Les monstres n’existent pas d’Ondine Millot

L’affaire explose à l’été 2010 dans un petit village du Nord : Dominique Cottrez, une enfant du pays, aimable et efficace aide-soignante, a tué huit de ses dix enfants à la naissance. Il y a de quoi secouer un village, la France, et même le monde entier : le plus grave infanticide jamais mis au jour. Dominique Cottrez a pu cacher à tous ses huit grossesses car elle est obèse : 150 kilos. On ne doute pas que ce genre de drame ait lieu partout en silence mais manque de chance pour Dominique Cottrez, les nouveaux propriétaires de son ancienne maison ont creusé le jardin au mauvais endroit…

Cette mère huit fois meurtrière a été condamnée à neuf ans de prison. Elle a passé quatre ans et demi derrière les barreaux avant d’être libérée (pour info, sans rapport mais quand même, l’assassin de John Lennon est en prison depuis 43 ans…). Ses filles, celles qu’elle n’a pas tuées, l’ont toujours soutenue, déclarant qu’elle était une mère formidable. Son mari l’adore, il l’appelle « mon gros »…

Je me suis intéressée au cas Cottrez dans le cadre de mon travail d’auteure de podcasts documentaires. J’écris beaucoup sur les faits divers. Très nombreux sont ceux qui ne m’intéressent pas car ils ne m’apprennent rien sur la nature humaine. Le cas Lelandais par exemple : aucun intérêt à mes yeux, ce type est juste un violent, un psychopathe (j’ai peiné à écrire sur cette affaire). L’affaire d’Outreau par contre m’a bouleversée, choquée, révoltée (j’ai aussi peiné à écrire sur cette affaire, mais pour d’autres raisons (le lien vers le premier épisode (sur quatre) du podcast sur Spotify)). Alors une mère qui tue ses huit bébés à la naissance, ça doit être psychologiquement très intéressant : comment en arrive-t-on là ? Je voulais la comprendre. Quand j’ai su qu’il existait un livre, je l’ai donc lu.

Ondine Millot, alors journaliste à Libération a rencontré la meurtrière, reconnue coupable mais en liberté surveillée, alors qu’elle attendait son procès devant les assises de Douai. Et comme d’autres, comme son avocat, le célèbre Frank Berton, elle a compris cette femme. Ou bien s’est laissée attendrir, je ne sais pas.

Pour ma part, malgré la lecture de ce livre, de nombreux articles en ligne et l’écoute d’un podcast sur le sujet (« Mécaniques de la Justice : le procès Cottrez » sur France Culture), je n’ai toujours pas compris. Dans un premier temps et pendant des mois, Dominique Cottrez a expliqué que si elle avait tué ses bébés c’est parce qu’elle pensait qu’ils étaient les fruits de ses relations incestueuses (mais consenties) avec son père. On peut comprendre ça, je pense. Mais au moment du procès seulement, elle a avoué que c’était faux. Qu’elle avait fait passer son défunt père pour un salopard de violeur pour se justifier. Parce que de justification, elle n’en a pas à part qu’elle ne voulait plus d’enfant. Contraception ? Connaît pas. Avortement ? Connaît pas. Mais voilà : elle est obèse, elle a développé une phobie des médecins, elle est triste et seule, elle pleure, alors ce sera neuf ans de prison, quatre et demi au final.

Je n’ai donc pas compris cette femme, mais la position d’Ondine Millot et son texte, précis et empathique, m’ont intéressée. Sa démarche, je la fais mienne, moi qui suis plongée tous les jours dans les faits divers les plus sordides.

C’était bien pour ça que je m’étais spécialisée dans les faits divers. Pas pour me rendre en tressaillant sur les lieux de l’horreur, frémir du courage des policiers ou du cynisme de la nature humaine. Pas pour compter le nombre de coups de couteau, détailler le désastre, le crime ne m’a jamais fascinée. Mon adrénaline à moi, c’est de remonter minutieusement le fil de ces vies qui basculent, analyser, décortiquer les enchaînements. Se pencher sur l’enfance, la famille, l’entourage, les garde-fous qui n’ont pas fonctionné. Chercher ce que le drame révèle de la société, et comment la société a engendré le drame. Comment on aurait pu l’éviter.

 

Les monstres n’existent pas. Au-delà du fait divers

Ondine Millot
Stock, 2017
ISBN : 978-2-234-08081-2 – 321 pages – 19,50 €

 

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22 commentaires sur “Les monstres n’existent pas d’Ondine Millot

  1. Ce genre de comportement donne envie de comprendre ce qui se passe dans l’esprit et l’histoire de cette femme. Ton travail est passionnant, en fait il est ce qu’il y a de plus passionnant au monde : tenter de comprendre les autres dans leurs différences.
    Pourrais-tu me donner l’adresse de tes podcasts s’il-te-plaît? Merci.

