Testament à l’anglaise de Jonathan Coe

Testament à l'anglaiseTabitah Winshaw est-elle folle ? Sa famille le dit, d’ailleurs, elle l’a fait enfermer dans un asile depuis des décennies, depuis la disparition de son frère bien-aimé, Godfrey Winshaw, mort dans le crash de son avion durant la Seconde Guerre mondiale. Pour Tabitha, c’est son frère Lawrence qui a tout manigancé, en aidant les Allemands. A la fin de sa vie, à l’aube des années 80, elle engage un écrivain jadis prometteur, Michael Owens, pour qu’il écrive la biographie de sa famille. C’est du moins le but officiel. Michael, narrateur de ce touffu roman, va donc marcher sur les traces des membres de cette famille, tous richissimes et tous plus odieux les uns que les autres.

« Ce fut purement par hasard que je me trouvais écrire un livre sur les Winshaw« , pense-t-il… mais en fait, au fur et à mesure de ses investigations, il va découvrir de curieuses coïncidences entre lui et les membres de la famille. Car le lecteur en apprend beaucoup sur Michael, sur son enfance notamment et une curieuse séance de cinéma interrompue sur une scène qui hantera l’enfant, puis l’homme, toute sa vie.

En enquêtant sur les Winshaw, c’est tout un pan de l’histoire britannique récente qui est mis en scène, en particulier les années Thatcher, puis celles qui ont précédé la première Guerre du Golfe. Les Winshaw s’avèrent être des gens malsains, cyniques, qui écrasent tout sur leur passage en piétinant tout ce qui peut nuire à leur réussite. Henry et Mark financent avec profit et sans remords aucun l’armement de Saddam Hussein, Dorothy fait martyriser des milliers d’animaux pour le plus grand profit de son entreprise agroalimentaire, Hilary manipule les médias et traine tout le monde dans la boue dans ses chroniques de tabloïds qui l’enrichissent à millions. Michael semble bien frêle face à de tels rapaces… et son allié, son seul allié, est un vieillard libidineux de quatre-vingt-dix ans, enfermé pour récidive d’outrages aux bonnes mœurs et qui semble avoir d’autres motivations que la découverte de la vérité pour aider Michael (« Je suppose qu’une petite branlette vite fait est hors de question ? » lui demande-t-il à brûle-pourpoint alors qu’il lui résume trente ans de recherches sur la famille…). Car ce livre est drôle aussi, pathétiquement drôle…

Ce vieillard succulent, détective de son état, n’est pas le seul excellent second rôle de ce roman. Ils sont nombreux les personnages qui entrent et sortent, croisent le destin des Winshaw ou de Michael, pour finir par construire un roman labyrinthique complexe et maîtrisé. Par des mises en abime, des flashbacks, et enfin une dernière partie durant laquelle le lecteur se demande s’il n’est pas tombé dans une pièce de boulevard parodiant les pires romans gothiques anglais, Jonathan Coe construit un roman étonnant, fascinant. Il ressemble à un échafaudage hétéroclite, qui semble de plus en plus branlant et pourtant fonctionne en tout point. Par petites touches énigmatiques, le lecteur comprend que tous les faits sont liés, que tout s’imbrique pour finalement donner lieu à un ouvrage d’art qui force l’admiration. J’ai eu quelques passages difficiles, notamment dans les parties consacrées à Henry, le politicien (mais sans doute cela est-il dû à une méconnaissance de cet aspect de l’histoire britannique) et à Mark, l’homme d’affaires qui vend des armes à l’Irak. Mais ce ne sont que quelques dizaines de pages qui ancrent le roman dans son actualité et soulignent le cynisme de ces personnages puissants et manipulateurs.

En plus des coups de patte aux politiciens et hommes d’affaires sans scrupule, Jonathan Coe égratigne au passage le système hospitalier, l’industrie agroalimentaire, le monde de l’art et de l’édition, bref, tout le monde en prend pour son grade, avec humour et lucidité.
Aucune raison donc pour ne pas lire ce foisonnant roman, qui me réconcilie avec l’auteur après mon expérience mitigée avec La maison du sommeil.

Jonathan Coe sur Tête de lecture

Testament à l’anglaise

Jonathan Coe traduit de l’anglais par Jean Pavans
Gallimard, 1995 (existe en poche)
ISBN : 978-2-07-073666-0 – 498 pages

What a Carve Up ! parution en Grande-Bretagne : 1994

87 commentaires sur “Testament à l’anglaise de Jonathan Coe

  1. C’est avec celui-ci que j’ai découvert Coe et j’ai beaucoup aimé. Sa satire de la société est excellente!

  2. Je me rends compte que je n’ai lu absolument aucun roman de Coe, Pourtant, j’ai le sentiment qu’ils pourraient bien me plaire. En tous cas, celui-là !

