Le fou du tzar c’est Timotheus von Bock, dit Timo. Alors qu’il semblait avoir toute la faveur et même l’amitié de l’empereur Alexandre 1er, voilà qu’il est arrêté et fait prisonnier, nul ne sait où ni pourquoi. Il restera neuf ans parti, loin de sa femme et de son fils né après son arrestation. Il est relâché car déclaré fou, mais l’est-il vraiment ?
L’histoire de Timo est racontée par son beau-frère, Jacob, dans son journal intime. Il y consigne d’une part ce qu’il sait ou apprend des événements qui ont eu lieu en 1817 au moment de l’arrestation et peu avant, et d’autre part tout ce qui se passe à partir du retour de Timo en 1826. Se dessinent donc le portrait d’un jeune aristocrate atypique et celui d’un fils de paysan ayant rejoint les rangs de l’aristocratie impériale.
Car le jeune baron von Bock a épousé une simple paysanne, Eeva, l’achetant elle ainsi que son frère Jacob et ses parents, les libérant ainsi du servage. Avant que de l’épouser, il lui fait donner de l’instruction, ainsi qu’à son frère, afin que nul ne puisse se moquer de son ignorance. Dans les rangs de la noblesse estonienne, on s’accorde à penser que ce jeune von Bock a perdu la tête…
Ce n’est pourtant pas son mariage qui a valu à Timo son incarcération dans un trou de basse fosse, non. Sa faute est bien plus noble. L’empereur lui ayant fait promettre de lui dire toujours toute la vérité, Timo lui envoie un mémoire dans lequel il le traite de dictateur et de tartuffe. Il lui explique qu’il n’est entouré que de flagorneurs, que le peuple souffre et que lui, Alexandre 1er, en est responsable. Cet humaniste avant l’heure ne regrettera jamais son geste qui lui vaudra de moisir au secret pendant de longues années.
Le fou de tzar n’est pas d’une lecture haletante. Tout au long de ces quatre cents pages, il est beaucoup question de vie quotidienne au château, d’Eeva et de la vie privée de Jacob. Cette dernière n’est pas très mouvementée, puisqu’il vit au château avec sa soeur donc loin de la société qui les a rejetés. Fébrilement, Eeva et Jacob préparent la fuite de Timo après son retour, mais rien ne se passe. On s’agite beaucoup en vain et on ne cerne pas la personnalité de Timo, toujours vu à travers Jacob.
Jaan Kross est extrêmement précis, il accumule les détails qui donnent à voir certaines scènes. On imagine très bien un film tiré de ce roman, quelque chose d’un peu lent, du Bergman peut-être (pour l’introspection psychologique et les scènes familiales), ou une pièce de théâtre dans l’esprit de Tchekhov avec toute cette aristocratie et ses simagrées de classe.
La grande réussite du roman est de faire revivre l’oppression. Que ce soit pendant l’emprisonnement de Timo ou après sa libération, le poids du pouvoir totalitaire est toujours présent : on interdit, on espionne, on fouille dans la vie privée au nom d’un despote tout-puissant. Timo est l’incarnation de la jeunesse et de la liberté, un jusqu’au-boutiste qui ne transige jamais. Face à lui, Jacob le narrateur est bien fade, plus opportuniste, plus humain en fait.
Il faut lire Le fou du tzar en regard de l’époque où il fut écrit, alors que l’Estonie était sous le joug soviétique. A l’époque du roman, au début du XIXe siècle, les minorités nationales sont nombreuses et engendrent des tensions selon qu’elles sont plus ou moins près du pouvoir impérial. Cette grille de lecture cependant nous est difficile tant l’histoire de ce pays est méconnue. La lecture d’une page Wikipédia n’a pas suffi à combler mes lacunes. De tous les personnages évoqués dans ce roman, aucun ne m’était familier alors que les faits sont avérés, comme le précise Jaan Kross en postface.
Ma lecture laborieuse est plus imputable à mes lacunes qu’au manque d’intérêt du roman de Jaan Kross.
