Vendetta de Roger Jon Ellory

Vendetta de Roger Jon ElloryPrise d’une crise de flemmardise aigüe, j’ai bien envie de recopier la quatrième de couverture de Vendetta et point barre. Comment pourrais-je être plus louangeuse que cet efficace outil de marketing qui pour une fois dit tout dans les termes les plus appropriés ? Mais si ce blog existe, c’est pour faire partager mes enthousiasmes, non pour faire vendre des livres, je m’attelle donc à la tâche de faire plus convaincant que l’éditeur lui-même, du moins j’essaie, car après avoir lu les deux livres de Roger Jon Ellory parus en France, je pense que ce type est un génie, oui, rien de moins. Car enfin, me passionner en racontant l’histoire de la mafia américaine, ça n’était pas gagné, c’est même d’ailleurs pour ça que j’ai repoussé si longtemps ma lecture.

La fille du gouverneur de Louisiane a été enlevée et son garde du corps retrouvé assassiné dans le coffre d’une superbe voiture, le cœur sectionné. Ça ressemble à une vengeance, la police locale est sur les dents, mais le FBI s’en mêle et prend l’enquête en main sur place. Curieusement, un homme prend contact avec les agents et déclare qu’il va se livrer et leur expliquer où se trouve la fille. Mais avant, ils devront écouter son histoire qu’il ne racontera qu’à un certain Ray Hartmann, enquêteur à la sous-commission judiciaire sur le crime organisé à New York. Hartmann, accablé par ses propres soucis personnels (sa femme et sa fille sont parties parce qu’il ne parvient pas à dominer son alcoolisme), arrive à la Nouvelle-Orléans et commence à écouter l’incroyable récit de Ernesto Cabrera Perez, né lui aussi en Louisiane plus de soixante ans auparavant de père cubain, homme de main pour la mafia depuis plus de quatre décennies.

Et Perez raconte, jour après jour, qu’elle fut sa vie depuis son enfance, son père violent, boxeur, assassin, le premier meurtre alors qu’il n’était qu’adolescent et toujours pour but dans la vie de devenir quelqu’un. Il fuit et côtoie un monde violent, celui de la prostitution, de la drogue, de l’argent facile. Il tue son meilleur ami qui l’a trahi puis intègre la famille, celle de la mafia italienne aux États-Unis, qui ne sera en fait jamais la sienne, lui, le Cubain. A Cuba, Miami, New York, Los Angeles, Perez tue pour obéir, honorer des contrats, renforcer les liens entre certaines familles alliées ou au contraire, faire des exemples, les venger. Perez ne connait pas ses victimes, il ne demande rien, il ne parle pas, exécute sans broncher ni laisser de traces : Perez est un pro, l’un des meilleurs dans son domaine. Il finit par être au courant de magouilles en très hauts lieux, il sait ce que personne ne sait, les meurtres des Kennedy, Marylin Monroe, Jimmy Hoffa… il était là, il sait qui a fait quoi et que le gouverneur de Louisiane a des liens avec la mafia.

Et ce récit est tout à fait passionnant. Parce que Perez n’est pas un tueur sordide. C’est un « psychopathe, un homophobe même, mais en même temps, un homme étrangement éloquent et cultivé, attentionné et conscient de la nécessité de la famille, du pouvoir de la loyauté et de la parole donnée. Un paradoxe. Un anachronisme. Un mystère. » D’apparence monolithique, il est pourtant tout en nuances, en tourments et en déchirures, bref un personnage fin et multiple qui sait se rendre intrigant et inattendu.

Car pour créer la dynamique de son récit, de cette histoire de la mafia sur cinq décennies, R.J. Ellory a intercalé entre chaque chapitre du récit de Perez, l’histoire des agents du FBI qui essaient de remonter la piste de l’enlèvement et la dérive personnelle de Hartmann qui lui aussi a ses rêves de loyauté envers sa famille. Si le but premier de l’auteur est l’histoire de la mafia américaine, il a su très bien la romancer et créer le suspens avec l’intrigue de l’enlèvement et la vie personnelle de Perez. Comme les enquêteurs, le lecteur veut savoir pourquoi Perez a décidé de se livrer et de raconter sa vie, pourquoi il a promis de relâcher la jeune fille à l’issue de son histoire : très habile construction qui accomplit l’ultime vengeance de Perez (A Quiet Vendetta, comme dit le titre anglais) et mêle histoire réelle et fictive pour donner plus de réalisme à l’invention.

