Délivrance de James Dickey

Ah la nature ! Les grands espaces, le monde sauvage, la vraie vie, le vent dans les cheveux ! Bien des clichés qui en font vibrer plus d’un. Comme Lewis par exemple, trente-huit ans, une femme, trois enfants et une passion pour les sports extrêmes et le dépassement de soi. Assez de charisme aussi pour entrainer dans un week-end rafting sauvage trois potes pas forcément très enthousiastes au départ. Il faut dire que la Cahulawassee, ça n’est pas le Beuvron…

Voilà donc quatre mâles entassés dans deux canoës, partis se prouver qu’ils sont des hommes, des vrais, et qu’ils peuvent le faire : abandonner (mais pour mieux la retrouver, toujours bien confortable) leur vie citadine et dominer la nature et ses éléments imprévisibles. Et hop, un petit coup de pagaie à droite, et hop, un petit coup de pagaie à gauche : facile !

Mais tout ne se passe pas comme prévu, heureusement, sinon on aurait eu droit à un de ces ennuyeux romans nature writing sur la nature belle et sauvage. Parce qu’au milieu de ce tableau idyllique, il y a les hommes. D’abord ceux qui en haut-lieu ont décidé de noyer la vallée sous les eaux d’un barrage (ce qui a d’ailleurs motivé Lewis dans sa décision de la découvrir avant qu’il soit trop tard). Ensuite nos quatre aventuriers inexpérimentés qui font taches dans le paysage : il n’est pas question de respecter l’environnement mais de le dominer. Enfin ceux qui surgissent de nulle part, hostiles et bas du front. Ceux-là ont l’air de vivre au plus près de la nature, complètement dégénérés, de quoi calmer les fantasmes de vie loin de toute civilisation. Ces autochtones si accueillants ne sont pas sans rappeler ceux que décrivait Flannery O’Connor, ses chers voisins…

Parce que oui, nous dit James Dickey, la nature est hostile. Les hommes ont quitté leurs cavernes, leurs bois pour vivre ensemble afin d’être capables de supporter les éléments et de lutter contre la sauvagerie. Dame Nature n’est pas une bonne mère ; le bon sauvage : quelle blague ! Qu’un groupe d’humains se développe et grandisse loin du béton, de ses remparts et de ses institutions, et voilà !

C’est la queue entre les jambes que Lewis et ses amis sortiront de cette aventure, pour ceux qui s’en sortiront. Les autres s’engloutiront sous le poids des eaux et du remords, comme un tribut payé à l’état sauvage fantasmé. Et finalement c’est bien fait, ils n’ont que ce qu’ils méritent ces aventuriers du dimanche. Ils ont été blessés dans leurs corps comme l’est sans cesse la nature. Quand on aime la nature, on la laisse tranquille.

John Boorman adapta le roman de James Dickey dès 1972. Une bonne adaptation (qui ne prend pas en compte la première partie, relatant les préparatifs de l’aventure, un peu longuets) pour un bon film, bien meilleur qu’Excalibur (1981) qui n’a jamais réussi à me tirer au mieux que des éclats de rire, au pire de longs soupirs d’ennui.

Délivrance

James Dickey traduit de l’anglais par Jacques Mailhos
Gallmeister (Totem n°52), 2015
ISBN : 978-2-35178-552-2 – 306 pages – 11 €

Deliverance, parution aux États-Unis : 1970

21 commentaires sur “Délivrance de James Dickey

  1. Ahahah ! Quel rigolade ton article ! On sent ici tout ton amour des grands espaces et de la vie au grand air ! La vision de la nature par les …allez, oui, hein, c’est le mot qui me vient « bobos « , tant pis si ça peut fâcher…Il faut être un peu niais, oui, pour croire que dame Nature est bienveillante. Elle ne l’est pas plus envers nous que nous envers elle ! On s’en aperçoit tous les jours ! Délivrance, je vais le lire, celui-ci, parce que le film est un grand moment, quand même ( je n’ai même pas essayé de voir Excalibur… )Et tu as raison, la Nature, mieux vaut lui foutre la paix ! Merci pour cette agréable lecture, brève mais bien sentie ! 😀

    1. Les décors en carton, l’affreux couvre-chef de Merlin, les boucles blondes de l’angelot Lancelot, et j’en passe : ridicule de bout en bout…

