large : « si tu n’es pas comme moi, tu ne mérites pas que je m’intéresse à toi, limite, tu n’existes pas ».

De quoi s’inquiéter…

Robert Charles Wilson sur Tête de lecture

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Les Affinités (The Affinities, 2015), Robert Charles Wilson traduit de l’anglais (canadien) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d’encre), février 2016, 324 pages, 22€

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