Monsieur Spleen de Bernard Quiriny

Monsieur SpleenMonsieur Spleen est un livre mystérieux qui s’apprécie par surprise. Titre mélancolique et sous-titre énigmatique, tant Henri de Régnier est aujourd’hui au mieux méconnu. Couverture fascinante, superbe, qui annonce une époque oubliée dans tout ce qu’elle a pourtant d’attirant : tous ceux qui s’intéressent aux vieilles lunes de la littérature seront comblés.

Et les autres aussi. Car Bernard Quiriny, en guide passionnant, ouvre à tous un chemin dans la forêt luxuriante des auteurs oubliés. S’il essaie d’expliquer son choix, sa passion pour ce désormais quasi inconnu, il n’y parvient guère et en convient. Entre Henri de Régnier et lui, c’est plutôt « parce que c’était lui, parce que c’était moi » : il lui convient. Et cette exploration dans la vie et le temps de cet académicien français vaut flânerie, initiation ou excitation intellectuelle tant ce Monsieur Spleen donne envie de partir à la recherche de tous ces littérateurs oubliés.

Il faut sans doute dire quelques mots sur cet Henri de Régnier pour donner au plus grand nombre l’envie de découvrir cette biographie. Pour sa gloire (qui donc, ne fut pas éternelle), soulignons qu’il a reçu dès ses premiers poèmes, dans les années 1880, les encouragements de Mallarmé. Il fréquente dès sa jeunesse tous les cercles et salons qui comptent et finit par épouser la fille de José Maria de Heredia, pour son malheur. Le mariage ne sera jamais consommé et elle le trompera avec quantité d’hommes, dont Pierre Louÿs dont elle aura un fils.

Sa disgrâce matrimoniale ne l’empêchera pas d’écrire quelques romans légers voire alertes dans la lignée de Crébillon, des romans XVIIIe qui traduisent son goût pour le passé. Il écrit aussi des contes, des nouvelles et en 1900 il est de toutes les revues et de toutes les librairies : c’est un incontournable. Proust ne cesse de s’extasier sur sa prose et sa poésie et Gide écrit : « J’aime infiniment l’ennui même de vos œuvres  « .

Bernard Quiriny nous plonge dans ce monde perdu, d’abord sous la forme assez classique d’un portrait puis, comme l’indique le sous-titre, sous forme de notes sur divers sujets. Plaisant désordre où l’on croise Paul Valéry, Rémi de Gourmont, Léon Daudet de plus ou moins près et d’autres bien plus oubliés comme Edouard Dubus au triste destin, René Ghil, Elémir Bourges…etc. Qu’on les ait oubliés ou jamais connus, c’est un grand plaisir de partir à la recherche de ces écrivains du passé. Quelques clics aujourd’hui nous permettent de les sortir de la naphtaline, de goûter leur musique jadis appréciée, de réactiver des querelles primordiales désormais désuètes. Ah cette époque où l’on s’insultait avec classe et élégance !

Bernard Quiriny, qui s’y connaît en fantastique, tient Henri de Régnier pour « un fantastiqueur occasionnel mais admirable « . On peut tout à fait légalement podcaster et écouter certaines nouvelles d’Henri de Régnier et sombrer tout entier sous le charme d’une prose élégante qui s’orne d’une grammaire impeccable et de tournures inusitées. On sent l’homme raffiné, l’aristocrate d’hier, l’érudit des temps anciens, le créateur neurasthénique. On appréciera l’ironie de l’auteur par exemple dans « Le paradis retrouvé ».

Quant à sa personnalité, un vers la résume aujourd’hui : « Vivre avilit « . Mais Bernard Quiriny nous offre dans Monsieur Spleen un portrait bien plus riche et nuancé grâce à une érudition allégée d’humour et surtout une assidue fréquentation de ce has been.

Pour terminer un extrait qui souligne combien la prose de Régnier et celle de son biographe se marient à merveille (ils étaient faits l’un pour l’autre !). En fin d’ouvrage, Bernard Quiriny liste quelques personnages de Régnier, esquissant leur portrait en l’incrustant de citation tirées des œuvres.

Corvisot. Médecin charlatan.
Ridicule, menteur, froussard, bouffon, « rancuneux », mythomane et combinard, le médecin de Vircourt-sur-Meuse circule sur une mule nommée Gloriette. « Il aimait la maladie, non seulement pour elle-même, mais parce qu’il y voyait la source de son pouvoir ». Tenu pour un pitre par la Faculté, il a fait ses gammes de praticien en Hollande et concocte lui-même des potions louches pour ses patients. Étrangement, il arrive qu’ils guérissent.

Depuis cet ouvrage, une Société des Lecteurs d’Henri de Régnier a vu le jour, qui publie la revue « Tel qu’en songe » dont Bernard Quiriny est le rédacteur en chef ; une biographie est parue chez Fayard et les Histoires incertaines ont été rééditées chez L’Eveilleur. A l’évidence, le « vieux crouton » sort de l’ombre !

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Monsieur Spleen. Notes sur Henri de Régnier

Bernard Quiriny
Seuil, 2013
ISBN : 978-2-02-109403-9 – 272 pages – 21 €

18 commentaires sur “Monsieur Spleen de Bernard Quiriny

  1. littérateur oublié, j’aime bien cette qualification
    Je ne suis pas une grande lectrice d’Henri de Régnier mais j’ai dans ma bibliothèque un petit joyau : Altana, sa vision de Venise un petit livre magnifique

  2. Un nom qui ne m’est pas totalement inconnu. Je note cette biographie. J’ai lu un truc de Quiriny mais ça m’avait un peu lassée, il faudrait peut-être que je réessaie avec un autre titre .

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