Hillbilly Élégie de J.D. Vance

Hillbilly ÉlégieL’élégie est un poème triste qui dit la peine du deuil ou de l’amour. Si Hillbilly Élégie exprime effectivement une douleur, celle-ci n’est pas irrémédiable puisque l’auteur, J.D. Vance se présente comme un espoir possible. Il est le Hillbilly (le plouc) ayant échappé à la fatalité qui enchaîne les Appalachiens à leur sombre destin fait de misère sociale, de néant culturel et d’absence de perspectives. Il est le pauvre Blanc qui a réussi, il en est fier. Cette position désormais dominante semble lui permettre de juger sa communauté sans bienveillance au nom de valeurs qui lui sont propres et qu’il faudrait inculquer à ses fainéants de pauvres qui ne savent que se plaindre au lieu de travailler.

C’est pour échapper à une vie « à la lisère de la pauvreté, voire dedans » que Papaw et Mamaw, les grands-parents maternels de J.D. Vance décident de quitter leur Kentucky natal pour s’installer à Middletown, Ohio. Papaw se fait ouvrier plutôt que mineur et le couple espère que leurs trois enfants feront mieux qu’eux, s’élèveront plus haut socialement. Ils croient dur comme fer au rêve américain et de fait, ils vivent beaucoup mieux dans cet Ohio, où l’industrie est en expansion après la Seconde Guerre mondiale, que s’ils étaient restés dans leurs montagnes. Ils réussissent, au sens de l’Amérique des années 60 : ils consomment plus que leurs parents.

La mère de J.D. Vance devient infirmière, elle gagne sa vie mais collectionne les maris. Sa vie sentimentale est un fiasco et ses enfants sont témoins de cris, de pleurs et d’échecs à répétition. Bientôt, elle se drogue et doit subir des cures de désintoxication. Après une prime enfance plutôt heureuse, J.D. Vance se rapproche de ses grands-parents qui vivent tout près mais sa scolarité fait des vagues. C’est pourtant auprès de sa grand-mère, Mamaw, qu’il trouvera le soutien dont il a besoin.

Pour faire court, disons que l’ascenseur social est resté coincé à l’étage grands-parents. Même à Middletown, ville industrielle pleine de promesses, la décadence s’enclenche et voilà le rêve américain qui se retourne comme une chaussette. C’est comme si ces Hillbillies avaient emmené la poisse avec eux, pensant lui échapper.

Si Hillbilly Élégie est un texte autobiographique, c’est aussi une étude (partiale) sur l’Amérique des Blancs pauvres, ceux qu’on désigne comme les laissés-pour-compte du rêve américain. J.D. Vance ne se contente pas de raconter sa vie, il fait référence à des études universitaires ou journalistiques sur les Hillbillies, la situation économique et sociale de la Rust Belt et l’évolution des mentalités. La vie de J.D. Vance vaut mieux que toute les études pour donner à voir la misère et les mécanismes de sa reproduction d’une génération à l’autre. Mais c’est bien parce qu’il a réussi à sortir de l’engrenage (en intégrant l’armée puis l’université) que le cas Vance est intéressant.

J.D. Vance se livre à une démonstration : grâce au soutien de sa famille, grâce à son travail, un rien du tout sans atout dans son jeu peut intégrer Yale et devenir avocat. Oui, le rêve américain existe encore. On se réjouit pour lui mais le Diable souffle à mon oreille que le verbe réussir pour J.D. Vance se conjugue à l’américaine, de façon bien étroite :

La vie de Gail est l’incarnation du rêve américain : une belle maison, trois enfants magnifiques, un mariage heureux et elle fait preuve d’un comportement toujours parfait.

Tout au long du livre, la vision que J.D. Vance a du bonheur m’a laissée perplexe, ce qui n’enlève rien à l’intérêt du témoignage (même si celui-ci décroît à la fin quand il s’agit de décrire sa vie à Yale et son apprentissage de ce milieu des futurs puissants qui dirigeront le monde). Pour J.D. Vance, il n’y a rien au-dessus de la patrie et il estime que la pratique religieuse rend les gens meilleurs.

Jamais cet homme qui a été marine pendant quatre ans et a servi en Irak ne remet en cause l’engagement américain pendant cette guerre. Alors qu’il analyse les raisons de la misère dans la région des Appalaches aujourd’hui, jamais il ne suggère qu’avoir des enfants à quatorze ans n’est pas le meilleur départ dans la vie. Quasi toutes les femmes de sa famille ont interrompu leurs études car elles étaient enceintes, mais il ne cible jamais cette situation comme une des données du problème. La contraception Monsieur Vance, c’est bien.

J.D. Vance souligne pourtant comment ces pauvres Blancs sont aujourd’hui les artisans de leur propre malheur. On achète un téléphone portable ou un écran géant mais on ne nourrit pas correctement ses enfants ; on revend ses bons alimentaires pour acheter de l’alcool ou de la drogue ; on préfère vivre du strict nécessaire grâce aux aides sociales plutôt que de se lever tôt le matin pour aller travailler. Le pauvre est fainéant, c’est bien connu et qu’a-t-il besoin d’un téléphone portable franchement…

Dans des endroits comme Middletown, les gens parlent tout le temps de travail. Vous pouvez traverser une ville dont 30% des hommes jeunes bossent moins de vingt heures par semaine sans trouver personne qui ait conscience de sa propre fainéantise.

