Que reste-t-il de la culture française ? de Donald Morrison

Donald Morrison est l’auteur d’un article qui défraya la chronique. Dans l’édition européenne du Time Magazine en date du 3 décembre 2007,  cet ancien journaliste américain vivant en France osa écrire un article intitulé « La mort de la culture française »  qui portait en chapeau ces mots (qui ne sont pas de lui) : « Qui peut citer le nom d’un artiste ou d’un écrivain français vivant qui ait une dimension internationale ?… OK. Mais ça va s’arranger« . Beaucoup de bruit dans le Landerneau, souvent porté par le ressentiment français à l’égard de l’hégémonie américaine. Comment un mangeur de hamburgers qui se gave de films d’action peut-il ainsi critiquer la fine fleur de la culture mondiale ? Oui vraiment, il y a de quoi s’interroger…

Aujourd’hui, Donald Morrison revient sur le sujet, en lui donnant plus d’ampleur et en tirant les conclusions de cette polémique à laquelle il était loin de s’attendre. Le constat de départ est pourtant le même : malgré l’importance de la culture intra muros (la France est le pays développé qui consacre la plus grande part de son PIB à la culture et aux loisirs), « la France est aujourd’hui une puissance vacillante sur le marché mondial de la culture« . Très peu de romans français traduits à l’étranger, des films « sympathiques mais insignifiants, et destinés au marché national« , et les derniers chanteurs populaires français à avoir fait le tour du monde s’appellent Charles Trénet, Edith Piaf et Charles Aznavour…

Je ne rapporterai ici que quelques données relatives aux livres et à la lecture, mais le bilan de Morrison est bien plus vaste. La très faible part de romans français exportés dans les pays anglo-saxons tiendrait au fait que « on ne trouverait plus d’auteurs français dotés d’un souffle suffisant pour se lancer dans un récit de grande ampleur » et que la littérature française est « devenue ésotérique, distante du monde réel et donc difficile à exporter » et ce depuis le milieu du XXe siècle et l’apparition du nouveau roman. Prose relâchée, narcissisme facile, pessimisme obligé, nihilisme stérile et incapacité à s’attaquer au monde réel, voilà les reproches les plus souvent faits à la littérature française actuelle.

Cette distance avec la réalité est aussi applicable au cinéma français. La production théâtrale contemporaine quant à elle se cantonne à un  intellectualisme marqué aux tendances souvent claustrophobes, peu faites pour l’exportation« . Et en matière de musique, hormis Johnny Hallyday (un monument à lui tout seul), la seule à s’exporter à l’étranger est la techno « avec des groupes comme Daft Punk, Air, Justice et les DJ Laurent Garnier et David Guetta« . Vive la loi des quotas radiophoniques qui impose de diffuser 40% de musique française, mais pas forcément francophone…

La littérature, le cinéma, le théâtre, les arts graphiques… le constat est toujours le même : si la France a connu son heure de gloire, si elle a même été souvent un fer de lance, son influence mondiale est aujourd’hui réduite à une peau de chagrin, la seule disciple échappant au marasme étant l’architecture.

Après le constat, ses causes. Selon Morrison, ce déclin serait dû à plusieurs facteurs. L’un des principaux : « si le lustre de la culture française se ternit, c’est qu’elle est produite dans une langue fanée« . Puis le système scolaire qui néglige l’acquisition des connaissances au profit de l’épanouissement individuel et privilégie la fabrication d’élites (à quand les cours de creative writing dans les universités françaises ?) ; la méfiance génétique des Français à l’égard de tout ce qui connaît un certain succès commercial parfaitement résumée par cette phrase du sociologue Alain Quemin : « Pour les Américains, le succès d’un artiste sanctionne la qualité de son travail. A nos yeux, sa réussite signifie qu’il est trop commercial. Le succès est assimilé au mauvais goût. » L’arsenal français de quotas et de subventions ne servirait qu’à encourager la production d’oeuvres médiocres, la « bureaucratie culturelle » servant plutôt de frein que de tremplin au dynamisme créatif.

La vivacité culturelle nationale n’est ici pas remise en cause, c’est son prestige international qui l’est. Alors que l’intelligentsia hexagonale se gargarise d’exception culturelle, la culture française dans le monde se meurt, seules la mode et la gastronomie parvenant encore à peine à lui maintenir la tête hors de l’eau.

L’essai de Morrison est suivi d’un court texte d’Antoine Compagnon qui tente de se détacher du « réquisitoire américain contre la culture française » tout autant que du « plaidoyer français« . Globalement d’accord avec l’analyse de Morrison, il rappelle que les livres sur le déclin français, tous secteurs confondus, ont actuellement le vent en poupe, la France se faisant une spécialité de « la déploration culturelle, de la lamentation sur notre déclin« . Déplorons-le donc, la France n’est plus qu’une « puissance culturelle moyenne« , mais elle a jadis produit ces vers magnifiques, dont nous pouvons encore nous gargariser :

Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,

Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche

Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.


Que reste-t-il de la culture française ? suivi de Le souci de la grandeur

Donald Morrison et Antoine Compagnon
Denoël, 2008
ISBN : 978-2-20726044-9 – 204 pages – 13 €