
Encore une lecture éprouvante, qui entraîne le lecteur vers les confins obscurs de la sexualité et de la folie. En France sous le Consulat. Aloyse de Creyst est une jeune fille de bonne famille, anoblie sous Louis XV, tisserands de père en fils. Elle a donc un avenir tout tracé, une bonne éducation, un fiancé (tisserand comme il se doit), mais de tout ça elle ne veut pas. Pour percer le mystère familial qui entoure son oncle Etienne, médecin en charge des aliénés, elle décide de rencontrer le docteur Donadieu, qui a jadis écrit à son oncle une lettre d’admiration, seule trace restante de l’existence de celui-ci.
Ce médecin détient les mémoires d’Etienne de Creyst et décide de les lire à la jeune fille. Le contenu pourtant s’avère vite très au-delà de ce qu’une jeune fille de bonne famille peut entendre. Mais elle décide de savoir et de travailler dans l’hôpital en tant qu’Hospitalière pour comprendre ce que le docteur Donadieu y trame. Mais le prix à payer pour connaître la suite va s’avérer beaucoup plus élevé que ce à quoi elle s’attendait.
Parallèlement à l’histoire de la nièce, on suit donc celle d’Etienne de Creyst qui soignait les fous avant la Révolution en usant de méthode peu orthodoxes qui lui ont valu un exil en Gévaudan. C’est là qu’il rencontre l’amour en la personne de Doucette et qu’il goûte aux charmes campagnards. Mais la belle Doucette a plus d’un visage et la bucolique société des pratiques qui piétinent tout concept de dignité humaine.
Pour comprendre, l’oncle et la nièce vont suivre le même parcours terrifiant d’avilissement et de dépersonnalisation. Ils vont accepter toutes les perversions jusqu’à connaître une nouvelle naissance, funeste et historique pour l’oncle, glaciale et libératrice pour la nièce. « Si je dois en avoir un, mon rôle est d’ajouter des traces sur la neige hors des routes passantes » déclare Etienne de Creyst. Comprendre la folie, au point d’y sombrer, mais tenter de regarder autrement des hommes et des femmes dominés par leurs pulsions. C’est aussi ce que propose Robert Alexis dans un livre surprenant, voire dérangeant tant il sonde les limites si fragiles de l’humanité.
Le basculement est absolument fascinant, porté par une écriture tout à fait réjouissante. Robert Alexis utilise une langue très stylisée et recherchée qui restitue celle du XVIIIème siècle. Sa prose est un vrai bonheur de lecture pour qui aime les phrases travaillées et légères, qui nous entraînent comme un fleuve sans jamais nous noyer. Le mot rare, limite précieux, étonne et réjouit. Le style est très évocateur et fait surgir de la folie des scènes d’une crudité obscène qui pourront choquer tant il est impossible d’en sortir indemne, à l’image de la jeune héroïne avilie. C’est pervers mais fascinant.
Je voudrais en dire plus mais je préfère laisser aux rares lecteurs qui voudront découvrir ce livre troublant le plaisir (?) de murmurer « oh non, pas ça… ».
Robert Alexis sur Tête de lecture
Les figures
Robert Alexis
José Corti, 2008
ISBN : 978-2-7143-0979-2 – 211 pages – 16 €