
Le règne du vivant se présente comme un récit, le récit d’un homme qui a vu et vécu ce qu’il s’apprête à raconter. Cet homme s’appelle Gerald Asmussen, il est norvégien, ex-caméraman à bord de l’Arrowhead.
L’Arrowhead est le bateau de Magnus Wallace, justicier des mers qui consacre sa vie à défendre les océans et en particulier, les baleines. Wallace est un activiste, à mille lieues de ces écolos qui déplorent, vitupèrent et signent des pétitions. Wallace fonce sur les bateaux de pêche japonais et autres baleiniers, les éperonne si nécessaire. Il fait respecter les accords internationaux concernant la pêche illégale, accords dont tout le monde se fiche. Alors on le dit extrémiste, ainsi qu’on appelle toujours ce qui vont jusqu’au bout de leurs convictions. Il est « le rebelle des mouvements écologistes », une nouvelle sorte de terroriste.
Tellement rebelle qu’il a fondé son propre mouvement, Gaïa, après avoir été mis à la porte d’un autre mouvement écologiste très célèbre censé protéger la nature, Noé. Chez Noé maintenant, on dit que Wallace est un fou, un crétin dangereux, un forcené qui ne respecte rien et fait du tort au mouvement en ayant recours à la violence. Pour d’autres c’est un gourou, un misanthrope et de fait, Wallace n’a plus rien à faire de ces humains pour lesquels l’enjeu n’est plus l’écologie, mais le pouvoir, pour lesquels « les phoques ou les baleines étaient devenus les moyens et non les fins ». Wallace refuse tout compromis, toute corruption et même il les dénonce.
En mer, nos règles et nos traités restent du papier sans force et l’on croirait que nous nous en moquons. Des bateaux de tout pavillon partent pêcher n’importe où dans le monde, intéressés par le profit et se croyant tout permis. L’océan est leur libre-service. La haute mer n’appartient à personne donc à tout le monde, au premier qui se sert, sans surveillance. L’argent a pris le pouvoir en mer et nulle police ne s’en préoccupe […] La corruption et le mensonge règnent. Les eaux internationales sont un espace hors la loi.
Les flottes baleinières sont composées de navires usines et de bateaux de chasse qui capturent et tuent quinze baleines par jour, en toute illégalité. Malgré les traités signés par des hommes en costumes haut placés, rien n’est fait pour les arrêter car les intérêts économiques et financiers en jeu par ailleurs priment sur les baleines, la faune, la nature. Malgré les beaux discours sur l’avenir de la planète et de nos enfants, rien n’est fait. C’est pourquoi des gens comme Magnus Wallace emploient la manière forte, celle qui fait des dégâts et donc coûte de l’argent aux pilleurs des mers.
Magnus Wallace, ou plutôt Paul Watson, fondateur de Sea Sheperd, car c’est bien de lui qu’il s’agit. Il suffit de remplacer « Noé » par « Greenpeace » et « Gaïa » par « Sea Sheperd » et toute l’histoire de l’éco-terroriste est là (dans une certaine mesure puisque la romancière imagine sa mort, en martyr bien sûr). Alice Ferney écrit ainsi une biographie romancée, ou plutôt une hagiographie car il ne fait pas de doute que Le règne du vivant retrace la vie d’un saint écologiste, militant controversé.
Elle dénonce la corruption et l’apathie des états qui ne font rien et pire, condamnent l’action des activistes. Elle donne à voir la souffrance des animaux, de ces requins dont on tranche les ailerons avant de les relâcher vivants dans la mer, des baleines éperonnées qui mettent si longtemps à mourir. Elle raconte aussi la beauté de l’océan. Le règne du vivant est donc un roman engagé, un plaidoyer écologique. Il contribue à mettre en place une vision non plus anthropocentrique mais biocentrique du monde. L’homme n’est pas mis au centre de la nature, c’est la vie au sens large qui occupe cette place : tous les êtres vivants possèdent une valeur propre qui leur accorde le droit au respect.
L’Histoire se répète, pour les mêmes raisons. En septembre 2022, Paul Watson est renvoyé du conseil d’administration de Sea Sheperd. Quelques mois plus tôt, il démissionnait de l’antenne étasunienne à laquelle il reprochait de fuir toute confrontation avec les braconniers. L’action directe, violente si nécessaire (sans tuer aucun être vivant), reste l’ADN de Paul Watson. Pourvu qu’il continue longtemps…
Le règne du vivant
Alice Ferney
Actes Sud, 2014
ISBN : 978-2-330-03595-2 – 208 pages – 19 €
On parle pas mal de pêche et e dauphins actuellement. je sens que ce livre va me faire bondir. De colère.
Il est en effet très facile de partager l’indignation du personnage.
Comme Keisha ! mais c’est important de se documenter le plus possible sur le sujet, pour ne pas avaler les couleuvres que l’on nous sert en permanence.
Pour ma part, j’ai pas mal appris sur les accords internationaux sensés protéger les baleines : ce ne sont que des morceaux de papier qui dans les faits ne servent à rien.
Eh bien voilà une belle occasion de poursuivre la découverte d’Alice Ferney, après l’avoir entamée avec le beau Grâce et dénuement…
J’ai lu il y a bien longtemps « La conversation amoureuse », plutôt girly et oubliable…
comme Sandrine j’ai lu « la conversation amoureuse » et je me suis éloignée de cette autrice je vois qu’elle n’a pas écrit que ça.
j’exagère car vérification faite je vois que j’ai lu et aimé « les bourgeois »
Je lirai peut-être Grâce t dénuement dont j’ai lu beaucoup de bien.
Un roman bien documenté, donc ?
Oui, tout à fait, elle a dû passer par un travail de recherches et certainement des rencontres avec Paul Watson.