Ma reine de Jean-Baptiste Andrea

ma reineLe gamin n’a pas de nom, pas de nom connu du lecteur. Viviane qu’il rencontre sur le plateau l’appelle Shell parce qu’il porte un blouson de station-essence, mais il est plus connu au village comme « l’idiot du pont des Tuves ». C’est qu’il n’est pas tout à fait comme les autres ce gosse, il ne comprend pas tout bien et d’ailleurs à l’école, on ne veut plus de lui.

Quand on conseille à ses parents, qui tiennent une station-service en fin de vie, de le placer dans un centre spécialisé, il décide de partir à la guerre pour prouver du haut de ses douze ans qu’il est un homme. Projet rapidement abandonné en route au profit d’une amitié avec Viviane qui se présente d’emblée comme une reine. Il devra donc lui obéir en tout et ne pas poser de questions. Il dit bien sûr oui à tout, trop heureux pour une fois de ne pas être moqué ou rejeté. Et comme il ne parle pas vraiment bien, il n’a qu’à l’écouter peupler le monde de châteaux et de dragons. Il fait beau sur le plateau en Provence et cet été 1965 pourrait durer toujours…

Pour ce gamin différent que personne n’écoute ni ne considère jamais, la rencontre avec Viviane tient du rêve. Ils n’ont pour eux que la nature, quelques ruines et leur amitié et c’est tout un monde, une parenthèse de bonheur inattendu, sans parents ni adultes. Jean-Baptiste Andrea éloigne le réalisme pour laisser à ses jeunes protagonistes assez d’ampleur pour leur belle relation. Il sera toujours assez tôt pour les contingences.

C’est sans doute pourquoi il ne pousse pas à l’extrême la langue de ce narrateur qui de son propre aveu peine à s’exprimer. On se souvient par exemple de romans comme Des fleurs pour Algernon ou Enig marcheur qui reproduisent (tout au long du livre pour ce dernier) les très étranges sabirs de leur narrateur. On suit dans Ma reine un flux de pensées beaucoup plus fluide que l’énonciation.

La fragilité de Shell passe par autre chose. Ses hésitations, sa naïveté et sa sincérité nourrissent chacune de ses phrases. Il fait preuve à la fois de la sagesse des simples et d’une trop grande confiance en l’autre. Pour Viviane, qui se voit reine de l’univers, c’est la proie rêvée : il va faire tout ce qu’elle ordonne. Mais elle connaît les limites du jeu alors que lui ne joue pas. Il n’a pas les mêmes douze ans qu’elle, il est un éternel enfant, confiant et avide de beauté et d’absolu.

Quand Viviane arrivait, je sentais bon le savon et j’étais prêt à faire ce qu’elle voulait. Elle inventait un nouveau jeu presque chaque jour. Je n’avais jamais joué avec quelqu’un avant, et elle n’avait pas voulu me croire quand je lui avais dit, jusqu’à ce que je lui explique que je n’avais pas de frère, que ma soeur était vieille, que personne ne me parlait autrefois à l’école alors avec qui j’allais jouer ?

Viviane pourrait lui dire que la vie, ça n’est pas ça, car elle le sait. Mais elle choisit de vivre ces quelques semaines d’amitié si simple, loin du monde comme loin du destin et du temps.

Ma reine entraîne aussi le lecteur hors du temps. L’été 1965 en Provence, loin, très loin d’aujourd’hui et de la technologie, quand il y avait des stations services. La télé trône déjà mais elle n’a pas encore anéanti tout imaginaire autour d’elle ; les jeunes ont commencé à partir pour la ville, restent aux villages les vieux et les inutiles. Il y a là une parenthèse de temps et d’espace, une bulle propice au conte tel que Jean-Baptiste Andrea nous le propose.

Les lieux et les situations évoquent un quotidien rustique et des gens humbles que Jean-Baptiste Andrea célèbre par une poésie simple.

Le berger s’est levé, il est entré dans la bergerie et il est ressorti avec une bouteille sans étiquette et un petit verre. Il s’est rassis sur le rebord de la porte, il l’a rempli et me l’a proposé. Je sentais l’odeur de l’alcool et je lui ai dit que je n’avais pas le droit, j’avais bu une bière en douce un jour et ça m’avait fait faire encore plus de bêtises que d’habitude. Il a haussé les épaules, il a avalé le verre d’un trait et il a fait claquer sa langue contre son palais. Son eau-de-vie sentait les prés après la pluie, les fleurs mouillées, mais avec une amertume derrière qui disait que l’orage n’était pas complètement passé.

J’ai aimé la fin de Ma reine qui ne cède rien aux modes littéraires.

Tout a commencé par un malentendu, une méprise. Il y avait écrit Jean-Baptiste Andrea et j’ai lu Jean-Baptiste Andreae. Ayant apprécié certaines bandes dessinées de cet illustrateur, j’ai retenu Ma reine parmi tous les titres de la rentrée littéraire 2017. Oui mais voilà, il ne s’agit pas d’une coquetterie (certains scénaristes/illustrateurs de BD changent plus ou moins leur nom en devenant romanciers, comme Oliv(i)er Peru), mais de deux Jean-Baptiste différents. Le plus surprenant c’est leur approche assez similaire du monde de l’enfance et de l’imagination. Il y a le rêve et ses possibles, mais il y a quand même toujours la vie, comme un cauchemar.

 

Ma reine

Jean-Baptiste Andrea
L’Iconoclaste, 2017
ISBN : 979-10-95438-40-3 – 221 pages – 17 €

17 commentaires sur “Ma reine de Jean-Baptiste Andrea

  1. Ah cela aurait pu m’intéresser et j’aurais pu discuter si j’avais réalisé que l’auteur était à la forêt des livres (enfin, s’il était là avant que j’en parte, parce que j’ai vite fui)
    Pour l’histoire de l’amour, j’ai aussi réalisé que ton billet était dans lecture ecriture avec d’autres anciens (mais j’ai retrouvé celui de ton blog, je suis tenace)

    1. Difficile de répondre sans trahir, mais pour moi non, ce n’est pas un livre noir : je le trouve même lumineux. Disons qu’il comprend une certaine part d’ombre…

    1. C’est un exercice difficile en effet, dont Jean-Baptiste Andrea se sort bien : je n’ai pas douté de l’authenticité de cette voix…

  2. Un roman qui m’attend dans les étagères. Je ne sais pas pourquoi mais je peine à l’ouvrir, son auteur m’avait semblé distant lors des discussions autour de son roman (peut-être que deux timides ensemble c’est compliqué aussi) mais à force de voir les bons retours, je pense le démarrer à mon retour de vacances.

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