Il y a cent ans aujourd’hui nous quittait prématurément Jack London. Il n’a vécu que quarante ans, dont dix-sept consacrés à l’écriture. A l’occasion de cet anniversaire, Phébus propose une nouvelle traduction d’un de ses romans emblématiques, Croc Blanc. C’est le Jack London des grands espaces, de la Nature et de la sauvagerie qui nous revient, et il n’y a pas d’âge pour le lire…
Ce roman s’articule autour de plusieurs parties bien distinctes qui sont autant d’étapes dans la vie de ce loup un quart chien par sa mère qui grandira et arpentera les vastes espaces du Grand Nord avant de connaître le bonheur domestique.
Il est d’abord question, dans un premier chapitre éblouissant, de trois hommes, dont un couché dans son cercueil, qui traversent l’étendue glacée poursuivis par une meute de loups. Des loups affamés, patients, incroyablement résistants qui jour après jour cernent d’un peu plus près leurs proies. D’abord les chiens de traineau, séduits par une louve qui les attire, puis les hommes qui sentent la mort approcher, tout comme le lecteur.
Cette louve séductrice sera la mère de Croc Blanc. On la voit, après la terrible famine, courir aux côtés de ses prétendants qui se battent pour elle. Le Borgne triomphe : il sera le père de ses petits mais elle le tiendra éloigné d’eux, toujours méfiante. Vous nicherez vous aussi dans la tanière, au fond de la grotte et vous appréhenderez le monde à la façon d’un le petit louveteau gris.
Il était au comble de l’exaltation. Le sang de combattant de sa lignée pulsait en lui et s’exprimait à travers lui. C’était cela, la vie, bien qu’il l’ignorât. Il découvrait sa fonction en ce monde ; il faisait ce pour quoi il était né – tuer du gibier et se battre pour le tuer.
Cette liberté qu’il savoure, Croc Blanc va pourtant la sacrifier. Il choisit de rester près de sa mère qui est retournée vivre avec les Indiens. Les hommes sont pour lui des dieux tout-puissants et implacables qui commandent et qu’il faut obéir. A force de coups Castor-Gris lui fait comprendre la loi des hommes. Il bride sa nature sauvage pour un ventre plein et de la chaleur. Mais il reste un paria et son caractère difficile l’éloigne de l’affection des hommes et de l’amitié des chiens. C’est un solitaire féroce.
C’était un tyran monstrueux. Il exerçait sa suprématie d’une main de fer. Opprimait les plus faibles avec acharnement. Ce n’était pas pour rien qu’il avait impitoyablement lutté pour sa survie aux premiers jours de son existence, quand sa mère et lui, seuls et livrés à eux-mêmes, avaient résisté et survécu à l’environnement féroce de la Nature sauvage.
Un certain Beauty Smith comprend que Croc Blanc est un animal agressif qu’il est possible de rendre méchant. C’est à coups de gourdin qu’il le dresse à devenir un loup de combat après l’avoir acheté à Castor-Gris. Cet homme malsain fait de lui un monstre violent et dangereux. Croc Blanc tue, il sort vainqueur de tous ses combats et Beauty Smith s’enrichit.
Puis c’est la rencontre avec Weedon Scott qui le sauve d’une mort certaine dans l’arène. Qui décide de donner une chance à ce monstre animal qui ne sait plus que tuer, déchiqueter, détruire. Avec une infinie patience, il apprend à l’animal qui n’a jamais connu la moindre affection, qu’il peut être aimé. Croc Blanc ne le quittera plus et lui sera tout dévoué.
Jack London vous fera devenir loup. Sans anthropomorphisme idiot ni mièvrerie, il incarne en Croc Blanc la sauvagerie qui s’apaise. Non seulement la vie de ce loup est un récit d’aventures, mais c’est aussi une illustration de ce que le milieu peut faire d’un être doué d’intelligence. Croc Blanc suit d’abord ses instincts naturels, il s’épanouit dans le milieu pour lequel il est fait. C’est pour son malheur qu’il rencontre les hommes et ce sont eux qui vont faire de lui un animal féroce et dangereux. On notera que London ne fait preuve d’aucun sentimentalisme à l’égard des Indiens : Castor-Gris est un maître rude et dénué d’affection.
La route de Croc Blanc croise celle d’un homme qui lui ressemble : né dans un milieu peu propice, Jim Hall atterrit injustement dans une prison où les mauvais traitements le transforment en fou furieux hyper dangereux.
Plus il se battait férocement, plus la société était dure avec lui, et le seul effet de cette dureté fut de renforcer sa férocité. Camisoles de force, privations de nourriture, rossées à coups de gourdin n’étaient pas le bon traitement pour Jim Hall, mais c’est celui qu’il reçut. Et c’était le traitement qu’il recevait depuis sa plus tendre enfance dans les taudis de San Francisco – quand, argile encore malléable aux mains de la société, il attendait d’être façonné.
Clairement pour Jack London, ce sont les hommes qui ont fait de Hall cet être cruel, hargneux et violent. Exactement comme Croc Blanc qui se transforme en indéfectible compagnon quand un homme lui témoigne enfin de l’affection. La société fait de vous ce que vous êtes, et la société des hommes est rude, injuste et vénale.
