L’apocalypse version Somoza ne sera pas chimique, écologique ou terroriste mais un peu de tout ça. Elle sera aussi animale, dans une symbiose qui donne lieu dans Le mystère Croatoan à des scènes horrifiques où hommes et animaux ne reconnaissent plus leurs petits. Et pour cause : l’homme est avant tout un mammifère, soumis aux mêmes lois et besoins que les autres.
A Madrid comme ailleurs dans le monde, l’agitation sociale prend des proportions que la police semble avoir du mal à contenir : les Indignés sont dans la rue et malgré des manifestations pacifiques, le mouvement devient peu à peu incontrôlable. Tout à son travail d’éthologue, Carmela s’inquiète comme elle s’inquiète du comportement étrange de certaines souris de son laboratoire. Ce n’est cependant rien face au très étrange message qu’elle reçoit, composé d’un simple mot : Croatoan. Il ne lui dit rien et émane en plus de son ancien professeur, mort suicidé deux ans auparavant. Elle n’est pas la seule à l’avoir reçu : Nico, peintre et ami du savant l’a reçu aussi, ainsi que Logan, jeune homme de réputation violente qui pratique un certain renouveau en lien avec la Nature. Enrique, collègue éthologue de Carmela l’a reçu aussi.
Nico (ex-flic) et Carmela ne tardent pas à être interrogés par la police de façon musclée et les deux scientifiques comprennent qu’il se passe quelque chose de grave, voire même d’irréversible. La situation mondiale échappe à tout contrôle. Des groupes d’hommes et de femmes, voire des populations entières se lèvent et agissent de conserve, comme des robots. Bientôt, on constate que corps humains et animaux se mêlent.
Le groupe, calcule Logan, est constitué de vingt à trente personnes et d’un nombre indéterminé, mais impressionnant, d’animaux. Souris ou rats. D’autres, le pelage hérissé, lui sont inconnus. Tout est vivant, mais il s’agit d’une autre sorte de vie. Il arrive au bord du conglomérat de corps nus ou à demi vêtus, se penche et l’examine à la lumière des phares du 4 x 4.
Hommes, femmes, quelques enfants, des vieux. Ils se tortillent sans voix entre les animaux, qui s’agitent également. Cela produit le bruit d’un craquement incessant, comme si l’on approchait d’un nid de vers. Des lombrics aveugles aux corps couverts de boue et mouillés par la pluie récente.
Il sent une sorte de houle. Comme s’ils se berçaient tous. De la chair avec des cheveux, des ongles courts et longs, des parties génitales, des incisives.
Quelques belles scènes de dévorations ponctuent également Le mystère Croatoan qui permet donc à Somoza de nous proposer quelques scènes horrifiques comme il les affectionne. Le gore, l’inquiétant et le franchement bizarre, sont des ingrédients habituels chez lui, qu’il conjugue ici sur le ton du thriller apocalyptique. Ça fonctionne. Un temps.
Durant toute la première partie, le lecteur s’interroge sur l’étrange comportement des animaux et des hommes qui agissent en masse, courent à leur perte et vers le chaos le plus complet. Personne ne semble capable d’enrayer le mouvement. Epidémie ? Empoisonnement ? Manipulation ? Sorcellerie ? Tout semble possible, même si l’explication scientifique semble la plus probable.
Puis l’explication arrive et elle n’est pas convaincante. Elle se base sur le comportement des animaux mais s’avère si improbable et capillotractée que la tension retombe et qu’il devient difficile de s’intéresser au sort des divers protagonistes. Il me semble que même en littérature de l’Imaginaire, il convient qu’une intrigue s’adosse à un scénario probable. Je ne sais pour ma part si le professeur Mandel à l’origine de la Théorie des Inter Comportements (TIC) s’inspire de scientifiques existants, mais les conséquences sont si fantasmagoriques qu’il est impossible de les croire réelles. Du coup, l’angoisse et même la terreur sont mises à distance et moins efficaces.
José Carlos Somoza sur Tête de lecture
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Le mystère Croatoan (Croatoan, 2015), José Carlos Somoza traduit de l’espagnol par Marianne Million, Actes Sud (lettres hispaniques), janvier 2018, 416 pages, 23€