Un vieil homme enfermé dans une vaste demeure. Elle semble aussi fatiguée que lui, à l’abandon, en attente d’une fin espérée. Depuis des années il souhaite mourir ce docteur, mais la mort se refuse à lui. Sans doute avait-elle besoin d’un témoin de ses crimes, d’un témoin à torturer, d’un témoin capable de raconter sa terrible subtilité.
Il se croit mourant et raconte ce qu’il a toujours caché, ce honteux secret qui fait de lui un homme vivant alors que les autres sont morts. Il le raconte à un jeune étranger, Agop Niemeyer qui l’admire, tout comme la jeune Leticia qui vit avec lui. La faute des morts débute dans une classique alternance de passé et de présent sur le mode de la confession. Plus étonnant, c’est le médecin psychiatre qui se confie : au temps de la dictature, il était encore étudiant en médecine, tout comme ses amis, ceux qui ont irrémédiablement disparu. Du jour au lendemain trahis, arrêtés, torturés, anéantis.
A l’inverse Lía n’en finit pas de mourir. Elle reste étendue là, pendant quinze ans, incapable de se mouvoir ou de parler. Le jeune étudiant en médecine veille sur elle, l’implorant de mourir plutôt que de rester dans un tel état. Ainsi lui, futur médecin perdu dans la théorie de concepts complexes se trouve cerné par la mort qui au final ne veut plus de lui. Condamné à observer la mort sans jamais la saisir.
Apparaissent, de plus en plus insistantes, des sortes d’apartés entre l’auteur et le personnage : « Sabotage de l’auteur par le personnage ». Ce personnage qui parle à un certain Alejandro est-il le vieux médecin ? Il semble cependant bientôt que le personnage serait un certain Maciel… Le roman soudain se fait plus opaque, moins romanesque peut-être, si on considère qu’Alejandro Maciel, médecin, avant vingt ans au début de la dictature.
Au cours d’un long voyage en train, sans Internet pour m’éclairer sur la biographie de l’auteur, je n’ai pas chercher à démêler les allusions ni à interpréter la symbolique de La faute des morts. J’étais bien trop charmée par le style d’Alejandro Maciel qui est pur enchantement. Alors que le sujet est grave et que ce docteur en fin de vie rongé par la culpabilité touche au tragique, la plume de Maciel se fait légère et poétique. Les descriptions sont subtiles, les émotions imagées avec bonheur. Je ne compte plus les pages cornées et les passages avidement soulignés.
Quand la fillette revenait de l’école, le vacarme et la joie s’emparaient de toute la maison. On eût dit que le coeur las du docteur, traversé d’une énergie nouvelle, consentait à battre au rythme de l’enfance. C’est par cette porte d’allégresse que le garçon, guidé par la petite, était entré.
Cette poésie du texte facilite la lecture d’un texte parfois complexe dans son énonciation et résolument sombre. Maciel fait se côtoyer poésie et violence alors qu’elles sont incompatibles. Comme le sont la délation et l’estime de soi, l’aveu et le secret, la vie et la mort.
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La faute des morts
Alejandro Maciel traduit de l’espagnol par Frédéric Gross-Quelen
La Dernière goute, 2014
ISBN : 978-2-918619-16-1 – 187 pages – 17 €
Culpa de los muertos, parution en Argentine : 2008
Ca a l’air spécial, mais ce que tu dis du style me tente.
Il y a eu beaucoup de textes sur la dictature alors j’imagine que les auteurs argentins cherchent l’originalité dans la forme. En tout cas, le style est superbe, presque apaisant alors qu’il raconte des choses terribles.
Très intéressant. Merci pour ce conseil de lecture.
La Dernière goutte publie tout un tas d’auteurs originaux et intéressants : qu’on se le dise !
petite méfiance de ma part, je suis parfois rétive à la poésie de ces pays là mais j’aime bien ce que tu en dis.
Je t’assure que c’est une très belle langue, qui ne renvoie pas à un univers complexe mais offre beaucoup de légèreté et de poésie à un sujet difficile et déjà beaucoup traité.
Muchas gracias por el comentario Sandrine, valoro mucho que se haya ocupado de mi novela, la que captó usted de un modo certero. Gracias!!!
Comme je l’indiquais en commentaire au billet sur l’activité « Un moi un éditeur », je suis en train de lire Gabriel Bañez (La vierge d’Ensenada) , également chez La dernière goutte, que j’avais découvert avec Les enfants disparaissent et Le mal dans la peau) qui présentent plusieurs points communs avec le titre que tu évoques, à la fois sur le fond (les références à l’histoire douloureuse de l’Argentine) et la forme (l’écriture de Bañez n’est pas non plus toujours très confortable).
J’ai eu la chance de découvrir cette maison d’édition sur un salon, lors d’un échange passionnant avec l’un de ses représentants (c’est lui qui m’a conseillé l’auteur argentin) qui avait d’ailleurs gentiment pris la peine de m’adresser un mail suite à la parution de mon billet sur Bañez.
Ils publient pas mal d’hispano-américains et en particulier d’Argentins. La littérature argentine est foisonnante, une des plus dynamiques parmi les latinos et c’est une chance de pouvoir en apprécier quelques-uns.
Ah, je n’avais pas vu le commentaire de l’auteur ! Décidément, éditeur comme écrivain semblent très proches de leurs lecteurs, chez La dernière goutte, voilà qui fait plaisir !!
une écriture comme celle-là pourrait bien me séduire 🙂
Elle m’a étonnée et séduite, et il faut saluer la belle traduction qui a su rendre le charme de cette écriture.