C’est donc un grand plaisir de (re)lecture que ces pages aux côtés d’un loup un peu chien, dont le nom résonne aujourd’hui encore comme un synonyme de grands espaces, de nature et de liberté. La force de ce récit imprime en nous d’inoubliables scènes de traques, de neige, de violence animale. Jack London est un loup magnifique, et un grand raconteur, habité par un rythme qui transporte. Il est toujours vivant, je l’ai croisé en ces pages…
Jack London sur Tête de lecture
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Croc Blanc
Jack London traduit de l’anglais par Stéphane Roques
Phébus (Libretto n°544), 2016
ISBN : 978-2-3691-276-8 – 267 pages – 9,70€
White Fang, première parution aux États-Unis : 1906
J’ai toujours aimé Jack London; bel article, Sandrine, vraiment un bel hommage à ce grand écrivain
Il y avait bien trop longtemps que je ne l’avais lu : je ne me souvenais plus bien du grand plaisir éprouvé à le lire. Ou alors cette traduction est particulièrement réussie (ce que je crois). En tout cas, on peut dire que j’ai été transportée, alors même que je n’étais pas dans les meilleures conditions de lecture.
J’ai aussi relu le roman récemment, mais le récit de cette domestication m’a paru bien triste. Mais c’est vrai que les pages du début sont un bel hymne à la force sauvage.
Le premier chapitre est vraiment extraordinaire. Par sa force d’évocation, il m’a rappelé « Construire un feu », le texte le plus puissant à mes yeux de Jack London.
Je n’ai pas lu ce roman là mais j’aime beaucoup Jack London !
C’est bien, quand on aime un auteur, de savoir qu’il nous reste encore des choses de lui à lire 😉
Que de souvenir à la lecture de ton billet ! ça me donne envie de le relire
C’est une récente série d’émissions sur France Culture (La Compagnie des auteurs) qui m’a donné à moi envie de le retrouver…
J’ai dû lire une version jeunesse allégée il y a bien longtemps ; Curieusement, je n’ai pas lu Jack London, il était classé « pour les garçons » à l’école primaire et à mon époque, on ne plaisantait pas avec ces choses-là 😉
Quand j’étais jeune, London était considéré comme un auteur jeunesse, au moins ses textes abrégés, mais pas forcément pour les garçons. C’est assez triste ces étiquettes qui cataloguent ainsi les auteurs pour longtemps dans l’esprit des lecteurs…
Très belle chronique et quelle bonne idée de nous faire redécouvrir ce roman 🙂 « Croc Blanc » a bercé une partie de mon enfance, il faudrait vraiment que je le relise.
Oui, et dans cette traduction très dynamique, je crois que ce texte prend une ampleur nouvelle.
Lu il y a si longtemps qu’il faudrait que je le relise…
C’est exactement ce que je me disais souvent, et j’ai trouvé que cet anniversaire était le bon moment pour passer à l’acte.
Lu il y a très longtemps; je ne m’en souviens pas très bien. Certainement que je l’apprécierais différemment aujourd’hui (en mieux ou pas).
Oui, c’est certain. Pour ma part, j’ai été soufflée par la force d’évocation de ce texte.
Je n’ai jamais lu Jack London, pourtant je pense que cela peut me plaire!
Je te conseille de lire Construire un feu : c’est une nouvelle d’une force extraordinaire que tu n’oublieras pas. Tu peux aussi l’écouter (dans les transports ou en épluchant les légumes, c’est comme ça que j’écoute pas mal de textes 😉 ) en podcastant par exemple à cette adresse.
Je crois que je n’ai lu que des adaptations !
Quand j’étais gamine, il y avait pas mal d’adaptations comme ça en bibliothèque verte. Aujourd’hui quand j’y pense, ça ne me plaît pas bien, mais je me dis aussi que c’est peut-être mieux que rien du tout…
J’ai relu avec beaucoup de plaisir « L’appel de la forêt » la semaine dernière. Et « Croc-Blanc » est au programme de mes relectures. J’envisage de poursuivre ensuite avec quelques nouvelles.
Excellent programme ! Je crois que quand on (re)touché à London, on a envie de s’y replonger tout à fait 😉
j’ai tellement aimé ce roman dans ma jeunesse , je le relirai avec plaisir
Et je suis sûre que tu l’apprécierais encore !
J’ai dû lire moi aussi une version abrégée étant jeune…
Il faudrait que je m’y remette, « Construire un feu » m’avait mis une belle clauqe quand je l’ai lu il y a quelques mois.
Maintenant la question c’est de savoir vers quelle édition se tourner, Libretto ou la Pléiade, la première permettant de choisir ses récits, la seconde en offrant pléthore pour un prix… moins modique !
Ça faisait un bout de temps que je me disais comme toi qu’il fallait que je m’y remette : l’anniversaire a été l’occasion toute trouvée. Perso, je n’ai pas beaucoup de Pléiade chez moi, c’est un peu aristo et ça voyage mal 🙂