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Le fou du tzar
Jaan Kross traduit de l’estonien par Jean-Luc Moreau
Robert Laffont (Pavillons), 1985
ISBN : 2-221-05819-4 – 401 pages
Keisri Hull, première parution : 1978
Beaucoup aimé cette lecture, même si je n’ai pas tout compris (ce n’est pas vraiment nécessaire). Comme tu dis, le roman doit beaucoup à sa lenteur, à sa fausse allure de roman champêtre ou familial, qui lui donne toute sa force. Et le narrateur, assez retors, m’a semblé très habile dans sa façon de raconter.
J’ai souvent un peu de al avec ces romans qui s’étirent sans qu’il se passe grand-chose, à moins d’une grande tension psychologique. Je suis contente d’avoir découvert cet auteur et lu ce livre, mais je dois dire que ma lecture fut un peu laborieuse…
Bon tant pis, je viens de constater que ce livre est à la médiathèque… ^_^
Il semblerait que ce soit un classique de la littérature estonienne…
Moi j’aime bien ce type de romans qui vont très lentement… Et même si tu n’as que moyennement aimé ce livre me fait envie…
D’autant plus que les trois autres lectrices du jour ont bien plus que moi apprécié leur lecture 😉
Pas sûre d’accrocher mais j’en tenterais peut-être un jour la lecture s’il croise ma route 🙂
Il semblerait que je sois la seule à avoir éprouvé quelque ennui à la lecture de ce roman…
Comme tu l’as constaté avec mon billet, j’ai aimé. Et je crois paradoxalement que c’est cette lenteur que tu évoques qui m’a plu, car l’auteur l’exploite avec, je trouve, beaucoup d’intelligence. il nous installe dans un rythme et une ambiance qui rendent le lecteur susceptible d’être imprégné de son propos..
Je n’ai jamais, par exemple, réussi à lire un roman russe en entier (à part Dostoïevski) : beaucoup trop lent et long à mon goût et ce n’est pas faute de ne pas aimer les pavés, c’est l’ambiance dont tu parles je crois qui m’ennuie assez vite…
C’est très lent en effet, mais je l’ai lu alors que j’avais le temps de cette lenteur, qui ne m’a pas du tout dérangée, au contraire. Je me sentais bien dans cette histoire, dans les pensées des uns et des autres, j’avais envie d’y rester, de regarder les lieux sur une carte, pour pouvoir bien suivre, bref, j’ai aimé 🙂
Je ne suis cependant pas déçue de l’avoir lu et merci d’avoir proposé ce titre en LC. C’est le troisième auteur estonnien que je lis (après Kivirähk et Hargla) et tous sont vraiment très différents.
Ça me tente bien malgré le côté lenteur. Au moins on est prévenu. J’ai l’impression qu’il y a une littérature vraiment riche à découvrir côté Estonie. Pour l’instant, je ne jure que par Andrus Kivirähk mais il est bon de voir aussi côté littérature plus « classique ».
Tout à fait d’accord : j’aime découvrir la diversité littéraire d’un pays et « Lire le monde » m’y aide et je pense que je n’aurais jamais lu ce titre sans la proposition de Laure dans ce cadre. De Kivirähk, je n’ai lu que L’Homme qui savait la langue des serpents pour l’instant, mais je compte bien continuer à le découvrir.
C’est bien tentant quand même et je ne connais rien à l’Estonie non plus mais justement 🙂 à voir si je le trouve
Toi qui apprécies le roman russe, même l’ennuyeux, ça devrait te plaire 🙂
La lenteur, la découverte du monde estonien en ce début du 19ème me tente. Cela ferait le lien entre
Andrus Kivirähk avec les légendes estoniennes et Sofi Oksanen qui raconte l’Estonie post soviétique
J’ai adoré ce roman. Sa lenteur est à la hauteur me semble-t-il de ce qu’il dévoile : les pesanteurs d’un despotisme en train de se transformer en ordre totalitaire. Le cadre historique est magnifiquement restitué, sans pesanteurs. Bref, si je n’ai pas pu être au rendez-vous de cette LC (j’avais commencé à temps pourtant mais d’autres lectures, impératives, se sont interposées), je fais parti de ceux qui ont adoré ce roman.
Je suis ravie que cette lecture t’ait plu. Et je crois bien être la seule au final à l’avoir trouvé un peu longue…