Histoire de Lisey de Stephen King

histoire de lisey

Après un décevant Cellulaire où le maître de l’horreur faisait une orgie de morts-vivants, voici que Stephen King oublie tout l’attirail grand guignolesque du fantastique pour un roman intimiste et émouvant qui m’a étonnée et impressionnée par bien des aspects : Histoire de Lisey.

Lisey Landon est la veuve d’un écrivain mort deux ans auparavant. Un écrivain sérieux (pas un Stephen King !), prix Pulitzer et Prix National du Livre à l’appui. Alors bien sûr, elle est harcelée par des universitaires tout aussi sérieux qui rêvent d’aller fouiller dans ses papiers, et retrouver des inédits, de la correspondance…Scott Landon les appelait les Incups, comme incunables ou incupables, « tous les impatients, les fâcheux, les grincheux« . Malheureusement pour Lisey, il en est un plus impatient que les autres, qui la menace du pire pour récupérer les vieux papiers de Scott ; il commence pas un chat crevé dans sa boîte à lettres.


Accompagnée par le souvenir de Scott, par sa voix toujours présente, Lisey Landon va chercher à se débarrasser de ce dangereux forcené, qui lui en rappelle un autre, celui de Nashville en 1988 qui aurait bien achevé Scott si elle, Petite Lisey, ne l’avait proprement frappé avec une bêche d’argent « Commencement, bibliothèque Shipman« . Cette bêche, Lisey l’a encore et elle va être l’un des fils conducteurs de ses souvenirs, de l’histoire de Lisey. Petit à petit, Scott Landon se dévoile au lecteur, Scott Landon écrivain, Scott Landon époux, Scott Landon enfant. Les allusions floues du début prennent forme peu à peu pour construire une personnalité complexe, exigeante, émouvante. Car à part H.P. Lovecraft, qui sait ce qui se passe dans les fermes reculées du fin fond des États Unis ?

Enfant, Scott vivait avec son frère et son père. Celui-ci avait une méthode infaillible pour échapper à la crapouasse qui prend régulièrement les Landon : se taillader, faire couler le sang pour évacuer. Heureusement, les Landon cicatrisent vite… Mais que peut faire Lisey quand bien des années plus tard elle trouve son mari catatonique enroulé dans la couverture de mariage de Bonne Ma ? Aller le chercher de l’autre côté, à Na’ya Lune, là où est la grande mare de la création que contemplent les créateurs du monde entier, sous peine d’y rester. « MIRALBA, babylove« , s’entend-elle dire : arrime le barda, quand faut y aller, faut y aller.

Histoire de Lisey raconte en fait, par épisodes successifs, l’histoire d’un écrivain. Episodes souvent décousus, qui suivent les souvenirs d’une femme, et surtout son point de vue. Elle ne livre que peu à peu les différents événements fondateurs de la personnalité de son mari, événements ô combien terribles qui commencent au plus noir de son enfance qui n’a jamais été tendre. Ce roman échappe pourtant à toutes les scènes fantastiques d’horreur qui ont fait la réputation de King (les amateurs seront sans aucun doute déçus). Si le parcours de Scott est parsemé de sang, c’est celui de la folie qui l’accompagne, de la crapouasse qui l’épie et lui permet de créer, entre autres tout un vocabulaire. Et c’est là, à mon avis, le point le plus surprenant et réussi de roman. Histoire de Lisey est un incroyable feu d’artifice stylistique auquel je ne m’attendais pas. Au-delà des inventions lexicales, c’est un style très dense que je découvre, où se mêlent la voix du narrateur, celle de Lisey, et celle de Scott et de ses souvenirs. Un extrait, pour se rendre compte :


Pendant qu’elle attendait, elle tenta de se dire que Scott ne pouvait pas savoir qu’elle venait d’avoir la pire prise de bec de tous les temps avec sa connasse de grande sœur, mais à mesure que six heures se changeaient en sept qui se changeaient en huit, quelqu’un a dit neuf, j’ai entendu neuf, neuf une fois, neuf deux fois, adjugé pour neuf, à mesure qu’elle picorait un peu plus de cheesecake et finissait par le jeter à la poubelle parce qu’elle était trop toufement… non, trop foutrement furieuse pour le manger, neuf c’est fait, je veux entendre dix maintenant, ça y est j’ai dix heures ici et toujours pas de Ford 73 avec un phare qui tremblote freinant devant son appartement de North Main Street, elle devient de plus en plus furieuse, j’attends que quelqu’un dise folle furieuse.

Cette seule phrase condense la richesse stylistique de ce roman déconcertant. Donnez-le à lire à quelqu’un sans en dévoiler l’auteur, à quelque intellectuel sûr de lui et je donne ma main à couper, les deux même, qu’il ne trouvera jamais le nom de l’auteur, aux antipodes de sa veine gore.

Histoire de Lisey est un puzzle que le lecteur doit faire l’effort de construire. C’est un grand roman que celui-là, sur l’Amérique profonde, sur la mort et le deuil, sur la création littéraire, ce qu’elle exige et engendre. Et ça m’a suffit : peu m’importe de savoir ce que King a mis de lui et de sa femme dans ce livre, je ne suis ni sa carrière, ni sa biographie. Ce qui s’impose ici, c’est la littérature.

Quelques mots encore pour un grand coup de chapeau à la traductrice pour sa connaissance de la civilisation et de la littérature américaine et pour avoir su faire passer la langue toufoutument extravagante de Scott et Lisey Landon.

Stephen King sur Tête de lecture.

Histoire de Lisey (2006), Stephen King traduit de l’anglais (américain) par Nadine Gassie, Albin Michel, septembre 2007, 566 pages, 22, 50€

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