Si j’ai encore une fois plongé immédiatement dans l’univers de R.J. Ellory, c’est qu’il est à mes yeux un formidable raconteur d’histoires et surtout de destins. Tous ses personnages sont approfondis et prenants, le lecteur se retrouve lié à leur sort, il veut savoir comment ils en sont arrivés là et ce qu’ils vont devenir. Il sait aussi mettre en place une ambiance prenante et d’un réalisme tel qu’on dirait qu’il a arpenté les rues, les casinos, les marécages qu’il décrit et rencontré tous ces gens qui bien sûr, lui ont raconté leur histoire. S’il n’était Britannique, je dirais d’Ellory que c’est un des plus grands auteurs américains, qui nous plonge dans l’histoire de son pays et de ses ancêtres…

Roger Jon Ellory sur Tête de lecture

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Vendetta

Roger Jon Ellory traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
Sonatine, 2009
ISBN : 978-2-35584-016-6 – 651 pages – 23 €

A Quiet Vendetta, parution en Grande-Bretagne : 2005

80 commentaires sur “Vendetta de Roger Jon Ellory

  1. Apparemment le nom de l’auteur est l’anagramme de James Ellroy. Ce roman-ci semble d’ailleurs faire écho à la trilogie « Underworld USA ».
    Je commencerai par « Seul le silence », ensuite on verra 😉

    1. Il me semble pourtant que c’est son vrai nom… et puis franchement, en un livre il s’est fait un nom à lui tout seul sans problème.

    1. Moi pareil, la mafia a priori, ça ne m’intéresse guère, et puis voilà… je crois qu’il pourrait me raconter une histoire sur la culture intensive des tomates en Sibérie, il me captiverait quand même 🙂

    1. Ah ben misère, c’est étrange ça… Les fins sont certainement prévisibles, par exemple, dans celui-là, on se doute rapidement de qui est la jeune fille. Mais c’est l’histoire, l’ambiance, le récit de vie qui me prend tout de suite pour ne plus me lâcher.

  2. « Seul le silence » est déjà noté depuis un bon moment dans ma LAL, ce titre le rejoint donc car en lisant ton billet, je me dis que je ne peux pas passer à côté d’une telle lecture !

  3. J’hésitais, j’hésitais (j’ai bien aimé Seul le silence, remarque), mais ton billet est tentateur… Bon, il est à la bibli, je n’ai pas d’excuses!

    1. Bon ben à ma bibli, il n’y est plus parce qu’il faut bien que je l’écrive quand même quelque part : les livres de chez Sonatine sont vraiment très très mal fabriqués, trois quatre lecteurs et pfff ! les pages s’envolent… c’est carrément très pénible. Il faut les acheter reliés ou les faire relier et ça double le prix du livre… on en achète donc deux fois moins… vraiment pénible.

  4. J’avais marché, que dis je marché, j’avais couru pour le premier mais celui ci ne m’a pas fait craqué, ce sera pour le prochain !

  5. Je n’avais pas aimé « Seul le silence », trop long et détaillé à mon goût. Je sais je dois être une des seules… Du coup, j’hésite pour celui-ci…

    1. La démarche est la même : ce sont des livres d’ambiance, qui s’installent doucement et précisément, avec beaucoup de détails qui en font presque des tableaux vivants, des reconstitutions. Pour ma part, je suis admirative.

    1. J’adorerais les éditions Sonatine si elles fabriquaient des livres plus solides (c’est la bibliothécaire qui parle), à part ça, c’est un sans faute pour moi.

  6. je suis comme toi Ys : me conquérir avec une histoire de mafia, franchement, c’est un tour de force ! du coup, j’attends les Anonymes avec impatience !

  7. Ellroy, Ellory. C’est la définition même de l’anagramme. Je suis pas un expert mais je crois avoir lu qu’on ne sait pas si c’est son vrai nom ou s’il l’a pris pour rendre hommage à Ellroy. Cela dit, ça doit être efficace pour attirer l’oeil du fan de polar. A chaque fois que je vois un de ses bouquins, je lis Ellroy et ça suffit à m’interpeller. Et je suis même pas un fan de polar.

  8. R. J. Ellory est sûrement la révélation des dernières années … J’ai adoré ses deux premières productions et j’attends le prochain avec impatience !

