Tout est dans la tête d’Alastair Campbell

Tout est dans la tête d'Alastair CampbellLe sujet de ce roman tient en quelques mots et pourtant, il est d’une grande densité humaine, de celle qui font passer un vécu difficile. C’est tout simplement l’histoire d’un psy, Martin Sturrock, qui sombre dans la dépression. Un psy efficace, londonien, chef de service, qui donne énormément à ses patients au point de ruiner sa vie familiale. Le lecteur le suit lui, pendant ses consultations et dans son quotidien difficile avec sa femme, mais il suit aussi ses patients, tous ces traumatisés de la vie qui pour beaucoup non plus que le professeur Sturrock pour espérer s’en sortir. Il y a, entre autres, David Temple, dépressif chronique depuis le départ de son père, qui vit avec sa mère mais n’arrive pas à mener une vie sociale normale ; Emily Parks, jeune fille jadis enjouée et séduisante avant d’être défigurée par un incendie ; Arta Mehmeti, mère de famille réfugiée kosovare violée dans son appartement londonien en présence de sa fille ; Ralph Hall, ministre de la santé, au prise avec le démon de l’alcool.

Tous essaient de s’en sortir avec l’aide de Sturrock et tous sont extrêmement bien campés. Mais il n’est pas étonnant que le personnage le plus criant de vérité, et finalement le plus émouvant (et je vous assure que je n’ai pas de faiblesses pour les alcooliques !) est sans conteste ce Ralph Hall, qui touche le fond en quelques jours de déshonneur.

C’est que cet Alastair Campbell qui écrit là son premier roman, n’est pas n’importe qui. Il fut le conseiller en communication de Tony Blair, en particulier au moment de la mort de lady Diana. Il a lui-même été en proie à l’alcoolisme et à la dépression.
Le lecteur découvre ce qui se passe dans le cabinet d’un psy, quelle relation s’instaure entre le médecin et ses patients, mais aussi ce qu’ils deviennent entre deux séances, leur envie de tenir, le quotidien qui les rattrape, les proches qui ne sont pas toujours à la hauteur… Mais on est aussi et surtout dans la tête de ce psy qui lui aussi a une famille, des problèmes, des faiblesses et des contradictions. Il est par exemple fasciné par sa superbe patiente, Hafsatu, qui a été violée et forcée à la prostitution pendant des années ; mais lui-même fréquente régulièrement les bordels, ce qui contribue à le mettre psychologiquement au bord du gouffre.

Malgré tout ce qu’il sait, malgré toutes les souffrances qu’il a contribué à apaiser, Martin Sturrock essaie d’être celui qu’il n’est pas : bon médecin, bon mari, bon père. Mais il n’est qu’un homme, un homme qui commence un jour à ne plus voir que le mauvais côté des choses, les malades qu’il n’a pas guéris, le silence de son fils, l’incompréhension de sa femme. Il aurait besoin d’un psy, mais pour lui plus qu’un autre, il est impossible de se faire cet aveu.

Quand je l’ai vu à « La Grande Librairie », j’ai été étonnée par la personnalité de cet Alastair Campbell, homme jadis politique parlant si aisément de sa dépression et de son alcoolisme. J’ai eu envie de lire son livre et si je n’en ai pas appris plus sur lui, j’ai découvert un auteur efficace, qui sait rendre aussi bien l’agitation de la vie politique et l’acharnement des médias que la déchéance d’un homme qui se croit devenu trop faible pour vivre sa vie.
Le dernier chapitre est particulièrement émouvant, je l’ai lu en écoutant « Hey Jude », très mauvais contexte musical si on entend garder un minimum de dignité en lisant…

 

Tout est dans la tête

Alastair Campell traduit de l’anglais par Esther Ménévis
Albin Michel, 2009
ISBN : 978-2-226-19096-3 – 362 pages – 19,50 €

All in the Mind, parution en Grande-Bretagne : 2008

51 commentaires sur “Tout est dans la tête d’Alastair Campbell

  1. En lisant le début de ton billet, je me disais : pas pour moi, les psys, ça ne m’intéresse pas vraiment ! Et plus j’avançais dans la lecture de ton billet, plus je changeais d’avis avant d’être définitivement convaincue 🙂 Je note !

    1. Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir de si bon matin ! Il y a plus qu’une historie de psy dans cette histoire, c’est surtout des moments de vie vraiment très humains.

