
Beau et aride. Deux adjectifs qui décrivent bien la Lozère et conviennent également au style de Franck Bouysse qui ose le roman noir rural au coeur des Cévennes. Et pas les Cévennes accueillantes des Gorges du Tarn en été. C’est d’un « drôle de pays de brutes et de taiseux » qu’il s’agit, en plein hiver.
Gus, la cinquantaine solitaire, est propriétaire d’une ferme et de quelques vaches et veaux au lieu-dit Les Doges. Il ne s’y passe rien, il n’y rencontre personne, si ce n’est de loin en loin Abel, son seul voisin. Aussi a-t-il de quoi s’étonner en entendant des coups de feu, des cris et en découvrant des traces de sang sur la neige près de la maison d’Abel.
On est en 2006, mais aux Doges, on reste plongé dans une autre époque, un passé intemporel. Alors on n’appelle pas aussitôt la police sur son portable. D’ailleurs Gus n’a pas de téléphone, portable ou pas. Pas de voiture non plus, il ne se déplace qu’en tracteur. Il attend donc de voir. De voir si Abel va lui dire quelque chose à propos des coups de feu, des cris et du sang. Mais non, rien ne se passe, si ce n’est quelques évangélistes (que Gus se plaît à appeler des suceurs de bible) un peu trop présents.
Jusqu’ici, les deux hommes ne s’étaient jamais vraiment brouillés, et c’était pas une mince performance quand on les connaissait. Il y en avait pas un de plus sociable que l’autre, et il faut reconnaître que le véritable tour de force c’était qu’ils arrivent à faire plus que se supporter.
Les deux hommes ont pourtant chacun un passé tragique, que Franck Bouysse dévoile page après page, âprement. On restera marqué par la scène où Gus découvre le corps de sa mère pas encore morte se balançant au bout d’une corde : la joie qu’il en éprouve est à peine immorale tant ce qui précède est terrible. Car le style de Franck Bouysse qui s’attache aux gestes du quotidien et suggère les tourments de l’âme évoque efficacement la solitude sociale et psychologique, le silence, la méfiance. Il n’y a en Gus aucun espoir, aucun avenir en dehors de sa ferme et il n’y en a jamais eu. Son héros s’appelle l’abbé Pierre parce qu’il s’est intéressé aux insignifiants comme lui, à ceux qui ne font que passer dans le monde, sans déranger.
A lire Grossir le ciel, on assiste à la mort lente d’un territoire depuis toujours inhospitalier et définitivement condamné par la modernité. Il n’y a plus de femmes, pas d’enfants, juste quelques vieux loups solitaires. Et un silence immense pour enfouir les malheurs passés.
Grossir le ciel
Franck Bouysse
La Manufacture de livres, 2014
ISBN : 9782358870788 – 198 pages – 19,90 €
Je l’ai déjà noté, chez Aifelle, je pense… Il devrait me plaire.
A rapprocher de Sandrine Collette, dans l’esprit roman noir rural…
Je n’ai rien encore lu d’elle, va falloir
J’ai beaucoup apprécié ce roman, tant par l’intrigue que par la peinture d’une région condamnée.
J’ai retrouvé ton billet et l’ai ajouté en lien : il est de ceux qui m’ont donné envie, merci !
J’avais pris une grosse claque avec ce roman au titre sublime, et découvert un auteur qui m’était totalement inconnu
Je le découvre aussi grâce à tous ces billets enthousiastes !
Oh my… je ne sais pas si j’ai le moral pour ça. Mais je note, vous êtes tous enthousiastes.
Celui-là n’est pas gai, c’est certain, mais l’auteur a pris pas mal de risque, celui notamment de « délocaliser » le roman noir, et c’est réussi.
Voilà un titre qui m’attire beaucoup, même si le côté roman rural ne me dit guère en général. Et le premier titre de Sandrine Colette ne m’avait pas complètement convaincue. Mais ton avis positif l’emporte sur mes réticences, et puis, c’est territoire de taiseux que je connais bien la Lozère, et ses silences lourds … (petite remarque en passant … les gorges du Tarn, ce n’est pas les Cévennes …. Cela n’a aucune importance pour le roman, mais pour les gens du coin, si !!! Et faut faire gaffe aux taiseux lozériens, comme ce livre semble le montrer ! ^-^)
Aïe ! J’ai cherché pourtant avant d’écrire ça, et trouvé sur Wikipedia : « Les Cévennes forment une chaîne montagneuse faisant partie du Massif central, située entre les départements français de la Lozère et du Gard, prolongeant au sud les monts du Vivarais… » et « Les gorges du Tarn sont un canyon creusé par le Tarn entre le Causse Méjean et le Causse de Sauveterre. Ces gorges se trouvent principalement dans le département français de la Lozère » et encore « Le Causse Méjean est compris en totalité dans le périmètre du Site des Causses et des Cévennes… » + « Le causse de Sauveterre est un plateau calcaire français faisant partie des Grands Causses ». Si je me suis trompée, j’adresse mes humbles excuses à tous les Cévenols qui passeront par ici !
