Buveurs de vent de Franck Bouysse

Buveurs de vent de Franck Bouysse

Ils sont quatre enfants, trois frères et une sœur, nés dans la vallée fermée du Gour Noir qui vit de la centrale électrique, du barrage et de la carrière. Ils sont inséparables et surtout, vivants. Alors que la ville est anesthésiée par le travail et les rêves tôt oubliés, ils ont une énergie vitale qui les rend différents.

Cette énergie ne leur vient pas de leurs parents, Martin et Martha. Lui est un taiseux aux coups faciles, elle une folle de Dieu. D’ailleurs, elle a appelé ses enfants Mathieu, Marc, Luc et Jean, comme les évangélistes à défaut d’en avoir douze comme les apôtres. Jean, ça n’est pas terrible pour une fille alors on l’appelle Mabel. Les Volny mènent une vie terne faite de labeur, d’obéissance et de rancoeurs familiales. Une vie étriquée, comme les autres. S’ils vont parfois en ville, construite de toutes pièces par Joyce qui y règne encore en maître absolu, les enfants préfèrent la nature où ils s’ébattent en toute liberté. Leur moteur, c’est Mabel, qui s’affranchit de tout.

Les quatre grandissent et se suffisent longtemps à eux-mêmes. Les frères n’ont pas besoin des autres : Mathieu passe son temps dans la nature, Marc dans les livres et Luc, un peu simple d’esprit, vit dans l’aventure permanente. Mabel elle a besoin de plus : elle est la liberté et l’insoumission faite femme. Elle découvre la sexualité, initie ses frères et s’ouvre à toutes les possibilités qui se présentent. Sa mère va la chasser de la maison.

A la maison, il y a aussi Eli, le grand-père qui a laissé une jambe à la centrale et en ville il y a Joyce qui dans l’ombre régente tout avec une froideur de despote. Dans sa paranoïa et son délire mégalomane (toutes les rues de la ville portent son nom), il est extrêmement inquiétant. On aimerait bien que la fratrie n’ait pas affaire à lui, mais bien sûr… Des drames se nouent, il y a morts d’hommes, injustice, abus de pouvoir…

Franck Bouysse met en place un univers d’un côté rayonnant, de l’autre sclérosé et inquiétant. La centrale, comme une araignée, a tissé sa toile et au centre, Joyce et ses hommes contrôlent tout. Ils sont violents et sans scrupules. Les salauds sont aussi bien dépeints que la fratrie, on les croit tout droit sortis d’un western. Car l’ambiance est à l’Amérique profonde avec son shérif véreux et sa ville au carré. On est probablement dans la France rurale d’après guerre, mais saupoudrée de farwest.

Tous ces personnages portent en eux des ferments tragiques qui gonflent du trop de silence de la vie. Pas de mots, pas d’horizon, pas de rêves. Tous jouent des rôles, acteurs d’une pièce jouée et rejouée depuis trop de générations. Bon sang que c’est triste… les protagonistes prennent place, on sent venir le drame et quand il survient, il est radical. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, mais une longue mise en place des protagonistes dont on découvre les aspirations et les contradictions.

On doit pouvoir ne pas apprécier le style de Franck Bouysse, très poétique, truffé d’images hors du commun, souvent extrêmes. Il est magnifié par la voix chaude et toute en nuances de François-Eric Gendron qui lit Buveurs de vent dans cette version audio.

Franck Bouysse sur Tête de lecture

 

Buveurs de vent

Franck Bouysse
Albin Michel, 2020
ISBN : 978-2-226-45227-6 – 391 pages – 20,90 €

 

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27 Comments

  1. Je ne l’ai pas encore lu, celui-là mais c’est prévu. Ta conclusion résume très bien ce que je pense de cet auteur, j’y reviens toujours malgré les excès de lyrisme qui amoindrissent parfois le plaisir de la lecture… mon préféré à ce jour est Glaise, où pour le coup, il trouve à mon avis le juste équilibre entre poésie et véracité. J’ai eu l’occasion de le lui exprimer sur un salon du livre, et il m’a répondu que Glaise était aussi son préféré !

  2. A lire le début de ton billet, j’aurais cru que tu n’avais pas aimé… tout doit dépendre de l’écriture parce que sinon le scénario semble un peu caricatural. J’ai lu deux des premiers romans de Franck Bouysse mais n’ai pas eu envie de continuer.

    1. Figure-toi que pendant mon audiolecture, mon conjoint m’a demandé de quoi parlait ce livre (ça doit arriver une fois tous les trois ans, il faut que ça tombe sur ce livre-là…) : « c’est l’histoire d’une fratrie de quatre enfants dans un trou paumé au pied d’une centrale électrique ». Ça n’est pas bien tentant dit comme ça… je lui ai donc parlé du style de l’auteur qui en effet fait la différence.

  3. Bonjour et merci de ton passage sur mon blog. Par « tradition » je ne réponds pas aux comm sauf si il y a une question précise. Je t’ajoute dans ma liste de blogs 🙂
    Quand à cet auteur, je ne l’ai encore jamais lu… Mais son dernier opus m’attend à la médiathèque, donc sitôt lus mes emprunts actuels, il sera dans les prochains !

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