Françoise, trente-cinq ans, est le modèle de la grande bourgeoise : école catholique, mariée jeune avec un riche banquier, deux beaux enfants et une vie monotone comme un cimetière. Comme chaque été, elle quitte son appartement parisien une semaine avant sa petite famille afin de préparer leur maison de vacances à Ramatuelle. En chemin elle assiste à une scène qui change radicalement sa vie.
Au bord de la route, deux jeunes hommes s’en prennent à une femme, la violent et la précipitent avec sa voiture du haut d’une falaise. Françoise ne dira rien. Elle décide même de ramener les deux meurtriers dans sa maison de Ramatuelle. Elle passe une semaine avec eux, les aidant à planifier un autre coup. Elle leur obéit, se soumet à leur volonté, la devance même.
Françoise fait elle-même le récit de cette semaine radicale. Elle raconte, de façon très froide, la femme qu’elle était, qui se contentait d’être au monde dans un rôle qu’elle ignorait tenir. Le choc qu’elle subit en assistant à un meurtre libère sa propre violence, trente-cinq ans de silence et de soumission déferlent tout à coup. Elle est méconnaissable, mais vivante.
Elle plonge dans l’intensité vitale du moment, au risque de tout perdre. Elle ne pense même pas au risque, jamais à son mari, ses enfants : elle est devenue une autre femme, une femme jouissante et fondamentalement égoïste. Elle ne se comprend ni ne s’explique, car Pierre Bourgeade ne cherche pas à l’élucider. Il donne à voir ce mystère fait femme sans juger. Il lui donne la parole dans un discours neutre, presque clinique qui instaure la distance.
Il choque car Françoise va à l’encontre de l’ordre établi et même des lois. Elle ne peut même pas incarner une figure de libération féminine puisqu’elle se soumet totalement à la volonté de deux hommes. Cette vie nouvelle qu’elle revendique passe par la peur, la douleur et la soumission. Dès lors, difficile pour qui que ce soit de s’identifier à Françoise. Ce qui apparait pourtant clairement dans Ramatuelle c’est que l’intensité et la vie passent par l’inconfort, la perte et l’abandon.
Françoise abandonne toute forme de docilité : elle choisit d’être complice, elle choisit d’obéir et de se soumettre. On a l’habitude de lire des histoires d’amour passionnel dans lesquelles une femme abandonne tout par passion pour un homme. Pierre Bourgeade choisit d’être bien plus sombre et plus dérangeant car rien n’excuse Françoise, rien ne la rachète. En transgressant, elle se place du côté du Mal et elle est libre. C’est un être amoral que l’on n’aime pas mais qui se laisse admirer car elle défie la morale et l’ordre social pour être elle-même quitte à en payer le prix maximal.
J’aurais vécu six jours, peut-être sept. C’est beaucoup pour un être humain, une femme surtout. Combien ne vivent même pas sept jours ?
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Pierre Bourgeade sur Tête de lecture
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Ramatuelle
Pierre Bourgeade
Tristram (Souple n°22), 2007
ISBN : 978-2-36719-030-3 – 84 pages – 5,95 €
Bon, ce n’est clairement pas un livre pour moi. Le sujet est intéressant pourtant : comment, en effet, se libérer du carcan des conventions imposées par son milieu et son éducation ? Mais, au vu de ce que tu racontes, cela ne me semble pas très crédible. Mais peut-être n’est-ce pas ce que l’auteur recherchait ?
C’est drôle, parce que finalement le livre que je viens de lire, Et soudain, la liberté, traite du même sujet. Mais alors pas du tout de la même manière ! Et j’avoue que je suis infiniment plus sensible à l’approche de ses deux auteures 🙂
Cette Françoise subit un choc violent en assistant à la scène de viol et de meurtre… dès lors, il est difficile de savoir si c’est crédible, mais c’est très fort et dérangeant…
Damned, je viens de le lire (pour l’éditeur du mois), mon billet paraîtra dans la semaine ! Un texte étrange… (mais Bourgeade aime à sortir des sentiers battus), qui intrigue, et met en effet mal à l’aise, à propos duquel j’émettrais un bémol : je trouve qu’il pâtit un peu de sa brièveté, les enchaînements de l’intrigue m’ont paru par moments trop rapides pour être vraiment crédibles.
Oui, mais la crédibilité ne devait pas être le souci de l’auteur. Sade non plus n’était pas crédible, l’important était (je crois) de mettre la littérature au service de la provocation…
Drôle d’auteur, dis donc (je ne crois pas que ce livre soit à la bibli. je me suis contentée de N Allan (et Vollman) pour ce (fructueux) mois Tristram.(dis, tu vas continuer? )
Merci pour tes participations et ta fidélité… Je dois dire que je suis un peu démobilisée, mais que mes belles lectures des éditions Tristram me motivent quand même (je ne les aurais pas faites sans cette opération…).
Le livre ne dit rien, en revanche je poussoir Keisha : « dis, tu vas continuer ? »
Si on est au moins quatre ou cinq, pourquoi pas… j’aime bien quand d’autres que moi (et grâce à moi) sortent des sentiers battus et découvrent avec plaisir.
Un texte qui a l’air très fort. Merci pour la découverte.
Bon, clairement, ce roman n’est pas pour moi… Quant à l’éditeur du mois, j’aime bien lire les billets qui s’y rattachent et découvrir ainsi des éditeurs mais pas forcément à temps pour entrer dans le cadre du mois. Ces deux derniers mois, je n’ai pas trouvé « chaussure à mon pied » mais peut-être les éditeurs suivants me parleront-ils plus !
ça a l’air étrange… quand j’ai vu le titre, je croyais que ça parlait de Johnny , moi… 🙂