Vous n’avez jamais eu froid. C’est une certitude. J’en tremble encore et j’ai lu ces sept cents pages cachée sous ma couette.
Pour vous le faire court, ça se passe dans le Grand Nord, la température oscille entre – 45°C et – 70°C. En 1845, le Terror et l’Erebus quittent l’Angleterre avec à son bord cent vingt neuf personnes. Leur but : découvrir le passage du Nord-Ouest. Sir John Franklin, capitaine de l’Erebus en charge de l’expédition n’est pas un débutant : il a déjà sillonné les mers du globe et cette fois il est prêt pour la grande découverte. Pourtant, les bateaux ne tardent pas à être pris dans les glaces hivernales. Chose prévisible, sauf que le dégel n’est pas au programme deux étés de suite et les deux bateaux restent bloqués. A cela s’ajoutent de la nourriture avariée, un froid proprement polaire et bientôt, les premiers symptômes du scorbut. Et surtout, la funeste et mystérieuse apparition d’un monstre des glaces, semblable à un ours polaire en trois fois plus gros, qui s’acharne sur l’équipage, le guette, le traque et monte même à bord. Et ça va durer plus de trois ans…
L’intrigue est mince, très mince : des hommes, le froid, un monstre. Et pourtant, on suit le périple de ces hommes sans compter les pages. Tout y est minutieusement détaillé : les cartes, le rôle de chacun à bord, le bateau, la nourriture, les expéditions, les maladies… et bien sûr, les conflits entre tous ces hommes qui, non contents d’être décimés par le monstre et le froid, arrivent encore à s’entre-tuer (parfois à des fins alimentaires, j’en tremble encore !).
L’incroyable tension humaine va croissant, alimentée par la peur, la faim et la maladie. Quand la superstition et la convoitise s’en mêlent, la mutinerie gronde et la folie s’incarne parmi ces hommes qui vont au-delà du possible. Ils affrontent des conditions extrêmes auxquelles je ne croyais pas possible de survivre. Ces Anglais portent quinze kilos de vêtements (secs, le poids double au moins quand ils sont mouillés, c’est-à-dire tout le temps) alors que l’Esquimau de base a chaud sous deux peaux d’ours. Ils trimbalent un incroyable bric-à-brac de gentlemen, se gèlent dans leurs navires où il fait – 30 alors que la température s’élève au-dessus de 0 dans un igloo. Mais tout ce qui n’est pas Anglais est barbare, ou peu s’en faut. Et jusque sur la banquise, jusque dans la souffrance et la mort, marins et officiers conservent l’étiquette et observent la discipline de la Royal Navy.
Dan Simmons construit un suspense sans faille fondé sur la survie. De ces cent vingt neuf personnes, bien peu survivront et sans être morbide, le lecteur veut savoir comment chacun va mourir. La maladie, la faim, le suicide, le meurtre, la boucherie monstrueuse : ils y passent les uns après les autres, dans un luxe de descriptions, c’est terrifiant ! D’autant plus que, basé sur un travail documentaire rigoureux, l’auteur n’invente rien : cette expédition a existé, ces hommes ont vécu l’enfer blanc et le lecteur assiste impuissant à l’hécatombe. Le sort de ces hommes est pourtant en grande partie inconnu (on trouve encore aujourd’hui des vestiges archéologiques de cette expédition), Dan Simmons s’inscrit avec talent dans les blancs de l’Histoire pour faire naître la peur et donner un destin, sombre ou grandiose, à ces hommes qui sont allés au-delà de l’humain.
Il est certain que sept cents pages d’enfer blanc, c’est long. On pourra trouver quelques longueurs ici et là et être dérouté par les incessants flash-back. Si j’ai eu un peu de mal avec certaines descriptions (le nombre de boîtes de conserve, les dîners sans fin entre officiers), l’impression est vite comblée par le suspense extraordinaire et tout simplement par le réalisme effrayant de ce roman. Je n’avais jamais autant crapahuté dans la neige…
En plus d’être un roman magnifiquement terrifiant, ce livre est pour moi avant tout un grand moment d’aventure et d’humanité.
Dan Simmons sur Tête de lecture
Terreur (2007), Dan Simmons traduit de l’anglais (américain) par Jean-Daniel Brèque, Robert Laffont, septembre 2008, 703 pages, 23€