Farallon Islands d’Abby Geni

Farallon IslandsAh la nature, les paysages sauvages, les grands espaces nord américains ! Le nature writing nous en a abreuvé jusqu’à plus soif et je n’ai personnellement pas été longue à rassasier vu mon peu de penchant pour la chose. Avec Farallon Islands c’est à une autre nature qu’on à affaire, proche de celle de Sukkwan Island (peut-être est-ce dû à l’insularité…) : hostiles et bientôt inquiétantes, ces îles au large de la Californie ressemblent à l’enfer sur Terre, ou peu s’en faut.

Il y a pourtant là de très nombreux animaux, à l’état sauvage : quantités d’oiseaux, des éléphants de mer et dans les eaux littorales des requins et des baleines. Y vit également une poignée de scientifiques qui étudient les animaux en question. Dans une maison spartiate et communautaire, ils mangent et dorment, passant le reste de leur temps à crapahuter et observer. Ils interfèrent le moins possible avec la nature et les animaux. Et malgré la grande promiscuité, chacun garde une part de mystère qui à la faveur d’événements tragiques se transforme en menace.

Miranda est photographe de nature. Après de nombreux périples à travers le monde, un appareil vissé à l’œil, elle a obtenu l’autorisation de photographier la faune sauvage de ces îles atypiques pour un séjour d’un an.

Photographe, nomade, orpheline de mère. Une épistolière, laissant derrière elle une traînée de papier et de mots partout dans le monde, comme celle d’un avion. Une artiste avec un appareil photo en guise de cerveau : froid, précis, calculateur. Une femme en noir.

Quand le lecteur découvre Miranda dans le prologue de Farallon Islands, elle quitte l’île après un séjour plus que mouvementé. Elle la fuit. Le roman raconte ce séjour sous forme de lettres que Miranda adresse à sa mère morte vingt ans auparavant. La jeune femme n’a pas été mal accueillie mais la chaleur humaine ne caractérise pas non plus les relations entre les scientifiques présents sur l’île.

Au contraire.

L’ambiance s’y fait de plus en plus pesante, un cadavre est retrouvé et le séjour de Miranda tourne au huis-clos angoissant. Elle-même sera agressée et verra disparaître d’autres personnes dans des conditions terribles. La suspicion règne et il faut se méfier des animaux et des hommes, car à l’évidence, le requin n’est pas le plus dangereux des prédateurs.

La jeune Abby Geni traduit aussi bien la souffrance intime de Miranda que la complexité des rapports humains. Elle sait installer une tension croissante entre les différents personnages et créer un climat d’oppression lié à l’environnement. L’espace extérieur est au moins aussi inquiétant que l’intérieur. Miranda n’a plus ni aide ni repère et cette femme blessée va devoir dépasser sa souffrance pour tenir. Et affronter la peur.

Mais les pires sont les goélands. Ils tuent pour se nourrir. Ils tuent pour le plaisir. Ils tuent sans raison valable. Ce sont des tueurs professionnels. Ils tournoient au-dessus des îles, le bec ensanglanté et une lueur folle dans les yeux.

On appelle ces bêtes-là des mouettes, mais ce sont des goélands, des bestioles capables de vous gâcher un pique-nique en bord de mer (dans le meilleur des cas). Après lecture de Farallon Islands, vous y réfléchirez même à deux fois avant d’aller faire trempette. Car c’est un livre capable de vous traumatiser. Et de remettre l’homme à sa place dans la nature : l’homme réduit à lui-même (non armé) n’a à l’évidence pas sa place au milieu de ces animaux et de cette nature battue par les vents et la mer.

Le plus surprenant reste que malgré toute l’hostilité et le danger omniprésent, on perçoit le charme sauvage de ces îles. La nature à l’état brut, préservée de l’humain est capable de régénérer Miranda, de la faire se confronter à elle-même, à son corps, sans masque ni béquille. Elle ramène au primordial.

C’est donc un beau premier roman que nous offre Abby Geni, qui renouvelle à la fois le thriller et le nature writing. Même si elle avoue ne jamais s’être rendue sur ces îles (qui ne se visitent bien sûr pas et n’accueillent pas de scientifiques à l’année, à l’inverse de ce qu’elle écrit pour les besoins du roman), elle y transporte le lecteur par la magie du verbe et de l’imagination. Ce dont je me contenterai, personnellement…

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Farallon Islands

Abby Geni traduite de l’anglais par Céline Leroy
Actes Sud, 2017
ISBN : 978-2-330-07838-6 – 380 pages – 22,80 €

The Lightkeepers, parution aux États-Unis : 2016

13 commentaires sur “Farallon Islands d’Abby Geni

  1. J’aime bien le début du billet, un peu sarcastique. ^_^ Mais comme toi, je ne veux pas de nature hostile (mon chat quand il m’attaque, ça me suffit -la bête est spéciale)

    1. On en arrive à se demander si le goéland n’est pas comestible… mais certainement non, sinon on en proposerait dans les restaurants de bord de mer…

  2. Ah ! Le nature writing !!!!! Une sacrée étiquette que l’on a collée partout, et même sur de très bons romans … Et les goélands sont en réalité des bêtes féroces, le truc du pique nique, je l’ai vécu à Saint Malo d’ailleurs. Depuis, je ne mets plus les pieds sur la plage (en plus, il n’y a pas d’écrivains sur la plage …)

    1. Moi je l’ai vécu en Grande-Bretagne, sur le St Michael’s Mount : la bestiole a arraché son sandwiche au pain de mie des mains de ma gamine, on en est tous restés sans voix quelques secondes… C’est un truc inoubliable qui effectivement te vaccine (déjà que je n’aimais pas la mer, ça n’a rien arrangé…).

  3. Un mélange thriller-nature writing, voilà qui pourrait me convenir. Les goélands sont terribles quand tu les vois arriver sur ton sandwich en piqué, pas moyen d’être tranquille, ils ne lâchent rien.

  4. intéressant lorsque nature et humains se liguent un peu question hostilité
    je prends note de celui là mais avec un peu de prévention car pour ma part je n’avais pas aimé du tout Sukkwan Island

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