Quand on rencontre le narrateur du premier roman de Craig Clevenger, il s’appelle Daniel Fletcher. Il vient de faire une overdose pour avoir absorbé trop d’antidouleurs. Il doit, avant de pouvoir quitter l’hôpital, subir un entretien avec un psychiatre qui devra déterminer s’il n’est pas susceptible d’attenter à nouveau à sa vie. Le Contorsionniste est le récit de cet entretien, émaillé de très nombreux flash-back. Le lecteur comprend très vite que Daniel Fletcher est bien plus rôdé aux examens psychiatriques que le docteur Carlisle lui-même.
Pour en avoir subi beaucoup, le narrateur sait quelles questions le médecin va poser et lui apporte les réponses qu’il faut pour sortir rapidement. Il sait comment se tenir, comment parler, bref, comment rassurer le médecin sur son cas. En clair, il le roule dans la farine. C’est que Daniel Fletcher, qui est aussi Erik Bishop, Steven Edward ou John Dolan Vincent est un expert faussaire qui change d’identité et se forge un nouveau passé jusque dans les moindres détails. L’idée étant de passer inaperçu pour ne pas être reconnu, ce qui n’est pas facile pour un rouquin doté d’un doigt surnuméraire à la main gauche.
C’est que notre narrateur doit échapper à la Justice, mais aussi à de terribles migraines qui le poussent à absorber n’importe quel médicament pour diminuer ses souffrances. D’où les overdoses et les risques d’être interné. Faussaire de génie, il s’est toujours débrouillé pour échapper à la camisole et aux électrochocs, même si ses débuts dans la vie ne laissaient pas envisager un avenir des plus radieux. Le lecteur petit à petit comprend que John Dolan Vincent (a priori, c’est son vrai nom…) est furieusement intelligent et doté d’une mémoire extraordinaire qui lui permet de ne pas emmêler les fils de ses multiples vies. Ainsi que d’un réjouissant sens de l’humour.
Celui qui voulait devenir contorsionniste n’est donc pas un malade mental à personnalités multiples. Ses identités, il se les construit sciemment et minutieusement pour échapper au système. Pour déjouer les professionnels de la santé mentale qui n’ont pour solution que d’enfermer. C’est au chat et à la souris que jouent le médecin et le patient mais qui est le chat et qui est la souris ? Du point de vue du lecteur, le jeu est savoureux, tant le narrateur maîtrise l’échange. Certains dialogues sont d’anthologie, car portés par la voix off du narrateur en contrepoint.
Alors on dit quoi ? On dit merci au Nouvel Attila et à tous ces petits éditeurs qui nous fournissent ces perles en provenance d’outre-Atlantique. On dit encore, encore de ces auteurs atypiques qui bousculent nos habitudes et notre confort de lecture. Pénétrer dans la psyché de John Dolan Vincent le contorsionniste n’est pas de tout repos, mais quel plaisir !
Le contorsionniste
Craig Clevenger traduit de l’anglais par Théophile Sersiron
Le Nouvel Attila, 2016
ISBN : 978-2-37100-024-7 – 317 pages – 20 €
The Contorsionist’s Handbook, parution aux États-Unis : 2002
Allons bon, je plussoie, merci à ces ‘petits’ éditeurs qui nous dégottent ce genre de roman!
Celui-ci date de 2002 et personne chez nous ne l’avait encore repéré… c’est surement qu’il faut des lunettes spéciales pour ce genre de bouquin 😉
well well, repérer aussi, avec encore un ou deux avis positif, je le passe de LAL à Pal.
J’espère que tu liras ces avis qui te convaincront car c’est en effet un livre qui mérite lecture et qui pourra te plaire.
Encore un livre qui me tente 🙂 Merci Sandrine
Ah de rien : j’adore jouer les tentatrices !
ah ça a l’air drôlement original! je note!
Oui, c’est un roman qui sort du lot, une histoire vraiment dingue et pourtant cohérente dans sa logique particulière : à lire !