En fin d’ouvrage, J.D. Vance fait la liste des « expériences négatives de l’enfance » : « subir des cris, des insultes ou des humiliations de la part de ses parents ; être bousculé(e), saisi(e) brutalement ou être la cible d’objets lancés sur vous ; sentir que les membres de votre famille ne s’entraident pas ; avoir des parents divorcés ou séparés ; vivre avec un(e) alcoolique ou un(e) drogué(e)… » D’après les études compulsées par l’auteur, ces épisodes traumatiques sont bien plus fréquents chez les Hillbillies qu’ailleurs. Et ça sonne comme un reproche. Comme si ces gens avaient envie de se faire cogner, de balancer des assiettes sur leurs conjoints ou de payer un divorce. D’ailleurs, si la mère de J.D. Vance s’est mariée cinq fois, ça n’a certainement rien à voir avec sa quête du bonheur…

Alors qu’on croyait connaître l’Amérique, celle d’Obama, c’est celle de Trump que nous dévoile J.D. Vance dans un texte qui laisse beaucoup de place à l’émotion quand il raconte sa vie. A l’évidence, il aime les siens et il est dommage qu’il se mêle aussi de faire la morale plutôt que de décrire la société qu’il connaît. Une ration de bienveillance n’aurait pas été de trop. Hillbilly Élégie donne une vision informée mais partiale d’un milieu méprisé, souvent caricaturé (par le cinéma par exemple, on se souvient de Délivrance). On le voit là de l’intérieur, vivant, aimant, violent. Il manque cependant à J.D. Vance de chausser d’autres lunettes que celles du mâle américain protestant qui rappelons-le tout de même, ne constitue pas le portrait-type du perdant aux États-Unis.

Hillbilly Élégie est donc un texte intéressant quand J.D. Vance se penche sur sa famille, quand il décrit la misère sans la juger. Mais la rengaine Travail Famille Patrie passe plus mal (sans oublier le bien que son passage par l’armée lui a fait). On se réjouit pour J.D. Vance qu’il ait réussi grâce aux valeurs qu’il s’est choisi, mais quand il méprise sa communauté qui ne les partage pas, on grince des dents.

.

Hillbilly Élégie

J.D. Vance traduit de l’anglais par Vincent Raynaud
Globe, 2017
ISBN : 978-2-211-23328-6 – 283 pages – 22 €

Hillibilly Elegy, parution aux États-Unis : 2016

13 commentaires sur “Hillbilly Élégie de J.D. Vance

  1. J’aurais aimé pour ma part connaître un peu mieux les études qu’il cite dans son récit. Le cas personnel est intéressant, on ne va pas dire que sa jeunesse fut un long fleuve tranquille, mais ses grands parents ont quand même servi de boussole/roue de secours. Ceux qui s’en sortent dans sa famille (selon les critères américains que tu cites, boulot, grande maison, grosse voiture) ont fait des études et ne se sont pas mariés avec des hillbillies.

    1. Une bibliographie en fin d’ouvrage aurait été bienvenue en effet. Il cite pas mal d’études et j’ai d’autant plus été choquée par le fait qu’il ne parle pas, jamais des grossesses des jeunes filles. Au moment où il écrit ce texte il doit avoir la trentaine et n’a pas l’air d’avoir d’enfants avec son avocate de femme, ce qui n’est guère étonnant : peu de jeunes avocates ont eu un gamin à 15 ans…

    1. Il y a pas mal de bonnes choses dans ce texte, notamment la vie de ces Hillbilles au quotidien et par quelqu’un qui l’a vécue. On mesure aussi le poids de la famille, l’indispensable soutien qu’elle représente. Mais je n’ai vraiment pas supporté sa mentalité…

    1. C’est un livre très intéressant car on découvre ces rednecks de l’intérieur et pas de façon caricaturale. C’est le point de vue actuel de l’auteur sur sa communauté qui me pose problème… disons que je ne partage pas sa façon de voir le monde…

    1. C’est pour moi un texte à lire sans aucun doute en tant que témoignage. C’est le jugement de l’auteur aujourd’hui qui me déplaît fortement.

  2. Il y a de « belles » description de ce milieu là chez Jim Harrison également (dans péchés capitaux non ?) avec peut-être un autre recul… en tout cas, j’ai bien envie de lire ce bouquin histoire de voir le point de vue, car les choses qui te choquent (la condition des femme, des jeunes filles notamment), je les vois étalées dans les romans young adult sans aucune remise en question (et dieu sait qu’elles me choquent moi aussi et que ça m’inquiète).

    1. Je te suis sur le sujet : on lit parfois des choses qui font écarquiller les yeux dans le young adult américain qui ont l’air de ne faire frémir personne. Je me souviens d’un bouquin sur les anges en littérature de l’Imaginaire où il était à l’aise question de créationnisme sans qu’aucun personnage ne vienne mettre ça en cause…

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s