De purs hommes de Mohamed Mbougar Sarr

De purs hommesTout commence dans De purs hommes par une vidéo sur Internet : des hommes fous furieux creusent la terre et sortent un cadavre de sa tombe. C’est celui d’un jeune homme soupçonné d’être homosexuel. « Ce n’était qu’un góor-jigéen ». Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il ne doit pas être enterré dans un cimetière musulman car l’homosexualité est une honte, un crime, un péché.

Ndéné Gueye, professeur de littérature française à l’université n’a d’abord pas d’avis tranché sur le sort réservé à cet homme post mortem, il afficherait même une sorte d’homophobie bon teint qui scandalise sa maîtresse, la belle Rama, sauvage, libre et bisexuelle. Mais la vidéo fait son chemin dans sa tête et l’interroge. Qui était cet homme ? Personne ne se soucie de son identité individuelle mais Ndéné se met en quête de sa famille. Avec l’aide de plusieurs intermédiaires, il finira par rencontrer la mère du jeune homme.

Cependant à l’université le sujet prend de l’ampleur. Une circulaire ministérielle interdit aux enseignants d’étudier des auteurs soupçonnés d’homosexualité. Or, le cours de Ndéné porte sur Verlaine et bientôt, ses étudiants le lui reprochent.

Chez Verlaine, j’aimais le poète, l’homosexuel m’importait peu. Mais je savais que ma réponse semblerait absurde aux étudiants. Ils ne réussiraient jamais à admettre que Verlaine ait été un homosexuel. Ils le lui reprocheraient toujours. Je les comprenais : la culture, l’éducation, les valeurs qu’on leur avait inculquées les avaient conduits à refuser de fermer les yeux sur les homosexuels. Les élèves ne pouvaient l’accepter. Ils n’iraient jamais au-delà de ce fait si grave à leurs yeux. Ils ne verraient jamais la beauté de la poésie de Verlaine, puisque sa personne était impure.

L’université n’est à l’évidence pas le lieu où s’éveille l’esprit critique.

Ndéné cherche à comprendre pourquoi au Sénégal, les homosexuels sont ainsi traités. Ce faisant il interroge différentes personnes qui dressent au fil des pages de De purs hommes un portrait de la situation. Il s’adresse d’abord à son père, vieil homme apprécié de la communauté et pressenti pour remplacer l’imam sur le déclin. Ce musulman modéré a le malheur d’appeler les fidèles à prier pour l’âme du jeune homme déterré : considéré dès lors comme trop tolérant, il ne remplacera pas le vieil imam. Et pourtant, il affirme à son fils qu’il déterrerait son corps de ses propres mains s’il apprenait qu’il était homosexuel.

On affirme à Ndéné que l’homosexualité n’existait pas en Afrique, que ce fléau a été importé par les Occidentaux. D’autres lui expliquent qu’en Afrique, on peut accepter les homosexuels discrets mais que les exubérants sont insupportables. Il existe pourtant au Sénégal des traditions anciennes qui mettent en scène des hommes travestis qui en public invitent à des danses plus que lascives.

Une minorité de góor-jigéen a fait changer toute la perception des homosexuels. En mal, bien sûr. Ils sont vulgaires, impudiques, provocateurs. Ils se marient ! Se marier ! Quelle folie… L’indiscrétion de cette petite minorité, leur irresponsabilité, font beaucoup de mal aux autres, la majorité silencieuse des homosexuels. L’homosexualité est devenue vulgaire. En tout cas, on n’en voit plus que cette part. Comme souvent, c’est une poignée de gens qui donnent d’une réalité une image fausse, au détriment du plus grand nombre. Les autres Sénégalais, la majorité hétérosexuelle, se sentent agressés. Moralement. Religieusement. Visuellement.

C’est toute l’ambiguïté de l’Afrique face à l’homosexualité que De purs hommes explore et au-delà, celle de l’identité masculine. La belle écriture de Mohamed Mbougar Sarr, après Terre ceinte, m’enchante à nouveau. A la fois précise et poétique, elle explore et exploite la langue parvenant à la magnifier tout en allant à l’essentiel. Pas de larmoyant ni de pathos alors que certaines scènes s’y prêteraient, mais une grande attention portée aux individus et à leurs contradictions. C’est bien d’humanité qu’il s’agit, à travers ce qu’elle a de pire (intolérance, fanatisme). Mais aussi ce qui fait sa fragilité : son besoin de transcendance, la conscience de sa fin et son sentiment de solitude.

C’est un grand plaisir de lire ce jeune auteur extrêmement doué qui utilise si bien la littérature pour porter à la connaissance d’un plus grand nombre une actualité qu’il côtoie mais qui ne fait pas ici la une des médias. A l’occasion de la sortie de son troisième roman en France, on peut cependant lire une interview dans Le Monde Afrique. J’ai eu la chance d’animer un débat avec lui et Armistead Maupin au moment de la parution en France de son autobiographie. Le grand auteur américain était très à l’aise, ses lecteurs enthousiastes l’attendaient et il nous a réjouis de son humour, comme prévu. Pourtant à mes yeux, Mohamed Mbougar Sarr lui a volé la vedette : il a impressionné le public par son aisance, ses arguments et la force de son discours. A tel point qu’à la fin du débat, Armistead Maupin a voulu un exemplaire de son roman (en français donc). Je lui ai donné le mien. J’ai désormais la satisfaction de savoir qu’un livre m’ayant appartenu se trouve dans la bibliothèque de l’auteur des Chroniques de San Francisco. On a les petites joies qu’on peut. Celle de lire Mohamed Mbougar Sarr en est une grande.

Mohamed Mbougar Sarr sur Tête de lecture

De purs hommes
Philippe Rey, 2018
ISBN : 978-2-84876-663-8 – 190 pages – 16 €

7 commentaires sur “De purs hommes de Mohamed Mbougar Sarr

  1. Je connais très mal la littérature africaine ; je note le nom de l’auteur, en plus le thème fait partie de ceux qui sont juste survolés dans nos journaux, de temps en temps.

  2. Fichtre, la classe! Ton bouquin chez Maupin…
    Plus sérieusement : sujet intéressant, que j’avoue ne pas connaître. Je me souviens juste d’un gentil couple aperçu dans un village (et quand je dis village, c’est village, les paillotes, tout ça), comme quoi on m’a dit qu’ils étaient ensemble, ça n’avait pas l’air de poser de problèmes.

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