    1. Ah mais oui, moi il fallait absolument que je me réconcilie avec lui, je savais que le premier livre lu n’était pas le bon mais que d’autres me plairaient et j’en suis ravie.

    1. C’est rare un livre où tous les personnages sont aussi consistants, les plus importants comme les secondaires. C’est vraiment très réussi.

  3. ce roman me tourne autour depuis des mois et ton billet donne décidément envie de sauter le pas. Les personnages, les thèmes, tout semble intéressant! il faut juste que je trouve du temps car il est assez volumineux…

    1. Je me disais pareil, j’ai profité des vacances de Noël pour le lire et me laisser prendre par le nombre de pages et la construction savante. Vive les vacances !

  4. Testament …C’est à mon avis son meilleur roman publié à ce jour!
    Ensuite, les deux volumes de  » Bienvenue au club », sont intéressant aussi,dans le même esprit que celui-là.
    J’ai bien aimé  » La pluie avant qu’elle tombe »quoique très différent.
    j’ai été déçue par La Maison du sommeil…

  5. et bien moi je n’ai pas vraiment aimé. Tous les éléments étaient pourtant réunis pour me plaire mais je n’ai pas accroché du tout à l’écriture de Coe et j’ai trouvé ça bien trop long à se mettre en place.

    1. C’est vrai que tout ça est très minutieux et qu’on entre assez lentement dans l’histoire elle-même. Ça met du temps à se mettre en place, mais au final, tout s’imbrique et ça, c’est très bien fait je trouve. Tout ça lié avec la critique de la société britannique, pour moi, c’est vraiment bon. J’espère que tu essaieras à nouveau cet auteur, il en a fait de moins gros…

  6. ça n’est pas vraiment la taille qui m’a rebuté, mais la lenteur effectivement, parce qu’en soi la critique de la société britannique j’ai bien aimé donc e ne dis pas non à Coe 🙂

  7. Je ne me suis pas encore décidée à découvrir cet auteur, pourtant les avis sont tous excellents ! Devrai-je encore réduire un peu plus mon quota d’heures de sommeil ?! 😉

    1. pour arriver à lire tout ce qu’on a envie de lire, je ne vois pas d’autres solutions… ah si, peut-être : arrêter de travailler et de faire le ménage !

  8. Ah que ça me fait plaisir !
    Dis, tu te rends compte ? On a aimé le même livre ! L’année est prometteuse 🙂

  9. Je l’ai dans ma PAL, mais je crois que je vais plutôt découvrir Coe avec « La pluie avant qu’elle ne tombe » qui va sortir en poche, il évoque Rosamond Lehmann dont j’ai beaucoup aimé un livre.

  10. J’ai le souvennir d’un gros pavé assez long à terminer. Par contre j’ai envie de lire le dernier qui vient de sortir, une amie m’a dit que c’était vraiment bien…

    1. C’est un livre qui supporte mal qu’on hache sa lecture je crois, c’est touffu et il y a pas mal de pistes à suivre, ça doit être pour ça.

  11. Il faut absolument que je le lise ! Mais le prochain pour moi sera La pluie avant qu’elle tombe, sans même attendre le poche, car je crois qu’il ne va sortir qu’en avril. En tous je vais éviter La maison du sommeil pour le moment…

  12. En ce qui me concerne, j’adore Jonathan Coe ! Je l’ai découvert avec, justement, Testament à l’anglaise. Et lu tous ses livres sauf le dernier paru.

  13. Jonathan Coe est ma découverte 2009, après une première expérience ratée, comme toi, avec « La maison du sommeil ».
    Il y a tout ce que j’aime: le style, l’histoire et les personnages qui embarquent, l’humour, et la construction si maîtrisée.

  14. J’ai lu ce roman de Jonathan Coe il y a quelques temps déjà … ET j’avais vraiment beaucoup beaucoup aimé. « La maison du sommeil » est son meilleur selon moi.

  15. Un livre qui m’a l’air riche et condensé ! J’aime le titre, le sujet et ce que tu en dis , pourtant quelque chose me retient. Pas vraiment un livre que j’ai envie de lire tout de suite peut être …

    1. Quand j’en aurai lu un autre, je ne doute pas de pouvoir l’affirmer aussi, notre première rencontre ratée n’était qu’un accident !

