Ça tome 2 de Stephen King

Ça tome 2Ces quelques lignes sont plus des pistes de réflexions sur ce qui choque et scandalise dans Ça plutôt qu’un résumé, que l’on trouvera dans mon billet sur le premier tome.

S’agit-il de peur ? Grippe-Sous le clown fait-il peur ? Il est certes inquiétant et peut effrayer des gamins de onze ans. Mais Ça n’est pas un livre pour gamins de onze ans, on est souvent un peu voire bien plus vieux quand on le lit. Alors, fait-il peur ou comprend-on assez rapidement qu’il incarne la peur, toutes les peurs (qui culminent au final avec l’Araignée, phobie largement partagée) ?

Est-ce qu’on n’aurait pas plutôt raison d’avoir peur des trois jeunes Américains qui frappent Adrian Mellon, homosexuel, puis le jettent dans la rivière où il meurt, sans l’aide d’aucun clown ?

Henry Bowers, l’ennemi juré du club des Ratés, est enfermé dans un hôpital psychiatrique. On comprend que gamin, il a été utilisé par Ça pour venir à bout des sept amis et qu’il le sera encore devenu adulte. C’est parce qu’il est fou que Ça l’utilise et ce n’est pas Ça qui l’a rendu fou. Ce qui l’a rendu fou c’est son père, Butch Bowers, un de ces Blancs pauvres et bas du front qu’on dit White Trash. Lui, c’est la guerre qui lui a grillé les neurones. Rien à voir encore une fois avec Ça, rien de surnaturel dans cette folie, c’est l’Amérique elle-même qui s’est chargée de fabriquer ses propres cinglés en envoyant ses jeunes gens à la guerre.

On pourrait vite fait classer Ça au rang d’incarnation du Mal. On glisserait dès lors forcément vers une explication philosophique ou religieuse dont Stephen King ne semble pas vouloir. Il place au cœur de ce second volume une scène étrange, une parmi plusieurs autres. C’est la scène de la petite fumée. Les gamins s’enferment dans leur cachette souterraine et font un feu de bois vert en espérant que l’un d’entre eux aura des visions qui permettront de vaincre Ça. Plusieurs se mettent à tousser, manquent de s’étouffer et doivent sortir mais deux commencent à planer et assistent à ce qui pourrait être l’arrivée de Ça sur Terre il y a plusieurs millions d’années. On dirait du Lovecraft, ça fait cheveu sur la soupe tant c’est étrange et totalement irréaliste, mystique.

Une autre scène également incongrue : la scène de sexe entre tous les gamins. Ils viennent d’affronter le pire tous les sept et voilà que Beverly, onze ans, s’offre à tous les garçons, onze ans également, à tour de rôle. Une tournante entre pré-adolescents, voilà qui a beaucoup choqué et choque encore les lecteurs. L’adaptation télévisée a passé cette scène délicate sous silence et il serait étonnant que le film d’Andrés Muschietti pour la Warner en fasse état. Alors qu’il était jusqu’à présent question d’amitié, de liberté, de rêves et de puissances mauvaises qu’il faut combattre si on veut s’accomplir, voilà que Stephen King nous sert une scène de sexe très dérangeante à la toute fin.

Peut-être cherche-t-il à nous dire qu’il y a des peurs qu’on ne peut pas vaincre ? Qu’il y a des tabous dont on ne se débarrasse pas ?

On peut vaincre sa peur du noir en grandissant. On peut arriver à se « débarrasser » d’une maman qui aime trop, qui aime mal en la comprenant. Eddie comprend pourquoi sa mère l’infantilise et il l’accepte en gardant son inhalateur. Ben comprend que c’est sa mère qui a fait de lui un gros lard et qu’il pourra se débarrasser de ses kilos en trop sans pour autant la détester. Beverly ne cesse d’affirmer qu’elle aime son père qui la frappe. Elle va cesser de se mentir et comprendre ce que c’est que d’aimer vraiment en se donnant à tous ses amis.

De très nombreux lecteurs américains (et autres) ont crié au scandale en raison de cette scène de sexe entre une fille et six garçons de onze ans. Beaucoup se sont focalisés sur cette partouze dont les gamins ressortiront tous ravis mais qu’ils oublieront très rapidement. Pourtant, le vrai scandale dans Ça c’est Tom Rogan frappant Beverly encore et encore jusqu’à manquer de la tuer ; ce sont des habitants qui laissent trois gamins en démolir un autre en pleine rue ; c’est la Légion de la Décence mettant le feu à un club noir, brûlant vives plusieurs dizaines de personnes ; c’est le lynchage d’un type qui n’a pas la bonne couleur de peau ou qui n’aime pas « comme il faut ». Tout ça existe, on le sait et on ne s’en scandalise pas. Par contre, le sexe entre pré-adolescents, on ne veut pas que ça existe et on s’en scandalise.

Ces sept gamins affrontent des événements qu’aucun autre gamin n’affrontera jamais, puisqu’ils sont irrationnels, fantastiques. Ils affrontent également des dangers bien réels, le plus souvent à cause d’adultes. De ça, personne ne se scandalise. Mais ce qui choque, c’est qu’ils fassent l’amour ensemble avec plaisir. On reproche à Stephen King de leur faire affronter l’Amour, pas le Mal. De tout cela on peut conclure que ce qui fait vraiment peur dans Ça, c’est le sexe alors que c’est tout le reste qui est effrayant.

Plusieurs scènes dans le roman racontent des massacres, parfois de véritables boucheries qui ont eu lieu à Derry et dont curieusement les journaux n’ont pas parlé (lynchages, meurtres d’enfants…). Ces meurtres de masse traversent l’histoire de Derry depuis sa fondation mais personne ne s’en émeut au point même qu’ils peuvent se dérouler en plein jour. Personne ne s’émeut plus d’un homosexuel battu et jeté à l’eau ; personne ne vient aider Beverly poursuivie par son père fou furieux ; personne n’empêche les Blancs de mettre le feu au club noir : le Mal est là, banalisé.

Il est malin ce Stephen King, il nous colle le nez dans nos incohérences, nous montre du doigt ce qui vraiment ne va pas dans notre société.

Entrer dans l’âge adulte, c’est régler ses comptes avec ses parents et découvrir la sexualité. C’est couper un lien comme plusieurs scènes le montrent. Mais c’est aussi accomplir ses propres désirs, même s’ils vont à l’encontre de ce que les autres adultes estiment être bien ou moralement correct. Les jeunes héros de Stephen King n’entrent pas dans l’âge adulte au sens où ils ne deviennent pas des adultes raisonnables. Il les veut avant tout désirants : capables d’amour et de désirs. De rêves et de défis fous. Pas submergés par le travail, les impôts, le mensonge, les crédits. Vaincre Ça, c’est vaincre ces adultes-là, c’est se battre contre celui qui tue l’enfance en tuant l’imagination.

Se pouvait-il que Ça protège du simple fait que, comme les enfants deviennent des adultes, ils deviennent également soit incapable d’un acte  de foi, soit handicapés par une sorte de dégénérescence spirituelle, une atrophie de l’imagination ?

Imaginer, c’est l’inverse de croire. Croire c’est être passif tandis qu’imaginer, c’est créer. Et peut-être que c’est ça devenir adulte : cesser de croire et commencer à imaginer.

Stephen King sur Tête de lecture.

.

Ça, tome 2 (It, 1986), Stephen King traduit de l’anglais (américain) par William Desmond, Le Livre de Poche, avril 2017, 638 pages, 8,60€

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s