    1. On dirait bien que nous sommes plusieurs 🙂 Il a vraiment conquis le public francophone en peu de livres, c’est signe de talent si je ne me trompe…

    1. Ils ne jouent pas dans le même registre, Seul le silence est plus sur les émotions, à mon avis, il faut lire les deux pour encore mieux apprécier tout le talent de cet auteur.

  9. On m’a dit que c’était très différent du premier à tous niveaux et que ça pourrrait me plaire! Je vais donc le mettre dans ma liste en attendant le poche.

    1. La sortie en poche de celui-ci va sûrement se faire au moment de la parution du troisième, c’était le cas pour le précédent me semble-t-il.

  10. J’ai eu un coup de coeur énorme pour « Seul le silence ». J’ai très envie de lire celui-ci, bien que je ne sois pas très attirée par les récits de mafia en général. Et là, ton avis me donne encore plus envie de craquer !

  11. Pas lu celui-là mais je lirai bientôt le quatrième que j’ai acheté en GB.Nous sommes quand-même drôlement en retard en France car celui qui sort en cette rentrée n’est que le 3e et deux autres sont sortis depuis.

  12. « Seul le silence » avait été pour moi un gros coup de coeur. Maintenant que le nouvel Ellory arrive, je me dis qu’il serait vraiment temps de m’attaquer à Vendetta, que j’ai dans ma pile… Cet avis donne envie en tout cas !

  13. C’Est certain que je vais le lire un jour, ce roman. j’ai teeeeeeeellement aimé « Seul le silence » que je ne passerai pas à côté d’un autre roman de l’auteur.

    1. Ça n’est pas urgent, c’est sûr, mais quand tu le liras tu te demanderas pourquoi tu ne l’as pas lu plus tôt, j’en suis certaine…

  14. Je le lirais pour sur à sa sortie en poche. Je viens tout juste de dévorer seul le silence.
    En plus, l’auteur était au salon du livre de St malo, il y a présenté ce livre et s’est révélé adorable lors de la dédicace ! Et en plus, keisha vient de me créer un superbe avatar que tu as en avant 1ère !!!

    1. Mais oui, je ne t’avais pas reconnue ! J’ai vu Ellory de loin à Saint Malo, sans trop m’approcher. La prochaine fois, j’oserai.

  15. Je n’aurai jamais pensé que les Ellory étaient aussi « profonds », je n’y voyais que de bons thrillers… quelle erreur ! Après avoir lu ton billet, je sais que cet auteur a tout pour me plaire, je note précieusement !

  16. J’ai lu également ce livre cet été et j’ai été déçue. J’ai aimé les portraits des personnages et surtout Hartmann. Mais le récit ne me paraît pas crédible avec les tentatives pour y insérer les faits divers qui ont bouleversé l’Amérique (famille Kennedy, Marilyne Monroe,…).
    Et puis surtout, j’ai eu l’impression que l’auteur voulait nous amener à trouver le tueur sadique finalement très sympathique en insistant sur une éventuelle rédemption et sur la complexité de sa personnalité.

    1. Bon, je crois que tu as décidé de me contrarier aujourd’hui 🙂 Oui, ce tueur devient finalement sympathique, même si c’est un tueur froid et sans scrupule. Et c’est justement ce qui est fort, cette part d’humanité qui apparait et qui fait qu’on s’attache à lui malgré tout.

  17. Tu viens de m’apprendre que l’auteur est britannique et non pas américain ! J’aurais pourtant cru, en lisant les billets sur ses deux romans, qu’il était d’outre Atlantique … Il me tarde de me procurer « Vendetta » parce que j’ai une réelle passion pour l’histoire de la mafia, qu’elle soit américaine, italienne, russe, japonaise, chinoise. Je lis tout ce qui me tombe sous la main concernant cette organisation secrète, nébuleuse et fascinante ! Et en plus, « Vendetta » sort en poche le mois prochain ;-D Donc, à moi la joie de le découvrir enfin !!

    1. Comme Tim Willocks, anglais lui aussi, ses romans se passent aux Etat Unis et l’écriture est très américaine (même s’il me faudrait bien du temps pour expliquer ce qu’est pour moi une écriture américaine), alors oui, ça porte à confusion. Et si le thème te plait d’avance alors le livre ne pourra que t’enchanter tout à fait.

  18. Salut Ys !
    Je sais que tu aimes Ellory… Ca y’est, je viens de publié l’interview exclusive qu’il m’a accordée, en VO et en VF. Il s’y révèle aussi fascinant que dans ses livres !

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