Un certain intérêt pour la folie me pousse à lire des livres comme Portrait d’un cannibale : comment en arrive-t-on à manger son prochain ? A le tuer pour le manger ? Je lis pour comprendre mais malheureusement, je n’ai pas trouvé dans le texte de Sinar Alvarado réponse à mes questions. Le journaliste s’attache à bien d’autres sujets, qui pour être intéressants n’en perdent pas moins le lecteur dans des digressions bien trop longues. La construction m’a perdue elle aussi par son manque de précisions chronologiques.
Sinar Alvarado s’applique classiquement à retracer la vie de Dorancel Vargas depuis son enfance. C’est un jeune garçon puis un jeune homme en proie à des accès de rage de plus en plus déments. A vingt-sept ans, il est interné et diagnostiqué pour psychose aiguë et schizophrénie. Il a des hallucinations et peut être violent. Il sort deux mois plus tard et retourne dans sa famille. Mais il est ingérable, paranoïaque et dangereux : il fait peur aux siens. Il est incarcéré à trente-cinq ans pour vol de bétail mais pour dix semaines seulement car il est considéré comme malade et conduit à l’asile. Il sort pourtant et devient un sans-logis.
Rien de ce que je résume ci-dessus n’est raconté de façon linéaire : c’est au lecteur de reconstruire l’histoire de Dorancel. Là où elle devient compliquée, c’est quand on comprend (sur le tard pour ma part) que Dorancel a été emprisonné deux fois pour avoir mangé de la chair humaine. Il a donc été reconnu coupable de cannibalisme (sur la personne d’un certain Cruz Moreno) puis relâché et il a recommencé. Malheureusement, en l’absence de marqueurs temporels clairs, ce parcours n’est pas explicite. On ne comprend par ailleurs pas les motivations de Dorancel puisque Sinar Alvarado n’y fait jamais allusions (pourquoi tue-t-il ? Pourquoi mange-t-il ensuite ses victimes ? Les tue-t-il explicitement pour les manger ?). C’est en lisant après lecture un article en espagnol que je comprends qu’après sa sortie de prison, il a tué par vengeance celui qui l’avait dénoncé la première fois.
L’histoire de Dorancel croise l’histoire de ses victimes. Et non seulement ses victimes mais aussi de leur famille et là, ça devient vraiment beaucoup trop foisonnant pour qu’on suive clairement les destins de chacun. L’auteur mêle en un même chapitre l’histoire de victimes d’époques différentes sans qu’on saisisse ce que le procédé apporte à la narration. Pourquoi raconter le périple de la mère d’une des victimes partie vendre de la boisson à une feria à quatre cents kilomètres de là ?
A l’inverse de ce que le titre pourrait laisser entendre il ne s’agit pas du portrait d’un cannibale. Le journaliste s’attache aussi à peindre celui de ses victimes. Ce qui est en soi intéressant, car il dessine toute une partie de la société vénézuélienne, celle des pauvres voire très pauvres. Mais cet aspect est quantitativement bien plus important que le portrait de Dorancel lui-même dont finalement on ne sait pas grand-chose. Sinar Alvarado ne cherche pas à approfondir le thème du cannibalisme : qui sont les cannibales ? En existe-t-il beaucoup ? Ont-ils des traits ou des origines sociales communs ? Quelles sont leurs motivations ? A-t-on effectué des recherches à leur sujet ? Rien de tout cela n’est abordé et le voile n’est pas levé sur les mystères du cannibalisme.
On apprend par contre beaucoup sur les dysfonctionnements des prisons vénézuéliennes qui ne sont pas faites pour accueillir des malades mentaux du gabarit de Dorancel. Mais aucune structure ne l’est ce qui explique qu’il a pu être relâché et récidiver, et qu’il erre aujourd’hui encore en prison sans obtenir les soins nécessaires à sa folie.
Peut-être suis-je trop habituée à la rigueur de l’investigation à l’anglo-saxonne, mais ce texte ne m’a pas convaincue : je sors de cette lecture sans en savoir plus sur les mécanismes de cette folie bien particulière. Sinar Alvarado ne va pas au-delà des faits. S’il explore les racines sociales du meurtrier, il ne cherche pas à le comprendre, à sonder les processus mentaux du Mangeur d’hommes. Le pourquoi reste un mystère, on dirait même qu’il n’intéresse pas l’auteur. Dommage, c’était ce qui motivait ma lecture.
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Portrait d’un cannibale
Sinar Alvarado traduit de l’espagnol par Cyril Gay
Marchialy, 2017
ISBN : 979-10-95582-18-2 – 219 pages – 19 €
Retrato de un caníbal, première parution : 2005
Ouf, avec un tel titre, voilà un livre que je ne lirai pas.
On reste un peu sur sa faim, on dirait, haha ! Dommage, le sujet m’intéressait aussi. J’aime beaucoup cet éditeur sinon.
C’est le premier livre que je lis de cet éditeur et du coup, je suis assez déçue…
oui, le « pourquoi » personnel de ce « cannibale » n’intéresse pas l’auteur. Ce n’est pas du tout un livre sur le cannibalisme, mais sur la société qui s’autobouffe. C’est d’ailleurs ce que j’ai trouvé intéressant. Surtout que trouver des raisons et des pourquoi individuels à des actes de folie est en soit parfaitement impossible. Cette histoire s’apparente plus au « roman noir » qu’à une enquète psychologique.