La Révolution a besoin de leaders, de discours et d’argent. Sans argent, point de libération du travailleur et l’exploitation capitaliste continue. Les gens de la Junta le savent bien : il leur faut toujours plus d’argent pour sensibiliser l’opinion américaine, mobiliser les partisans et faire avancer aux États-Unis la cause révolutionnaire face à la dictature de Porfirio Díaz et à l’hégémonie capitaliste. Même pas d’argent pour des timbres, alors pour des armes…
Et voilà qu’arrive de nulle part le mystérieux Felipe Rivera, prêt à tout pour la cause, y compris frotter le parquet. Les révolutionnaires, méfiants par essence, lui font faire les sales besognes. Mais bientôt, il ramène on ne sait d’où les fonds nécessaires. Lèvres fendues et nez encore sanguinolent, il donne l’argent et se tait. Qui est-il cet homme qui n’a rien, si ce n’est ses poings ?
Sur le ring, on ne sait pas non plus pourquoi Rivera se bat. On ne sait pas pourquoi il cogne avec tant de hargne, pourquoi il encaisse, pourquoi ce petit Mexicain veut affronter le champion des légers Danny Ward. Une demi-portion face à un as du ring…
Il y a bien plus en jeu qu’un combat de boxe, bien plus que cinq mille dollars. Il a y un « athlète accompli », un Américain blanc de vingt-quatre ans, contre « un rat mexicain ». Le bien nourri, sûr de son bon droit et acclamé contre le révolté, l’enfant affamé, l’orphelin, celui que l’injustice et la faim ont forgé. Rivera est devenu une boule de haine et sa motivation va au-delà de la fierté : il veut détruire l’oppresseur.
Ces maudits gringos étaient tous contre lui, ils ne reculeraient devant aucune injustice à son égard. Tout au long de son calvaire, des images continuaient de défiler dans sa tête : d’interminables lignes de chemin de fer, étincelantes au soleil du désert ; des rurales et des policiers américains ; des geôles de toute sorte et des camps de détention ; des vagabonds regroupés autour de citernes d’eau… Tous les épisodes sordides de sa périlleuse odyssée, après la grève noyée dans le sang à Río Blanco. Puis, il vit la révolution dans toute sa gloire – rouge et resplendissante -, la révolution qui allait se propager dans son pays martyr et briser le joug du tyran.
Dans ce combat dès lors se joue la révolte d’un peuple. Les deux adversaires ne partent pas à égalité de chances : le Blanc est acclamé, mieux préparé, arrogant ; l’arbitre, ce garant des lois, favorise ouvertement le plus fort. Rivera est seul, n’a pour lui que lui-même, ses convictions et des générations opprimées, exploitées. Il se bat pour un idéal qui dépasse l’humain. Avec Rivera, la révolution est en marche et elle va venir à bout des compromissions et du capitalisme.
Pour Philippe Jaworski qui a supervisé la parution en Pléiade des oeuvres de Jack London, ce dernier est le romancier du combat : « l’homme et la nature, l’homme et l’homme, l’homme et l’animal, l’animal et l’animal, l’homme se battant contre lui-même. À chaque fois, il installe dans ses récits une situation de confrontation qui monte vers un point de paroxysme. » « Le Mexicain » est donc un texte essentiel qui symbolise une vie de lutte et d’engagement.
La plume de Jack London s’arme contre l’oppression et l’injustice : c’est l’écrivain engagé dans toute sa splendeur, qui ne craint pas de mettre sa notoriété au service d’une cause et d’exposer ses convictions.
On regrette dès lors que celles-ci aient tant varié et que plus tard, London soutienne la politique américaine au Mexique tout en tenant des propos racistes à l’encontre des populations indigènes. Et on se souvient qu’il se proclama blanc avant tout, socialiste ensuite… Rivera serait-il le London luttant contre la misère sociale et l’injustice, l’homme libre armé de sa rage et d’un idéal humain supérieur à toute compromission, tandis que Danny serait l’autre London, installé, propriétaire, blanc et arrogant ? « Le Mexicain » comme mise en scène des contradictions personnelles de l’écrivain ?
En lui-même, ce court texte reste aussi fort qu’un uppercut de Rivera. Il y a de la rage et de la conviction dans ces lignes, de l’audace même puisque paru dans le Saturday Evening Post, il est destiné au lectorat américain. En 2007, c’était le premier texte publié par les éditions Libertalia qui dix ans après nous en proposent ici une nouvelle traduction nerveuse et rythmée.
Jack London sur Tête de lecture
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Le Mexicain
Jack London traduit de l’anglais par Philippe Mortimer
Libertalia, 2017
ISBN : 9782377290037 – 75 pages – 5 €
The Mexican, première parution : 1911
Oh je ne connaissais pas du tout ce titre de Jack London ! Rien que le titre me rend curieuse et la thématique, qui reste universelle et intemporelle, me parle bien.
Il y a de plus en plus d’éditeurs qui publient ce genre de livre : une seule nouvelle dans une belle édition enrichie (ici nouvelle traduction, préface et postface). Ce sont autant de petites perles.
Intéressant, bien que la boxe me laisse de glace, j’aime London 🙂
La boxe semble inspirer pas d’écrivains. Elle ne m’intéresse pas plus que toi mais London l’utilise ici pour révéler bien des choses.