Le coeur de la terre de Svetislav Basara

Le coeur de la terreParue aux édition Noir sur Blanc, une étude consacrée à Nietzsche. Non, ce n’est pas une blague, malgré la date de publication de ce billet. Que Le coeur de la terre ne soit pas une blague par contre, je ne le jurerais pas. Car enfin, le texte s’ouvre sur un « avertissement du traducteur » (Svetislav basara…) lequel explique qu’il ne possède qu’une traduction anglaise préfacée par Adolfo Bioy Casares, éditée par Mouphlon Bookshop Press en 2000 à Nicosie. Étranges auspices qui laissent présager du meilleur en matière de contrefaçon littéraire…

Au moment de rédiger un billet sur cette lecture, je me sens engloutie par une vague d’impuissance : résumer ce roman me parait chose insurmontable et pour tout dire, inutile. Il n’est cependant pas question de se défiler car il serait dommage de garder pour moi cette découverte. En vérité je vous le dis, ce Svetislav Basara est un hurluberlu des lettres serbes.

Je pensais pourtant m’embarquer pour quelque chose d’assez sérieux, voire complexe. Le coeur de la terre nous entretient en effet du séjour que fit Friedrich Nietzsche en 1882 à Chypre. Le sujet n’est pas loin d’être un scoop puisque personne, absolument personne ne savait que le philosophe moustachu y avait séjourné. On le croyait alors en Sicile.

En fait, il s’est rendu dans cette île afin de se déwagnériser. Processus d’autant plus compliqué qu’il s’agit aussi d’échapper à un complot fomenté par Freud et Lou Andreas Salomé en vue d’épouser cette dernière. Et ça, il ne veut pas, à l’inverse bien sûr de tout ce que racontent les biographies officielles. Non, le grand Nietzsche ne s’est pas humilié deux fois à demander la main de cette aventurière. Au contraire, c’est elle qui l’a supplié mais effrayé par l’abîme, il a dû refuser. Et l’abime dont je vous parle, celui de  » Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi  » n’est pas métaphysique mais bien gynécologique, on ne le sait pas assez…

Il s’agit ici de rendre à Nietzsche ce qui est à Nietzsche, de faire la lumière en quelque sorte autour d’un homme dont la mémoire est chaque jour bafouée. Comment peut-on affirmer qu’il est à l’origine du national-socialisme alors qu’on ignore qu’il portait une moustache postiche ! Oui, ce qui le rend authentiquement nietzschéen n’était qu’un leurre ! Pour échapper à Wagner une fois encore. Car le véritable inspirateur du nazisme c’est bien le compositeur allemand jadis un ami.

A coups de fausses lettres, d’anachronismes et même d’une interview d’outre-tombe, Svetislav Basara écrit une biographie réjouissante. En forçant moins le trait, on aurait même pu croire à certaines de ses divagations. Mais enfin, le second cerveau de Nietzsche  » conçu dans un acte de volonté pure  » ? La tribu des Hurubes, peuple autochtone de Chypre servant de cibles humaines pour le tir au pigeon ? Les chèvres anthropophages ?

Le dernier chapitre du roman intitulé « L’arrière-petite-fille de Nietzsche » (oui, encore un scoop) porte en exergue une phrase de Jean Baudrillard :  » La théorie ne peut être que cela : un piège tendu dans l’espoir que la réalité sera assez naïve pour s’y laisser prendre  » (la citation est vraie, j’ai vérifié…). A savoir que tout fait, toute affirmation présentés avec un peu de sérieux semblent vrais. Ajouter des références, faire précéder une citation du nom d’un professeur attaché à une organisation ou université connue donnent du poids. L’apparat critique fait autorité, on ne s’en méfie pas assez…

Au final, qu’y-a-t-il de vrai sur Nietzsche dans ce roman ? Je serais bien incapable de le dire et d’ailleurs peu importe. Le coeur de la terre est une biographie iconoclaste et une fois que vous l’aurez lue, vous n’ouvrirez plus une biographie sans méfiance.

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Le coeur de la terre (Étude sur le séjour de Nietzsche à Chypre)

Svetislav Basara traduit du serbe par Gojko Lukić
Noir sur Blanc (Notabilia), 2017
ISBN : 978-2-88250-452-4 – 399 pages – 22 €

Srce zemlje, première parution : 2004

19 commentaires sur “Le coeur de la terre de Svetislav Basara

  1. Notabilia c’est noir et blanc en poche? Pour l’instant j’ai emprunté un livre Noir et blanc, mais ça peut encore changer…

  2. Oh, mais ça a l’air vraiment extra, ça ! Et le fait que je ne connaisse absolument rien à Nietzsche ne paraît pas un obstacle insurmontable… Je trouve intéressante cette approche qui tend à se jouer des autorités dites scientifiques…
    En tout cas, c’est chouette de mettre l’accent sur les éditions Noir sur blanc (dont J’adore les couv !)

    1. Lecture très étrange. Préface d’Eric Naulleau, prétendu avertissement du traducteur, prétendue préface de Bioy Casares, mais bon, je m’attendais quand même à lire une sorte de biographie de Nietzsche (et m’inquiétais un peu de ne rien savoir de la vie du grand homme…). Et puis ça tourne bizarre rapidement, on se demande ce qu’on lit…
      Et si tu as un livre des éditions Noir sur Blanc sur tes étagères que tu n’aurais pas lu, n’hésite pas à te joindre à nos lectures de ce mois d’avril 😉

  3. Ce titre ne me tente pas… je participerai bien à l’éditeur du mois d’avril en revanche : j’ai prévu de lire un roman polonais (ou roumain ? Je ne sais plus, mais il est d’ores et déjà sur mes étagères !).

    1. J’ai aussi un Polonais (et un français) prévu. J’espère que ça ira mieux que le mois passé qui m’a vu abandonner plusieurs lectures…

  4. Bien sûr, ça me plaît (étonnant, non ?).
    J’ai commandé trois livres de Noir sur blanc (c’est un éditeur que j’aime bien) et j’ai entamé ma lecture, mais gros pavé, il va falloir attendre pour avoir le billet.
    Et pour l’anecdote, j’ai trouvé La Fosse aux ours au Salon du Livre. Vu le mal que j’ai eu à commander leur livre, je me suis ruée sur le stand et j’ai acheté deux livres !

    1. Je regrette un peu quand même de ne pas y être allée… mais bon, je préfère mettre 100 euros dans l’achat de livres que dans la SNCF… bien sûr, j’aurais aussi aimé rencontrer des éditeurs…

  5. j’apprécie Nietzsche mais je crois que je vais préférer le dictionnaire qui vient de sortir ce qui ne m’empêche pas d’apprécier les éditions Noir sur Blanc

    1. Je suis, depuis longtemps, fâchée avec la philosophie… sauf quand elle m’est contée par des écrivains comme Basara !

  6. Je me souviens avoir calé sur les nouvelles de Perdu dans un supermarché du même auteur (il m’a perdue aussi)… aussi ne suis-je pas trop empressée de te suivre, mais pourquoi pas si ej le trouve à la bibliothèque.

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