Nous voilà en un temps où notre patrimoine était en ruine, laissé à l’abandon après les pillages révolutionnaires. Châteaux, monastères, églises témoignaient d’un passé dont on ne voulait plus alors pourquoi s’en occuper ? Aujourd’hui on déboulonne les statues des fâcheux de l’Histoire, hier on démantelait volontiers les témoins d’une société oppressive. Certains édifices criaient même misère depuis longtemps, comme Notre-Dame de Paris, d’autres étaient réemployés. Tout le monde s’en accommodait, en particulier les Romantiques qui prisaient les ruines. C’est pourtant le premier d’entre eux qui cria « Halte aux démolisseurs » devant le pillage généralisé. Dès lors la France va s’efforcer de protéger et restaurer les témoins matériels de son passé : ce sera une aventure monumentale.
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ont du talent : Prosper Mérimée, Victor Hugo, Eugène Viollet-le-Duc. Et Emily Dingham, jeune, veuve et britannique, au goût prononcé pour la France et ses vieilles pierres. Elle décide d’en faire commerce pour gagner sa vie. En ce début des années 1830, il n’y a qu’à se promener et se baisser pour ramasser et emporter des morceaux de châteaux ou d’églises. L’avenante demoiselle se fait antiquaire sans scrupule puisqu’aucune loi ne protège rien : morceau par morceau, elle vend le patrimoine français à ses compatriotes. Mais en 1830, on crée un poste d’inspecteur des monuments historiques. Prosper Mérimée sera le deuxième du nom, sans vocation au départ. Il a d’abord tenté une carrière d’écrivain, mais il faut manger et pour ça, un poste de fonctionnaire fait bien l’affaire. Il prendra très à coeur sa mission qui l’accaparera toute sa vie. Il usera sa santé à détourner l’avancée du progrès, comprenez du train. Pour faire place à la modernité, il fallait abattre toutes les vieilleries qui lui bouchaient le passage, comme les imposantes murailles d’Avignon.
Ce poste d’inspecteur n’est pas une aubaine pour Emily : plus le patrimoine est protégé, plus elle aura du mal à faire son beurre des pillages dont elle tire profit. Mais elle est maligne et a encore de belles années devant elle avant une législation vraiment efficace. Elle possède surtout de nombreux atouts pour mettre la main sur des pièces au nez et à la barbe de leurs nouveaux protecteurs. Emily est une femme libre et séduisante qui devient la maîtresse de deux défenseurs du patrimoine : Prosper et Toto.
Le lecteur d’Une aventure monumentale devra s’habituer à un ton d’extrême familiarité envers ses « monuments » : personnellement, après plus de 300 pages, j’ai toujours du mal à assimiler Toto à Victor Hugo même si à l’évidence, montrer le grand homme sous un jour moins académique est un des buts de l’auteur. Heureusement, ce très artificiel « Toto » ne plombe pas le reste et on suit Emily de ruine en ruine, puis de restauration en restauration notamment dans les pas de Viollet-le-Duc.
Les débats autour de la restauration de Notre-Dame de Paris en ce XIXe siècle sont les mêmes qu’aujourd’hui, après l’incendie d’avril 2019 : restaurer à l’identique, tenir compte des ajouts au fil des siècles ? Par ailleurs, en 1830, il n’existait plus personne capable de construire comme au Moyen Age : l’art de la pierre monumentale s’était perdu. Vézelay, Carcassonne, Pierrefonds, Notre-Dame tombent dans l’escarcelle de Viollet-le-Duc, cet autodidacte original déjà décrié à l’époque.
Une aventure monumentale présente de façon romanesque les problématiques patrimoniales qui traversent notre pays depuis des siècles. On comprend clairement que l’enjeu n’est pas que mémoriel : ce patrimoine est aussi un enjeu économique majeur, ne serait-ce qu’à travers le tourisme. Il s’agit aussi d’inscrire la France dans un certain passé et donc de choisir les épisodes susceptibles de cadrer avec une vison des choses (qui varie avec le temps et le régime politique en vigueur). Rien cependant sur la Commission de la Topographie des Gaules (1858-1879) de Napoléon III, mais un petit chapitre sur la Mission héliographique (1851), deux projets particulièrement intéressants de recension du patrimoine (quelque peu oublié pour le second).
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Une aventure monumentale
Olivier Dutaillis
Albin Michel, 2016
ISBN : 978-2-226-32100-8 – 341 pages – 19,90 € (existe en poche)
Ah tiens ça m’intrigue. J’ai pas mal lu sur le sujet, mais en roman c’est nouveau. C’est intéressant de considérer cette notion de patrimoine à loooong terme, on y voit beaucoup de choses et rien n’est linéaire. Donc je vais noter la chose !
Je pense que c’est un livre qui pourrait tout à fait te plaire.
Sujet intéressant.
En tant que passionnée des vieilles pierres, je ne peux que noter ce titre !
Rien à voir mais je viens de terminer Seules les bêtes, polar rural qui se déroule en Lozère, sur les Causses en en restitue pleinement l’atmosphère hivernale. Du coup, j’ai repensé à une discussion que nous avions eue à propos d’un roman de Bouysse … Tu connais ce titre ?
Non, je ne connais pas. Merci du conseil, ça m’intéresse, ne serait-ce que parce que je ne connais que la version estivale de cette magnifique région.
Ça, ça m’intéresse! Madame « visiteuse de monuments » est intriguée!