  16. J’ai adoré ce roman et détesté « la maison du sommeil ». Conseil : jette-toi sur « bienvenue au Club » et sa suite « le cercle fermé ». C’est extra!

  17. C’est un livre que j’ai lu il y a longtemps mais dont je garde un excellent souvenir notamment grâce à son incroyable construction. Depuis je suis l’oeuvre de Jonathan Coe que j’apprécie énormément.

  18. mon prochain de jonathan coe qu’il faut d’ailleurs que je lise rapidement, il m’a été prêté il y a déjà un moment… bientôt une critique sur mon blog 😉
    j’avais beaucoup aimé bienvenue au club, un peu moins le cercle fermé même si… Jonathan Coe est vraiment un très bon auteur =D

  19. Je me souviens avoir lu « Testament à l’anglaise » il y a très longtemps, et avoir apprécié cet humour noir, incisif et cynique propre aux auteurs anglais ! Une vraie petite merveille sur la société anglaise décortiquée et passée au microscope pour le plus grand plaisir du lecteur … Sans parler de quelques moments loufoques ! Je crois que je le relirai bientôt, juste pour le plaisir de l’atmosphère de cette singulière famille …

    1. Quelle famille en effet, tout à fait le genre d’histoire qui me plait, bien alambiquée avec des histoires noires, des secrets et tout, ah, que j’aime ça !

  20. Au début, je me disais que je n’avais pas trop envie de faire connaissance avec cette famille très spéciale. Et puis, quand tu dis « avec humour et lucidité », je me dis pourquoi pas. Je note. Par contre, la couv est curieuse, elle fait beaucoup plus rétro que l’époque traitée à priori dans le livre.

  21. POur moi, C’est LE livre de Jonathan Coe à lire absolument. Je l’ai découvert avec ce titre là. Depuis, j’ai lu « bienvenue au club » et « une touche d’amour » mais sans autant de plaisir.

  22. Tiens… 😉 Tu n’as pas aimé ‘La Maison du sommeil’ ?! Je n’osais pas le dire et je vois qu’on n’est pas les seules ! Merci pour ce billet. Je retournerai vers Coe de bon coeur alors !

  23. Bonjour Ys, j’ai lu ce roman il y a très longtemps, c’était le premier que je lisais de cet auteur et j’avais été enthousismée. Il faudrait que je le relise, je n’en ai aucun souvenir. Bonne après-midi.

  24. Si je devais faire le top 10 de mes livres préférés, « Testament à l’anglaise » y figurerait! Je me souviens l’avoir dévoré et adoré! Par contre, j’ai lu pratiquement tous les livres de Coe et, même si je les aime bien, aucun ne m’a fait cet effet!

    1. J’espère quand même ne pas avoir lu le meilleur, je veux dire, j’espère que les autres sont bons aussi sinon, c’est un coup à être déçue…

  25. Bonjour,
    Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j’aime beaucoup, entre deux lectures, m’offrir un roman de Coe (comme je le fais d’ailleurs un peu avec Paasilinna). L’humour très anglais de cet auteur est en effet une pause rafraichissante. J’ai commencé avec « Testament à l’anglaise » puis « La maison du sommeil », « Une femme de hasard, « La vie très privée de Mr Sim », « La pluie avant qu’elle tombe » et « Les nains de la mort ». « Testament à l’anglaise est le plus long mais on est complètement happé par cette chronique familiale. On n’a pas le temps de dire ouf! que le narrateur change de personnage et de style, l’écriture est très alerte. Qu’on aime ou pas, il s’agit d’une lecture très intéressante. La description d’une des héritières propriétaire d’unesociété alimentaire est d’anthologie, de même que la fin, avec Mortimer comme maître des cartes, qui est simplement jouissive.
    On retrouve cet humour des situations et la médiocrité des personnages rarement décrite de façon caricaturale ni de façon méchante dans les autres titres de Coe, mis à part « La maison du Sommeil », que j’ai bien aimé mais tout de même assez glauque, qu’on ne peut pas lire à n’importe quel moment, et « La pluie avant qu’elle tombe », franchement triste, dans lequel une vieille dame, d’entre les morts, par le biais d’un magnétophone, décrit vingt photos pour nous mener progressivement vers une effroyable réalité.
    C’est peut-être ça qui est bien chez Coe. Il n’est pas cérébral ou philosophique, mais diablement malin, et on se laisse facilement tenter par sa peinture de personnages très ordinaires mais tellement risibles.

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