« On ne devrait écrire des lignes que pour dire ce que l’on n’oserait confier à personne. »
Au crépuscule de sa vie, Vittorio Alberto Tordo, le grand auteur, « l’incontournable géant de la littérature » de son pays exprime le dégoût de ce qu’il a été. Il a décidé de coucher par écrit « sans complaisance envers lui-même tout ce qu’il a passé sa vie à ne pas vouloir regarder ni lire« .
D’abord jeune soldat italien enthousiaste durant la Première Guerre mondiale, il se regarde désormais comme « … une caricature d’homme, une créature de la propagande, qui fait siennes toutes les formules ressassées, remâchées, qu’on lisait alors dans les journaux, dans les bulletins militaires, dans les circulaires officielles, dans les lettres de combattants choisies et lues aux troupes« .
La colonisation, le fascisme, Mussolini, tout sied à cet homme dont les écrits rencontrent le succès. Porté par la fierté nationale, par un Duce qu’il dénonce parfois (non parce qu’il ne se sent pas fasciste mais parce que Mussolini a fait perdre la guerre aux Italiens) et galvanisé par le retour à l’Empire, il se transforme en écrivain d’avant-garde, on le compare à Proust, à Joyce, à Beckett. Pourtant, tous ses livres ressemblent désormais pour lui à du bruit car il est un roman qu’il n’a pas écrit, qui « aurait dû dire sans complaisances pour [ses] propres lâchetés transmuées en glorieux emblèmes, qu’un État en guerre est toujours un État tyran, et que ce n’est pas le fascisme qui a produit la guerre, mais la guerre qui a engendré le fascisme, parce qu’on a englouti dans le silence le hurlement d’effroi, d’agonie, de rage, des millions d’innocents condamnés à être massacrés, à massacrer, dans le silence et le vacarme de la grande littérature nationale. »
Tordo a été marqué pour toujours par la Grande Guerre et passera pourtant sa vie à ne pas écrire ce qu’elle a fait de lui car il hait celui qu’il a alors été. L’homme qui a fait des livres de la souffrance d’autrui ne peut plus en vivre ni même écrire. Chaque nuit, ceux dont il a fait des personnages viennent le hanter et lui demandent des comptes. Rattrapé par ses crimes et par ses odieux engouements de jeunesse, il vit en paranoïaque et s’interroge sur l’écriture.
Et il interroge le lecteur sur la place des intellectuels dans la guerre et plus généralement sur leur responsabilité face aux conflits. Par leur verbe ils charment, ils enrôlent, ils envoient à la guerre des soldats aveuglés par des mots car certains livres sont aussi des instruments politiques. Prennent-ils part à la barbarie ceux qui manient si bien la plume qu’on meurt au nom de leurs idées ? Cette décisive question de l’engagement est au cœur de ce court texte, premier roman de l’auteur qui étonne non seulement par le choix de ce thème difficile mais aussi par un style fort qui pousse autant à l’indignation qu’à l’émotion.
Morts et remords
Christophe Mileschi
La fosse aux ours, 2005
2-912042-75-5 – 122 pages – 14 €
Comme tout ce qui touche à l’Italie me tient à cœur, j’ai été voir les autres avis, qui sont très variés et, comme le tien ne dit pas clairement si tu as aimé ou pas ce premier roman, je suis perplexe. Y a-t-il une véritable intrigue ou est-ce plutôt un livre de réflexions?
Non, il n’y a pas vraiment d’intrigue, le narrateur vient et revient sur son passé. Sa position est très intéressante mais je ne sais pas si ce livre me marquera longtemps.
yeux écarquillés je ne me souviens absolument pas de ce titre de la chaine? le temps qu’il arrive, de toute façon…Tu ne dis pas qui l’a proposé?
C’est Lune de pluie qui l’a proposé mais elle a fermé son blog depuis…
J’ai beaucoup aimé le style de l’auteur, d’ailleurs cette maison d’édition ne m’a jamais déçue ! 😀
Je n’avais jamais lu de livres de cette maison d’édition avant la chaîne des livres, maintenant ça fait deux, je suis contente de ces découvertes.
La chaîne est repartie sur les chapeaux de roue, mes amis !!! Ce titre-là suscite ma curiosité en tout cas 😉
Elle cahote encore un peu à certains endroits, mais oui, le rythme est là !
La chaîne se déroule dis donc !! Tant mieux ! Il me tarde de lire ce livre-là, ce n’est pas mon genre de lecture habituel mais un peu de changement ne fait pas de mal !
Pareil pour moi : je n’aurai jamais lu ce livre de moi-même.
Voilà un livre que je suis sûre de ne jamais relire. J’hésiterai même à le conseiller.
Ah bon, à ce point ? C’est tout de même un sujet que j’ai trouvé intéressant, et peu traité dans les romans.
Le sujet me semble très intéressant mais sans véritable intrigue, je ne suis pas certaine d’accrocher ! 😉
C’est plus le fil d’une pensée qu’une véritable intrigue, en effet.
Bieeeen à voir quand il arrivera :-))
C’est un texte intéressant pour tout ce qu’il suggère, j’espère qu’il te plaira.
J’ai moi aussi trouvé le propos de ce livre très juste et intéressant, mais la forme peu probante, un peu confuse et affectée…
Je me souviens d’avoir lu attentivement le billet de Leiloona lorsqu’elle a présenté cet essai. Et il m’attirait déjà ! Tu viens de me confirmer mon attrait pour ce livre qui est plus proche de la réflexion sur l’engagement intellectuel dans un conflit qu’une biographie d’un auteur italien … Il faudra que je regarde si je peux le trouver pour le lire !
Je ne sais pas s’il est facilement trouvable aujourd’hui, c’est une petite maison.