Venezia de Pierre Bourgeade

veneziaPlongeant dans le catalogue des éditions Tristram, je découvre Pierre Bourgeade avec Venezia, bref roman paru à titre posthume. Des avis piochés ici ou là signalent que c’est un titre représentatif de l’auteur. Mieux vaut être prévenu : on plonge dans la provocation et l’érotisme sombre, mais aussi dans un art de la narration voluptueuse et sordide qui se pare de grotesque et d’élégance.

Avril 2005 à Venise, au Gubbio, un palace en effervescence. C’est qu’on y attend une milliardaire américaine octogénaire qui se fait appeler la Contessa pour son séjour annuel. Il y a là Larry Dawson, son gigolo trentenaire qu’elle entretient à l’année pour ces deux semaines passées avec lui dans la Cité des Doges. Mais la Contessa n’arrive pas et l’on s’impatiente.

Arrive une certaine Barbara Carrington, infirme clouée dans un fauteuil roulant poussée par Ingrid Lindstrom, dame de compagnie qui s’avère être son esclave. C’est que les deux jeunes filles ont des relations très particulières qui vont fasciner Larry. Il souhaitera se joindre à leurs jeux pervers, en attendant la Contessa. Quand celle-ci arrive enfin, accompagnée d’une bande de performeurs allemands, c’est pour mettre en scène sa mort dans une sorte de spectacle violent, avilissant et provocant, rejouant la Passion du Christ.

Pierre Bourgeade pratique d’une même plume le drôle et le sordide. Cette Contessa, tout comme Barbara Carrington est ridicule par bien des aspects mais elle est aussi grandiose et dépravée. Le patron de l’hôtel, le gigolo, les milliardaires débauchées fonctionnent comme des archétypes dont on peut se moquer mais ces dernières sont aussi des mystères. Leur passé qu’on entrevoit à peine leur évite la caricature : elles ne sont pas qu’excentriques, elles sont aussi fragiles ou l’ont été.

Barbara Carrington se tenait recroquevillée sur le fauteuil roulant. Elle était coiffée d’une casquette de baseball rouge portant l’insigne des New York Yankees, et avait les yeux cachés par d’immenses lunettes noires en ailes de papillon. Son visage émacié était blanc comme plâtre, mais elle avait outrageusement maquillé sa grande bouche rectangulaire, dont les lèvres barbouillées d’un rouge presque noir étaient closes mais semblaient agitées d’un tremblement nerveux qu’elle ne serait pas parvenue à maîtriser.

Comme le fait remarquer l’éditeur dans sa préface, on n’entre pas forcément facilement dans ce roman, en raison de sa thématique très particulière. Le sadomasochisme et la scatologie ne sont pas la tasse de thé de tous. Ni la mienne d’ailleurs. Ce qui fascine pourtant le lecteur amateur de Pierre Bourgeade, c’est un « alliage d’extrême crudité et de classicisme désinvolte » qui saisit dès les premières pages. Voilà un style qui se démarque et ne s’oublie pas, et pour peu qu’on fasse montre d’une curiosité toute théorique à l’égard des perversions humaines, Venezia charmera. Il choquera aussi car telle est sans nul doute la volonté de l’auteur, mais le choc est élégant et la commotion artistique. Il est des livres, comme des êtres, qui dérangent car révèlent ce qu’on préférerait ne pas connaître et qui pourtant est. Autant lever le voile avec style.

Pierre Bourgeade sur Tête de lecture

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Venezia

Pierre Bourgeade
Tristram (Souple n°23), 2014
ISBN : 978-2-36719-029-7 – 117 pages – 6,95 €

8 commentaires sur “Venezia de Pierre Bourgeade

  1. J’ai bien vu cet auteur sur la liste Tristram, mais pour l’instant je me concentre sur une autre auteur très chouette (qui aurait sa place dans Imaginaires!)

      1. C’est Nina Allan je suppose. Et comme je fais partie du jury qui lui a donné le prix, je l’ai quand même lue 🙂

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