  2. Je n’ai vu aucun de ces films… Ton billet hilarant me donne envie de lire ce Délivrance qui au départ ne me disait rien (eh oui) parce que ce qui m’attire, pire encore qu’un ‘roman nature writing’, c’est un ‘non fiction nature writing’, avec description coupe souffle de faucons ou de vers de terre (OK j’exagère un peu). Je sais que la nature c’est parfois cruel (mon chat et les musaraignes, bel exemple) et qu’il vaut mieux être prudent.
    Tu sais, je ne vais plus regarder le tranquille Beuvron de la même façon…

    1. Ça m’étonnerait que James Dickey ait vécu ce truc-là, mais bon, la concurrence entre mecs, les défis qu’ils lancent à eux-mêmes, ça commence quand ils tiennent debout avec celui qui pisse le plus loin et ça ne les quitte plus. Donc ça, c’est du vécu 🙂

    1. Quand je lis un livre et si c’est possible, j’aime bien me lancer dans son adaptation. Et celle-ci est très fidèle, même dans les dialogues, pour ce qui est de l’expédition et de ses suites.

  3. Ah cette nature qu’il faut dominer. Que veux-tu dans un pays où on engueule pratiquement les météorologues quand ils annoncent du mauvais temps et on demande à être remboursé quand on n’a pas pu voir le lever du soleil annoncé sur la brochure à cause de la brume ?
    En tout cas, c’est le genre de livre et de film que j’évite (l’extrait avec le joueur de banjo m’a suffi). Ton billet m’a bien fait rire, mais je trouve le sujet tellement écœurant.
    Et pour Boorman, j’ai détesté La forêt d’émeraude (le seul intérêt, c’était Charley Boorman) et bien aimé Hope and Glory.

    1. Ah, la fameuse scène du banjo ! Très troublante en fait parce qu’elle prouve que tous ces hommes peuvent très bien s’entendre, qu’ils ont quelque chose en commun en dehors de leur vie et de leurs origines sociales. C’est la musique qui les assemble, les accorde, les fait rire ensemble : parce qu’ils sont les mêmes, d’où qu’ils viennent et même si les citadins en week-end voudraient bien faire bande à part et tenir pour méprisables les dégénérés des bois.
      Belle leçon !

  4. J’ai un souvenir horrifié du film qui m’avait fait trembler des pieds jusqu’à la tête (bon, j’étais bien jeune, mais quand même), du genre insoutenable pour moi ( dans le même cran de pétrification, il y a eu « les chiens de paille »). Donc, je ne regarde pas les extraits vidéos, mais je me dis que j’ai eu tort de laisser le livre dans la librairie où je suis passée faire quelques provisions hier …
    Par contre, moi, « Excalibur », j’adore … Mais bon, je suis aussi fan de « Sissi l’impératrice », ça modère le propos !

    1. Ah Ah Ah ! Sissi ! Dans la catégorie « confidence » le film que j’ai le plus vu est certainement Peau d’Ane. La dernière fois, c’était entre Noël et le jour de l’An, à Chambord même où il a été en grande partie tourné. Donc je ne t’en veux pas pour Sissi. Par contre Excalibur, j’ai plus de mal, parce qu’il se prend au sérieux, c’est là que ça me gène le plus. Mais bon, personne n’est parfait 🙂
      Et pour te raconter un peu ma vie (puisqu’on dirait que chacun de tes commentaires m’y pousse…). Je prépare une formation en ce moment pour laquelle je regarde chaque matin, entre grosso modo 5 h 30 et 7 h 30, un film relevant des genres fantastique, horreur et épouvante. Delivranceentrant dans la sous-catégorie « survival ». Mais vraiment soft. Je vois donc des trucs horribles tous les matins et j’ai la journée pour m’en remettre…

  5. A confidence, confidence et demi ( décidément …), « Peau d’âne », comment dire ? je connais la chanson de la bague par cœur … j’ai contaminé ma fille …. ( syndrome château de la Caze ? )
    Bon courage à toi pour les trucs horribles à voir ! Le pire est quand l’homme devient « le pire sauvage » pour rebondir sur ce que tu dis de ce titre, et ce qui me reste de souvenir du film. Au moins dans « Sissi », on est peinard de ce côté là. Par contre, le père dans « Peau d’âne, il n’est pas clair, quand même !

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