    1. Dès que j’ai vu ce type à La Grande librairie, il m’a bluffée, son attitude, sa façon de parler de sa dépression et de son alcoolisme… je crois que les anglo-saxons en général sont plus décomplexés que nous (je veux dire une fois qu’ils en sont sortis). J’ai foncé l’acheter, puis je l’ai un peu oublié… mais mon mari l’a lu et il a été vraiment ému en le lisant, ça m’a convaincue, je l’ai commencé aussitôt et c’était bien.

  2. J’ai toujours aimé les livres de médecins sur leurs clients alors si en plus l’auteur parle de lui-même, c’est encore mieux! J’ai noté!

  3. Ce roman psy m’a l’air passionnant ! C’est bizarre, moi qui regarde LA grande librairie, je ne me souviens pas de l’avoir vu… j’ai du rater quelque chose ou bien suis tombée dans une faille spatio-temporelle… ^^

  4. moi qui me disais « pfff encore un politique qui écrit un livre (ou fait écrire) parce qu’il n’a plus rien à faire », je n’ai même pas daigné y jeter un coup d’oeil en librairie (je n’ai pas vu l’émission)… je devrais peut-être m’y intéresser, finalement 🙂

    1. pareil que toi : j’ai d’abord pensé, oh la la, un homme politique qui se lance dans le roman, ça ne va pas être excellent (à chacun son métier après tout !). Puis sa prestation m’a convaincue, et son livre aussi.

  5. c’est marrant, j’ai regardé « The Queen » récemment qui met en scène Alastair Campbell aux côtés de Blair lors de la mort de la princesse Diana. Dans ce film il n’apparait pas sous un jour très sympathique… Ce roman me tente bien, même si le sujet est peut-être un peu pesant…

  6. La couv me ferait plutôt passer mon chemin. Tu en parles terrrrrrriblement bien. J’ai bcp aimé The Queen et j’ai suivi Campbell lorsqu’il a annoncé publiquement ses années difficiles. Bien envie de le découvrir comme auteur !

  7. J’ai tendance à réagir un peu comme Manu : envie de passer mon chemin en entendant parler de psy, et puis finalement… C’est surtout l’histoire d’une souffrance et d’une crise que le narrateur essaie de surmonter. J’essaierai de lire ce livre…

    1. C’est le type même de livres sur lequel on pourrait ne pas s’arrêter à cause de la couv’ hideuse et du résumé qui est surtout axé sur le travail du psy… mais il y a bien plus que ça…

  8. Intéressant. Pas tant pour les aspects psy/patient/famille and co, mais pour le côté naufrage de l’être humain, qui sombre après avoir longtemps lutté pour garder l’équilibre au bord du précipice. Mais pas de voyeurisme ici de ma part, seulement la curiosité de savoir comment un autre peut vivre (et survivre à) certains moments particulièrement pénibles. Je note dans ma tobuy list future Pal.

    1. euh… z’êtes sûr de ne pas l’avoir lu déjà ? parce que « le côté naufrage de l’être humain, qui sombre après avoir longtemps lutté pour garder l’équilibre au bord du précipice », c’est exactement ça, exactement, je n’aurais pas pu écrire mieux…

    1. ben non ! (j’ai une réputation à tenir quand même !), mais je conseille les âmes sensibles au coeur tout mou de plutôt écouter Tata Yoyo pour éviter tout risque lacrymal !

      1. Ben j’étais gosse aussi, et ma maman était instit en maternelle… Alors forcément Annie Cordy… on n’en ressort pas indemne. Je vous laisse imaginer les autres objets de torture musicale. Le plus évident étant bien entendu l’hurluberlue lagomorphile. Aucun gamin ne devrait endurer ça, non aucun…

  9. Et en plus c’est drôle, humour british, ne passez pas votre chemin, c’est l’un des meilleurs livres que j’ai lus en 2009. J’avais été séduite lors du passage de l’auteur à la grande librairie en juin, je dirais, et j’avais apprécié son « anti-langue de bois » sur des sujets comme la dépression et l’alcoolime. Bravo pour le résumé!

    1. Je trouve que les Anglais parlent beaucoup plus ouvertement de ce genre de problème que les Français,et c’est vrai que Campbell le fait très franchement. Je suis ravie que vous ayez apprécié ce livre.

  10. Je viens de le lire et j’ai adoré ! L’auteur a un chemin d vie vraiment pas banal, j’ai appris beaucoup sur la dépression, le lien patient-psychiatre, c’est un roman bien construit, bien mené… Très beau premier roman, j’espère qu’il sera inspiré pour nous proposer quelque chose d’autre !

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