Ça, c’est un baiser de Philippe Djian

Ça, c’est un baiserJennifer Brennen vient d’être assassinée. Nathan est persuadé que son père, le richissime patron d’industrie, a commandité le coup. Marie-Jo, sa coéquipière est sûre du contraire. Ils vont donc chacun de leur côté remonter leur piste, d’intrigues en boîtes louches, d’indics en gardes du corps.

Vu comme ça, Ça, c’est un baiser pourrait ressembler à un roman policier. Sauf que l’intrigue n’est que prétexte à l’expression de personnages en déroute qui prennent alternativement la parole. Nathan d’abord, la quarantaine approchant. Marié à Chris, il vit désormais seul et entretient une relation avec Mari-Jo, sans bien savoir pourquoi. Une sorte de grincheux qui voit tout en noir : « Oui, l’avenir était sombre. Les forêts étaient en feu. Les eaux étaient polluées. Dieu nous avait abandonnés ». Presque un vieux con qui n’aime pas la jeunesse, la mode et les piercings. Il s’est d’un commun accord séparé de sa femme mais supporte mal son nouvel amant, Wolf, une masse de muscles et d’intelligence, militant anti-mondialiste sur tous les fronts.

Mari-Jo ensuite, qui n’en revient pas de la chance qu’elle a d’être avec Nathan. Il faut préciser qu’elle a un très très important problème de poids. Régimes, amphétamines, haltères : rien n’y fait, plus de quatre-vingt-dix kilos de graisse qui l’obsèdent. Mais une philosophie en matière de sexe : « J’ai poussé un soupir. J’ai pensé qu’un jour, je serais vieille et repoussante. Alors j’y suis allée. » Bien qu’elle s’autorise quelques à-côtés, elle ne supporte pas l’idée que Nathan fricote avec d’autres filles, surtout Paula, cette top modèle qui a l’air de s’être invitée chez lui. Mais Nathan le jure pourtant : il ne baise pas avec Paula ! Elle lui achète des meubles, dort à poil dans son lit, lui fait des massages, mais il reste de marbre ! C’est qu’il doit d’abord régler ses problèmes avec sa femme et avec son passé :

« Je croyais qu’une femme se gardait à la maison. Je croyais que Chris prenait son pied à m’attendre. Elle me sautait au cou quand je rentrais. Je devais penser quoi ? […] J’étais jeune, je ne savais rien, je buvais un verre ou deux avant d’aller me coucher et un beau jour, toutes les lumières se sont éteintes. Je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. Je ne l’ai compris que bien plus tard. […] Je suis debout au milieu d’un champ de ruines et la poussière retombe sur mes épaules. […]. Car la question est de savoir si en perdant le cœur d’une femme il est obligatoire, nécessaire, indispensable, de faire une croix sur le reste. Un vaste débat. »

Et il n’aura pas trop de trois femmes pour répondre à ses questions, aussi superficielles qu’un débat télé, aussi profondes que l’existence.

Il y avait bien longtemps que je n’avais pas fréquenté Djian, à l’époque de 37°2 le matin. Je ne saurais donc dire si son style a changé mais je peux affirmer qu’il est prenant. Le lecteur investit immédiatement les personnages, aussi bien Nathan, le petit flic de rien du tout, que Marie-Jo la grosse femme complexée. C’est déjà très fort. Mais il parvient aussi à rendre le parfum doux-amer de la vie que ces trentenaires contemplent déjà d’un œil triste. Evidemment, leurs principaux sujets de réflexion sont l’amour et le sexe. La mal bouffe aussi, et l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, les profiteurs de tout poil.
Et le vide, l’incommensurable béance du monde. Alors il faut en être pour apprécier les divagations, digressions et autres états d’âmes de  personnages en perdition. Et l’humour aussi, car Djian n’est pas en reste. Ce n’est pas un morose, c’est un auteur en questionnement qui peut rire du pire, pour le meilleur.

Philippe Djian sur Tête de lecture

 

Ça, c’est un baiser

Philippe Djian
Gallimard (Folio n°4027), 2006 (première édition : 2002)
ISBN : 2-07-031334-4 – 434 pages – 7.90 €