La jurée de Claire Jéhanno

« Anna Zeller a été tirée au sort pour devenir jurée aux assises ». Et c’est donc cette expérience, fictive mais basée sur un fait divers réel, que relate ce roman de Claire Jéhanno. La quatrième de couverture nous dit que l’auteure est née en Bretagne (ma région d’adoption) et qu’elle est autrice de podcasts (comme moi, enfin moi, c’est plutôt auteure). Je ne sais pas dans quel domaine elle écrit mais pour ma part, c’était jusqu’à présent autour de faits divers qui fatalement me conduisaient aux assises.

J’ai considérablement enrichi ma culture juridique depuis que j’écris ces podcasts. Et souvent, certains verdicts m’ont surprise voire choquée. Clairement, certaines affaires me semblent très mal jugées (celle d’Outreau par exemple). Alors comme vous peut-être, je me suis demandé : qu’aurais-je voté ? Comment les jurés ont-ils pu prononcer un tel verdict ?

Le problème que l’on rencontre en tant que simple citoyen, c’est qu’on tient l’information des médias. Ce sont ces médias qui depuis qu’ils existent forgent notre opinion, notre intime conviction. Ce que nous apporte un roman comme La jurée c’est un point de vue interne. On comprend que les jurés en savent bien plus que nous car ils voient les accusés, entendent les témoins, leurs intonations, leurs pleurs. Ils voient les gens craquer ou affronter l’adversité. Ils voient le langage des corps qui échappe à ceux qui ne font que lire des comptes rendus d’audience.

Claire Jéhanno nous fait également comprendre à travers l’histoire personnelle de sa narratrice qu’un.e juré.e est un être humain qui ne peut pas laisser son passé à la porte du palais de justice. Anna Zeller a perdu sa cousine alors qu’elle était enfant, au cours d’une soirée foot. Elle avait neuf ans et plus personne ne l’a jamais revue. Cette disparition la poursuit à un point qu’elle estimera mieux à l’issue du procès.

Quel est-il ce procès ? Un couple de jeunes gens, Frédéric et Lucile, est accusé d’avoir empoisonné et étranglé une vieille dame excentrique, la grand-tante Gilberte du jeune homme. Il lui était pourtant visiblement très attaché depuis l’enfance et elle l’adorait au point de le loger juste à côté d’elle. Alors, que s’est-il passé ? L’attitude du jeune homme ne plaide pas en sa faveur : il a, dirait-on, l’air de cacher quelque chose. Ce qui pousse la narratrice à imaginer tout et son contraire, et le lecteur avec elle.

Anna, très angoissée par son rôle de jurée, sait qu’elle ne doit pas se laisser déborder par ses sentiments et juger en toute impartialité. Mais est-ce possible ?

Claire Jéhanno dissèque les dilemmes de sa jurée avec empathie et sans excès de sentimentalisme ni de psychologie. Certains dévoilements sont autant de rebondissements qui dynamisent et justifient le personnage un peu terne d’Anna. La jeune femme se rend compte à la faveur de cette expérience et des événements familiaux qu’elle traverse durant le procès qu’une personnalité se construit de façon très complexe et qu’il est quasi impossible de cerner les individus en quelques heures de débats. Il est déjà si difficile de se comprendre soi-même…

 

La jurée

Claire Jéhanno
Harper Collins, 2023
ISBN : 979-10-339-1368-9 – 352 pages – 19 €

 

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28 Comments

  1. C’est un sujet qui m’intéresse je remercie ma chance de n’avoir jamais été jurée mais je me pose les questions de cette auteure que je préfère aussi à autrice mais c’est une cause perdue

  2. Ce doit être terrible d’être juré, une expérience marquante, et tellement intime. Je lis ton billet comme un écho d’un film ( pas récent ) que je viens de voir :  » Une intime conviction « , dans lequel le jury tient une place importante.

  3. J’ai énormément aimé ce roman tout en finesse qui m’a fait ressentir comme jamais auparavant les débats intérieurs que suscite le fait de devoir juger . Une responsabilité qui dépasse l’humain et qui pourtant doit se porter.

      1. Je suis allée vérifier les raisons de refuser, ah oui ah oui.
        Sinon, ne pas être inscrit sur les listes électorales, mais c’est quand même trop demander!

  4. Pareil, c’est une « mission » qui ne me tente pas non plus .. (et le film Une intime conviction est très bien). J’avais déjà noté ce titre suite que tu citais dans un commentaire laissé sur mon blog, et je viens de penser à toi : Pierre Jolivet et Inès Léraud étaient à l’instant sur la 5 pour évoquer la sortie du film sur les algues vertes..

  5. Le sujet est très intéressant. Je n’ai jamais été tirée au sort pour devenir jurée mais je me suis souvent interrogée sur ce rôle difficile. Lorsque j’étais au collège (ce qui remonte à très longtemps mais cela m’a marquée) , j’ai assisté au procès d’un membre du grand banditisme avec ma classe. La personnalité de l’accusé a beaucoup pesé (en sa faveur).

  6. Le sujet m’intéresse beaucoup et j’ajoute aux recommandations ci-dessus le livre de la chroniqueuse judiciaire Elise Costa « Les nuits que l’on choisit » chez Marchialy, elle a assisté à de nombreux procès d’Assises et c’est vraiment passionnant.

  7. Et bien je le note car j’aimerais connaitre le ressenti rentae td’autres jurés. J’ai été jurée d’assises il y a une trentaine d’années. Le procureur était P. Bilger et l’avocat Vergès. Je ne connaissais à l’époque ni l’un ni l’autre (sauf le nom Vergès quand même). Quand on est pas dans le milieu de la justice, que tout est nouveau, même si on est bien encadré, c’est un exercice difficile : aucun point de comparaison pour établir une peine. (dans mon cas, les deux inculpés ont reconnu les faits). Je devais être une des plus jeunes et le président me donnait toujours la parole en premier (j’étais assez timide). Bref je me souviens de beaucoup de choses, du fait que je n’étais pas à l’aise, des regards des inculpés,…et j’ai souvent repensé aux inculpés emprisonnés. Sauf récidive, ils devraient être sortis depuis un moment déjà.
    Et depuis j’ai vu et lu P. Bilger dont les interventions sont toujours intéressantes. Et j’en sais plus sur Maître Vergès.

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