Je vérifie parce que j’ai déjà fait ici une boulette entre les brebis et les chèvres (une chèvre toute blanche sans corne ni barbichette !).
Ceci dit, j’adore la Lozère, et plus particulièrement un coin qui s’appelle Prades, juste à côté de Sainte-Enimie. Je voudrais finir ma vie à cet endroit. Ce sont les gorges du Tarn plein de monde en été (ceci dit, moins qu’il y a 30 ans). Mais j’aime aussi les villages perdus au milieu de rien. Mais je suis quasi certaine que je ne pourrais pas y vivre…
Et si j’ai lu ce roman, moi qui n’aime pas la nature, les paysans et la mentalité villageoise, c’est justement parce qu’il se déroule en Lozère….
Je me suis amusée à téléphoner « là-bas » pour entendre de la bouche d’une habitante du cru … « Mais t’es pas bien …. Tu sais bien que les Cévennes s’arrêtent à Florac ! ». Visiblement, elle n’a pas lu Wikipédia …. Ce qui m’amuse aussi beaucoup c’est que tu connaisses et aimes Prades … On ne doit pas être nombreux à apprécier ce petit coin perché sur l’autre côté du Tarn ! L’endroit qui me fait le plus rëver, moi, c’est le château de La Caze … Perdu au fond de ces gorges, en hiver, un truc genre « La belle aux bois dormants ». Décidément, je vais le lire ce livre pour retrouver les Causses (même si je serais moi aussi incapable d’y vivre, entre les brebis et les chèvres …)
Oh, mais nous n’avons donc pas que nos goûts littéraires en commun !
Et si tu me dis que tu connais Castelbouc… village quasi abandonné il y a 30 ans, uniquement accessible par la montagne, et aujourd’hui ressuscité par les Hollandais, avec une route goudronnée qui y conduit (mais que je n’ai jamais prise, bien sûr, quel sacrilège !). On me traine cette année encore en Bretagne, mais j’espère bien retourner en Lozère l’an prochain.
Dans mon bureau quand je lève le nez, je vois des photos de sainte-Enimie et de Prades. Et dans mon salon, une petite esquisse de Prades dessinée au crayon par un peintre ami de ma soeur en 1978. J’étais une enfant, mais me souviens encore quand il cherchait le bon endroit pour s’asseoir, quand il dessinait… Tu vois comme mon cas est grave : il faut que j’y retourne !
Oh que oui que je connais Castelbouc !!! Pour y aller on passait par le Tarn ! C’était mon coin de baignade préféré quand le village était encore abandonné. Je crois y avoir vu la première maison restaurée … Elle avait des volets bleus et les propriétaires avaient planté des hortensias … Je me souviens m’être dit en rigolant que les Gorges se prenaient pour Groix !!!! (dont je viens). Et tant qu’on y est c’est peut-être là qu’on te « traîne » ? Ce serait drôle (mais être « traînée » à Groix, ce n’est pas possible …) cela ressemble trop à la Lozère, juste tu remplaces les Causses par la mer ! Et ce sont les deux endroits au monde où les taiseux auront toujours le dernier mot !
1978 ! C’est marrant … J’y étais aussi ! Je viens de vérifier auprès de l’habitante qui me dit « Ben qu’est-ce que t’as à téléphoner deux jours de suite ? » Va-t-en lui expliquer …. Elle n’a pas l’ADSL ….
Tu vois, mon cas est grave aussi !
C’est fou ça…
Je te rappelle qu’on s’est déjà ratées il y a trois ou quatre ans à Saint-Malo lors de la table ronde toute pourrie sur le western animée par le soporifique Damien Aubel… Et si ça se trouve, on s’étaient déjà croisées il y a… presque 40 ans !
Je t’envoie un mail dès demain (à l’adresse qui se termine par @orange.fr)
Et vive Franck Bouysse qui fait se dévoiler les fanatiques de la Lozère !
Je ne suis pas sûre que ça me plaise, ça avait pourtant l’air intéressant.
Il faut essayer : il n’est pas bien épais, et je pense que tu seras prise par l’ambiance.
Je note ce titre tout de suite, j’adore les histoires avec des « taiseux »…
Ce ne sont pas les meilleurs compagnons à l’heure du thé, mais pour les romans noirs, ils sont parfaits 🙂
Bon, c’est officiel, je crois qu’il me le faut…
Ravie de t’avoir convaincue 😉
Je ne suis pas une grande adepte des romans ruraux, mais je suis ravie que tu aies passé un bon moment
Moi non plus je ne suis pas du tout adepte de la campagne, mais ce roman-là est vraiment réussi….
Une déception pour ma part. Mon billet dans quelques jours.
J’ai lu ton article en diagonale, le livre est dans ma bibliothèque, je ne sais pas encore quand vais-je le lire
Eh bien cet été pourquoi pas, si tu ne part pas en Lozère 🙂