Frank Mayer était trop jeune durant la guerre de Sécession pour être soldat : il n’a été que clairon. L’aventure la vraie, celle de la gâchette, c’est après qu’il l’a connue, en devenant tueur de bisons pendant les grandes années de ce qu’il appelle lui-même rétrospectivement un massacre : la décennie 1870. Et s’il a des regrets, ce n’est pas d’avoir contribué à l’extinction d’une espèce, mais bien de ne pas avoir par la suite continué à gagner de l’argent aussi facilement.
L’aventure et l’argent facile, voilà ce qui séduit le jeune Frank Mayer âgé d’une vingtaine d’années au début des années 1870. Le pays est encore en partie sauvage quand commence la course aux bisons qui n’appartiennent à personne.
« Heureusement pour nous, on avait à l’époque ce que vous n’avez plus aujourd’hui : on avait une frontière à conquérir. C’était un très bon substitut à la guerre. »
Frank Mayer s’enrichit très vite : il devient un businessman, un gars qui gagne honnêtement sa vie. Qui aurait à redire à ça ? Faire fortune c’est normal, c’est légitime. Il tue les bisons pour vendre les peaux et si c’est salissant et fatiguant, c’est honnête…
Ce tueur de bisons a vécu jusqu’à cent quatre ans, et c’est probablement dans les années 1940 qu’il se confie à un journaliste. Il a bien conscience d’avoir participé à un massacre, mais point de regret : quelle belle vie c’était ! C’est d’ailleurs pour ça qu’on l’interroge, qu’on vient récolter son témoignage d’ancien, comme l’expliquent les éditeurs dans une éclairante préface :
« Dans les années quarante et cinquante, l’époque était à la glorification des old-timers, des Anciens qui avaient vécu l’âge héroïque de la Conquête de l’Ouest – et qui commençaient à se faire rares. […] C’était aussi le temps des écrivains de l’Ouest, qui fondèrent le western comme genre littéraire à part entière. »
Nous sommes toujours aussi fascinés par ces hommes qui ont construit l’Amérique, même si moins admiratifs. Enfin pour ma part. Parce que combien d’hommes aujourd’hui encore massacrent et pillent pour le droit légitime de s’enrichir, voire même par plaisir de tenir un fusil et de donner la mort ? Les massacreurs sont à l’évidence toujours là, ils portent costume et toujours aussi bonne conscience. Si ce Frank Mayer donne envie de vomir, ces épigones sont parmi nous.
Malgré le dégoût qu’il inspire, ce témoignage est très intéressant puisqu’il décrit la façon dont vivaient les tueurs de bisons, leur organisation pratique et leurs véritables conditions de vie. Mayer se fait prolixe quand il s’agit de décrire les « dingues du flingue » et vous saurez tout sur les mérites respectifs du Sharps et du Remington. Mayer n’était pas de ceux qui tiraient les bisons depuis des trains, mais bien de ces types qui avalaient la poussière des pistes pour les traquer. Le Far West en somme, mais pas celui des westerns version John Ford, plutôt Sam Peckinpah. La violence (envers les bisons, envers les Indiens) y est décrite avec un détachement qui en dit long sur la conscience de ce vieillard admiré.
Et pas complètement dupe puisqu’il n’oublie pas de signaler que les munitions pour tuer les bisons étaient fournies gratuitement par le gouvernement, bien qu’il n’ait pas orchestré officiellement le massacre. Il s’interroge également sur sa responsabilité personnelle dans l’extinction d’une espèce, sans que cela lui pèse sur la conscience (peut-être y est-il poussé par les questions du journaliste qui l’interroge et qui ne figurent pas dans le texte). Mais après toute ces années, il décrit encore comme une distraction bienvenue dans cette vie somme toute monotone de coureur de bisons, une attaque d’Indiens : tuer des Indiens, c’est quand même plus excitant que de massacrer des bisons !
Ce texte à été publié pour la première fois en France en 2010 par Anacharsis.
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Tueur de bisons
Frank Mayer traduit de l’anglais par Frédéric Cotton
Anacharsis (Famagouste), 2010
ISBN : 978-2-914777-681 – 110 pages – 14 €
The Buffalo Harvest, première parution aux États-Unis : 1958
J’aime beaucoup cette maison d’édition…
Eh bien tu sais ce qu’il te reste à faire ce mois-ci 😉
quelle horreur! je n’ai pas assez le moral pour lire un tel livre en ce moment !
Ce n’est pas un livre très joyeux c’est vrai, mais il est très intéressant. On a fait de ces gens, ces pionniers, des héros et littérature et cinéma ont oblitéré leur violence, leur soif d’argent et leur égoïste. Ils ont abusé d’un pays qu’ils estimaient à eux, on voit ici dans quelle mesure et il est écœurant de constater qu’ils sont encore fiers…
Anacharsis, oui.
Bref, ce livre m’intéresse (mais il n’est pas à la bibli pour ce que j’en sais)
Les photos des gros ***** (censuré), hé oui ça existe toujours…
J’étais écœurée en cherchant ces photos : il y en a des sites et des blogs entiers ! Ces hommes (et même des femmes, il faut bien le dire) s’affichent tout sourire avec des tonnes de cadavres, ça me donne envie de vomir, comment peut-on se sentir fier quand on ne lutte pas à armes égales ??
J’ai croisé plusieurs fois ce livre qui m’a l’air très intéressant, mais je crois que je n’aurai pas le courage de le lire…
C’est assez rude mais vraiment très intéressant. On s’en veut d’avoir cru aux westerns étant gosse, on s’en veut d’avoir pris Tous les personnages interprétés par John Wayne et consorts pour les gentils de l’histoire…
j’ai lu il y a quelques mois un petit opuscule sur la chasse aux bisons, un vieux texte tombé dans le domaine public, je retrouve cela dans ton billet : la férocité absolue
hélas impossible de remettre la main sur ce texte grrrr
Ça c’est ballot en effet… heureusement qu’on rédige des billets sur nos lectures : ils pallient nos trous de mémoire !
Ça me fait penser à « Butcher’s Crossing », que je viens de lire, mais sans le côté fictif.
Ça donne froid dans le dos.
Cette maison d’édition, que je ne connais pas, m’intrigue grandement.
Je ne sais pas si cette maison a traversé l’Atlantique, mais concernant l’Ouest américain et les Amérindiens, elle a publié beaucoup d’essais intéressants. Des westerns aussi. Elle n’est pas assez connue, même chez nous.
Cela nous parait cruel, mais c’était au 19ème siècle. La vie n’était pas la même, ni ls connaissances, pour ce qui concerne les bisons. Quant aux indiens, comme les noirs, ce n’étaient que des sous-hommes pour eux. Oui c’est cruel (le mont est faible) et l’histoire récente montre que concernant les humains, rien n’a vraiment changé, malheureusement.
Ce livre ne figure pas dans le catalogue de la bibli départementale, j’y ai retenu Rumba d’Ongaro, Alberto. Il est marqué simplement comme non disponible, sans date… J’espère que je pourrai le lire un jour ou l’autre.
Les cartouches étaient gratuites aussi, pour tuer les indiens ?
un homme charmant 😦
Oui : un héros de l’Amérique !
Je ne sais pas si mon cœur est assez bien accroché pour lire ce roman, mais une amie a fait un reportage sur les braconniers et la chasse des éléphants, dur mais passionnant.
Ce n’est pas un roman mais un témoignage. La préface explique que Mayer a probablement été interviewé par un journaliste qui a retranscrit ses réponses sans les questions ce qui donne beaucoup de vie au récit. Mais il reste dur, scandaleux à nos yeux aujourd’hui.