Le ciel ne parle pas de Morgan Sportès

Le ciel ne parle pasIl y a foule de nos jours pour s’intéresser au sort d’un jésuite portugais du XVIIe siècle. Suite au récent film de Martin Scorsese, j’ai lu Silence qui retrace le périple de deux jésuites partis à la recherche de leur maître apostat, Christophe (Cristóvão) Ferreira. Ce roman écrit en 1966 par un chrétien japonais a une tonalité dramatique, presque douloureuse : pour l’auteur, il marque l’échec de la foi chrétienne au Japon. Morgan Sportès s’inscrit dans une tout autre optique. Il n’est à l’évidence pas croyant et semble trouver avec ce jésuite ayant renié sa foi une bonne occasion de railler si ce n’est de se payer une tête de Turc, ou en l’occurrence de catho.

Alors que Shûzaku Endô s’intéressait plus particulièrement au périple de Sébastien Rodrigues, Morgan Sportès embrasse une période plus large et se concentre sur le maître. Il s’agit ici de retracer les années d’apostat, à partir de seize cent trente trois jusqu’à sa mort en seize cent cinquante (Morgan Sportès écrit ainsi les dates en lettres, c’est rapidement pénible car elles sont nombreuses…). Il était arrivé au Japon en 1609 et avait passé des années dans la clandestinité puisqu’à partir de 1614, les Japonais interdisent aux missionnaires de prêcher.

Les missionnaires catholiques furent à partir de cette date poursuivis. S’ils étaient pris, ils devaient apostasier sous peine de torture puis de mort. Pour de nombreux missionnaires catholiques, c’était un appel au martyre sur les traces de saint François Xavier, évangélisateur du Japon mort martyr en 1552. Quand au Portugal on apprend l’apostasie de Ferreira, maître des jésuites, l’enthousiasme décuple : tous veulent se rendre au Japon pour faire revenir leur maître dans le droit chemin.

… des religieux par centaines, jeunes surtout, prêtres et novices, se pressaient (tels des groupies hystériques réclamant un autographe à leur rapper favoris) aux portes des évêques et cardinaux, afin d’obtenir l’autorisation de « partir au Japon pour y mourir ». On ne rêvait que de fouet, de croix, de bûcher, de fosse, de gril, de pal, d’aiguilles qu’on vous enfonce sous les ongles, de ces centaines de litres d’eau qu’on vous oblige à ingurgiter avec un entonnoir, puis à recracher en vous piétinant le ventre…

Morgan Sportès se penche de façon très ironique sur Ferreira. Celui-ci, en plus d’avoir renié sa foi, a écrit ensuite un pamphlet antichrétien qui fait la joie de l’auteur. Il se moque avec un évident plaisir de tous ces jésuites et autres missionnaires qui se fourvoient au Japon, ne connaissant rien du pays et de ses traditions. Les scènes de martyre sont quasi comiques.

L’ironie de l’auteur ne s’arrête pas aux missionnaires puisqu’il fait également un portrait à l’acide des commerçants portugais et hollandais qui se tirent sans cesse la bourre pour gagner le plus d’argent possible en débinant leurs adversaires. Au-dessus de ces dissensions européennes, les shoguns redoublent de machiavélisme, d’inventivité dans la torture, jusqu’à définitivement fermer le pays.

Morgan Sportès a consulté beaucoup de textes d’époque, récits de voyageurs ou lettres de missionnaires par exemple. Le contexte économique, social et politique est très précis et vivant. Ce qui m’a beaucoup gênée, c’est le ton qu’il emploie, constamment moqueur voire cynique. Je ne suis pas plus croyante que lui mais j’ai du mal à comprendre cette constante dérision. Oui les missionnaires étaient des exaltés, oui qu’un maître jésuite renie sa foi est une pierre dans le jardin des catholiques mais je trouve qu’il est intellectuellement plus fécond de s’intéresser au pourquoi plutôt que de railler sans cesse.

Pour bien faire comprendre son humour et la situation incroyable qu’il évoque, Morgan Sportès fait grand usage du point d’exclamation, des guillemets et des italiques. Il choisit également la phrase à rallonge, agrémentée de parenthèses, mais n’est pas Philippe Jaenada qui veut.