    1. On a souvent peu d’éléments pour comprendre ces gens qui deviennent meurtriers : des articles de presse, des documentaires vidéo souvent à sensation… Dans ce cas précis, je pensais que le livre de cette journaliste allait m’aider, mais non. Ce crime est tellement hors norme que je pense qu’il dépasse mon entendement.
      Mon producteur s’appelle Studio Minuit (disponible sur toutes les plateformes d’écoute) et la série « Crimes – Histoires vraies« . Mais je suis loin d’avoir écrit tous les épisodes de cette série. J’ai traité beaucoup d’affaires très anciennes (XIXe siècle, début XXe) car j’aime la recherche dans les vieux journaux, avec par exemple Hélène Jégado, Joseph Vacher, le supplicié de Hautefaye, Henri-Léon Scheffer, l’horreur à Waco, Mis et Thiennot… une cinquantaine en tout. J’ai écrit toute la série « Célèbres et assassinés » (60 histoires d’environ 5 minutes), et beaucoup d’autres.. Si tu en écoutes, je suis preneuse de ton avis !

  2. Sidérant, mais pas si rares, ces infanticides, tu le sais bien. Mais on en reste sans décodage.
    (plus joyeux, bravo pour to n renard, j »espère que tu le reverras , il y en a par chez moi aussi, j’en ai vu, et récemment, tadam, dans un endroit où je me suis baladée une centaine de fois au fil des années, j’ai vu débouler trois quatre animaux, repéré leur terrier bien camouflé, je pense que c’était une belle famille blaireau!)

    1. Hier matin, c’étaient deux chevreuils que j’ai découverts dans mon jardin qui est surtout un potager et verger. Autant te dire que leur présence ne m’a pas plu DU TOUT !

      1. (Sambre est excellent!)
        Contre les cervidés boulotteurs, une solution : le loup! (OK je sors)

  3. Je ne suis pas particulièrement friande de faits divers mais je comprends ton engouement pour la recherche ou l’enquête (historique, psychologique, etc). J’ai fait des études d’histoire (ça remonte à très longtemps). J’adore aussi fouiner, trouver l’information qui permettra de comprendre les évènements, de proposer des hypothèses, etc.

    1. Oui, j’écoute, regarde et lis toujours un maximum de choses sur chaque affaire pour avoir un maximum de détails, pour les rendre vivantes. Il me faut croiser beaucoup d’informations aussi pour ne pas dire n’importe quoi. et surtout, rester neutre, informative… ce n’est pas toujours simple, j’ai parfois bien envie d’exprimer mon point de vue…

  4. Je vais écouter le podcast sur le sujet… j’ai récemment lu Sambre de Corinne Géraud, avalé en une journée (il est TRES bien !), et j’ai pour le moment ma dose de lecture en matière de faits divers. Et je vais aller fouiller du côté de Studio Minuit aussi.

    1. Ah merci, c’est vraiment gentil ! Quelle aventure cette série, j’en ai appris des choses et principalement que la nature humaine est aussi passionnante qu’incompréhensible…

      1. J’en ai écouté quelques uns, c’est vraiment intéressant. Un voyage dans l’histoire sous un angle inhabituel. J’aime bien le format court et la construction. On est tout de suite dedans, tu vas à l’essentiel et tu conclus en glissant un ressenti personnel.
        J’ai lu notamment les enfants Gobel et Marat. Je vais continuer à raison de un par jour.

      2. Je suis vraiment contente qu’ils te plaisent. Certains, les politiques notamment, sont plus compliqués que d’autres à rédiger car il faut expliquer des situations parfois complexes : c’est pô facile 😉

  5. J’aime beaucoup les faits divers aussi (enfin, sous forme d’enquêtes, pas les brèves des journaux), et je crois que j’en ai trouvé une des raisons dans ton billet, c’est que la nature humaine en ressort toujours fascinante, pas toujours dans le bon sens du terme d’ailleurs.

    1. Concernant les faits divers on peut même dire que la nature humaine ne sort pas grandi… tuer quelqu’un pour s’approprier sa maison et parader devant les caméras (affaire Flactif), c’et minable et pourtant, toute la famille y est passé…

  6. je trouve cette histoire trop tragique pour moi à notre époque et dans notre pays comment on peut tuer des bébés , la solitude de cette femme me bouleverse mais j’en resterai là

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