Il y a peu, j’ai lu Naufragés, un texte du XVe siècle en forme de témoignage. Le marchand vénitien Pietro Querini, capitaine d’un bateau de commerce et deux autres rescapés y racontent comment ils ont survécu au naufrage de leur navire et vécu plusieurs mois avec les lointaines populations des îles Lofoten (archipel appartenant à la Norvège). A l’occasion de cette lecture, j’ai découvert que cette aventure si lointaine avait inspiré entre autres un roman, que je n’ai donc pas tardé à lire.
Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de comparer le texte écrit par Pietro Querini et ce qu’en fait aujourd’hui Benjamin Guérif sous forme romanesque. L’Histoire comme matériau littéraire. Les entorses que l’écrivain s’est autorisées ont pour but de donner une densité psychologique aux principaux personnages, en particulier le capitaine Querini. En le faisant par exemple embarquer avec son fils (alors que celui-ci est en fait mort avant le voyage) et avec un chat, il construit du sentiment autour d’un personnage dont le récit est très sec. Quand Pietro Querini raconte son aventure, il n’y en a que pour Dieu à toutes les pages. Ici, il est très peu invoqué, si ce n’est quelques « seul Dieu savait si/que… ».
Bien d’autres libertés sont prises avec le récit de Querini, des détails souvent qu’il serait fastidieux de rapporter. Mais on note que le récit des deux autres rescapés, Christofaldo Fioravante et Nicolo de Michile sont beaucoup plus inventifs tant sur le plan factuel que psychologique. Benjamin Guérif fait par exemple de Nicolo un quasi simple d’esprit, ce qui n’est pas du tout avéré dans le récit initial.
L’écrivain plonge bien plus que les rescapés le lecteur dans l’Histoire. En effet, si on ne sait pas à qui s’adressaient les récits des naufragés, il est évident qu’ils étaient destinés à leurs contemporains auxquels il n’était donc pas nécessaire de décrire ni d’expliquer un certain nombre de faits, d’attitudes, de détails. Mais pour le lecteur d’aujourd’hui, l’écrivain doit bien au contraire tout expliciter pour une meilleure compréhension : contexte et couleur locale se doivent d’être précis et évocateurs pour donner vie à cette époque si lointaine. Sans pour autant bien sûr assommer le lecteur : c’est tout l’art du romancier historique. Il faut aussi moderniser les personnages, les rendre actuels et intéressants aujourd’hui.
Ce qui fait principalement de Pietro Querini un héros moderne, c’est son indépendance de caractère et son désir de fuir la société. A l’inverse après lui des aventuriers du Nouveau Monde, il n’est pas poussé par l’argent quand il décide d’abandonner la civilisation pour aller vivre dans un monde plus naturel, moins corrompu.
C’est aussi un véritable aventurier, malgré sa femme, ses enfants et son chat. Car il faut avoir l’esprit d’aventure pour s’embarquer ainsi et faire comme Ulysse un beau voyage. C’est qu’on ne sait rien alors des contrées lointaines si ce n’est par les récits bibliques et mythologiques. Après des semaines à la dérive, est-ce Thulé ou l’Atlantide qu’on va aborder ? Le pays cimmérien peut-être ? Et ces monstres marins, sont-ce des baleines, des krakens, le Léviathan ? Le monde était neuf alors, et naïf (ou embrumé par la superstition selon comment on prend les choses…). Il rendait l’aventure possible, celle qui nécessite l’inconnu et le hasard.
Enfin, bien plus que le véritable Querini, Benjamin Guérif nous renseigne sur les populations des îles Lofoten. Ces gens vivent alors uniquement de la mer, très isolés et dans des conditions que les rescapés jugent d’abord austères voire misérables avant de comprendre l’authenticité des habitants. L’auteur semble très au fait des traditions sociales, culturelles et religieuses, des mœurs et de l’organisation économique ce qui donne de la densité aux personnages.
Pari gagné donc, on lirait bien d’autres romans historiques de Benjamin Guérif…
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Pietro Querini. Les naufragés du Rost
Benjamin Guérif
Rivages, 2007
ISBN : 978-2-7436-1717-2 – 319 pages – 20 €
Intéressant de comparer les deux livres…
Oui, tout à fait, et comme je le pensais, il y a beaucoup mon de bondieuseries dans le roman. C’est pus supportable pour le lecteur moderne, ceci dit, ça ne reflète pas la mentalité de l’époque…
une alliance pas toujours réussie l’histoire et le romanesque, je suis comme toi j’aime assez, par contre les récits de mer je suis moins adepte
Il y a des points obligés dans ce genre de récit de naufrage, c’est un peu toujours pareil, c’est sûr. Mais le plus intéressant du roman, à mes yeux, c’est une fois qu’ils ont trouvé une île où accoster.
Cela me fait penser à Jack London…
La force d’évocation n’est pas aussi puissante mais il y a de ça…
Les romans historiques – quand ils sont bien faits – sont toujours une immense source de savoir et de plaisir pour moi 🙂
Pour moi aussi !
je n’ai pas fini le premier à cause justement du côté sec mais le récit de la tempête m’avait beaucoup plu, j’aime beaucoup ta comparaison entre les deux ouvrages.
Eh bien la tempête est plus épique ici et les personnages plus incarnés : j’espère que tu le liras…
Bon bah je le note aussi, du coup, forcément.
Je suis sûre que la comparaison entre les deux textes pourrait t’intéresser aussi.