Tout ça – à quoi l’on s’était trop longtemps habitué au Japon – ne pouvait plus durer ! Il fallait sévir ! Pour l’année mille six cent trente-six, Iemitsu concocta aussi, avec son brain-trust, un « coup tordu » de sa spécialité à l’intention des « arrogants messieurs de Macao » dont les galiotes devaient arriver très prochainement, en août, à Nagasaki : car, quelle que fût la gravité de la situation politique, les affaires (business as usual !) se poursuivaient allégrement. Ce fut sans doute le plus spectaculaire de ses « mauvais tours ».

Il pratique également l’analogie anachronique (comparant par exemple les candidats au martyre à des groupies hystériques) censée faire rire mais qui est juste une autre forme d’irrespect.

Je m’interroge sur le choix de Morgan Sportès de s’intéresser à une religion qu’il dénigre sans cesse et à des Japonais qu’il ne semble pas beaucoup apprécier non plus. J’aimerais comprendre ce qui poussait ces missionnaires, comment certains supportaient le martyre pendant des jours jusqu’à la mort et pourquoi d’autres ont apostasié. L’idée d’un club des Apostats présidé par Ferreira devenu inquisiteur anti-chrétien au service du shogun plaît beaucoup à Morgan Sportès mais n’apporte pas grand-chose quant aux motivations de celui-ci.

Ce roman procède donc à l’inverse de Tout, tout de suite, précédent roman de Morgan Sportès qui invitait à la réflexion et était respectueux des personnages et des faits évoqués. Pourquoi ces hommes, victimes de leurs tortionnaires japonais, n’ont-ils pas droit à un peu de la compassion et de la rigueur témoignées pour le jeune Juif frappé à mort par des jeunes de banlieue ?

J’ai donc apprécié la précision historique de ce roman et la clarté des faits rapportés. La situation politique, pourtant complexe, est bien explicitée. Par contre, la constante raillerie m’a beaucoup déplu car non seulement elle ne m’a pas amusée mais en plus, je n’en ai pas compris l’utilité.

Morgan Sportès sur Tête de lecture

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Le ciel ne parle pas

Morgan Sportès
Fayard, 2017
ISBN : 978-2-213-70445-6 – 313 pages – 20 €

11 commentaires sur “Le ciel ne parle pas de Morgan Sportès

  1. Je ne crois pas que j’apprécierais ce ton railleur non plus. Sans être croyante, il y a dans la force de la foi ( tant qu’elle n’est pas fanatisme) quelque chose que je trouve fascinant et qui, m’étant étrangère, quelque chose que je cherche à comprendre, notamment à travers les romans. Ce pourquoi, j’avais noté Silence, d’ailleurs. Je crois qu’on lit souvent pour aller voir derrière, pour pénétrer dans un univers où l’on ne pourra jamais mettre les pieds. Alors, si c’est pour que l’auteur se moque de son propre sujet, je ne vois pas l’intérêt de la démarche, sauf à surfer sur une sorte de mode ? Et pardon pour les évidences sur la lecture !

  2. Tiens, c’est marrant, je parle du même mais je n’ai pas la même lecture : oui Sportès est souvent cynique et ironique, mais pas réellement moqueur ni irrespectueux, plutôt désabusé (par rapport à la situation actuelle, aussi)

    1. Oh Caroline, tu ne peux pas dire qu’il ne se moque pas, honnêtement !? Il se paie vraiment la tête de bien des jésuites et semble y prendre beaucoup de plaisir. Tant mieux pour lui. Sur la longueur pour ma part, j’ai trouvé ça très lassant…

  3. J’ai commencé la lecture de ton billet en me disant qu e je lirai ce livre mais comme toi j’ai besoin de respect quand on parle de la croyance , sauf quand la croyance est elle-même irrespectueuse des valeurs humaines : djihad, croisade, guerre de religion.

  4. Ce n’est pas tant l’humour noir qui m’a gêné dans ce livre. Même si historiquement parlant il est d’une grande richesse, Morgan Sportès m’a clairement perdu dans toutes ces dates, et tous ces détails… et puis si l’on connait mal cette période il faut quand même procéder à quelques recherches pour raccrocher tous les wagons.

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