La carte et le territoire de Michel Houellebecq

La carte et le territoireLe personnage principal du roman, Jed Martin, est un artiste. Il connaît le succès grâce à ses photographies de cartes Michelin. Il fait de quelque chose de totalement prosaïque et inesthétique, une œuvre d’art. Dans sa seconde période, il entreprend de peindre le monde du travail, poussé par une « volonté de décrire, par la peinture, les différents rouages qui concourent au fonctionnement d’une société« . D’où des tableaux comme « Claude Vorilhon, gérant de bar-tabac » ou « Le journaliste Jean-Pierre Pernaut animant une conférence de rédaction ». Encore une fois, quoi de plus inesthétique (on pense à Apollinaire mettant en vers la modernité du monde). La démarche atteint son summum quand Jed Martin décide de peindre Houellebecq lui-même, on ne peut guère trouver plus sinistre. On mesure aussi l’humour coriace de l’écrivain qui rend ainsi supportable un nombrilisme exacerbé.

Dans le roman, Michel Houllebecq est à l’origine d’une œuvre d’art, « Michel Houellebecq, écrivain », dont la cote atteint le million d’euros. Michel Houellebecq, le vrai, serait-il par un jeu de réflexion qui construit tout le livre, à l’origine d’une œuvre d’art, La carte et le territoire ?

Je me souviens encore du choc éprouvé lors de la lecture il y a cinq ans de La possibilité d’une île : c’était comme un séisme, une sorte de révélation créée par un roman tout simplement monumental. Mélangeant cynisme et provocation, Houellebecq creusait au cœur de l’intime et de l’humain avec une lucidité dérangeante.  Je n’ai rien retrouvé de tout ça dans La carte et le territoire. Il me semble que Houellebecq a abandonné sexualité et romanesque pour décrire un monde de choses dont il ne parvient pas à écrire la poétique. L’éloge des bichons suit celui des Audi, mais qu’en est-il de l’Homme ? Serait-il totalement perdu dans un monde de biens matériels, d’objets ou d’apparences, comme ces charmants petits villages français appelés à devenir de véritables représentations d’eux-mêmes sans la moindre vitalité intérieure ?

Il n’y a plus beaucoup d’humain dans La carte et le territoire et c’est ce qui me déçoit. Mais il y a beaucoup de références. Littéraires d’abord, comme le démontre brillamment Arnaud Viviant dans sa réponse à Tahar Ben Jelloun. Je n’ai pas la grande culture de ce journaliste, et bien d’autres lecteurs non plus, c’est pourquoi il me semble difficile d’y réduire le sens de ce roman. Références artistiques ensuite, Picasso le barbouilleur priapique contre William Morris le préraphaélite génial, ça sent la provocation. Provocation encore à travers les références au monde du show biz, du bien aimé Frédéric Beigbeder à l’omniprésent Jean-Pierre Pernaut. C’est certainement drôle pour ceux qui savent, quelques happy few plus ou moins nombreux, moi, je n’ai pas la télé…

Que reste-t-il donc à ceux qui n’entrent pas dans ces jeux de miroirs et de clins d’œil ? Un héros terne, sans enthousiasmes ni émotions, qui se détache peu à peu de tout, fuyant le monde et la vie… un héros houellebecquien… Une intrigue qui se fait policière dans la troisième partie avec têtes tranchées, cadavres découpés en lanières et flics tournant de l’œil ; et un autre portrait d’homme, guère plus stimulant que les autres, celui du commissaire Jasselin.

Pour achever de me décevoir, Houellebeq utilise systématiquement, au moins une fois par page, la mise en italique des mots importants. C’est absolument horripilant et je m’étonne que, dans tous les articles que j’ai lus après ce livre, aucun ne le signale. L’écrivain n’aurait à ce point pas confiance en son style pour souligner de façon aussi primaire son propos ? Je m’étonne et surtout, je ne comprends pas…

Certains par ailleurs, interpellés par « les fastidieuses digressions sur la mouche domestique ou la ville de Beauvais » sont allés à la pêche aux sources et ont trouvé dans le roman des textes empruntés quasi mot pour mot à Wikipédia. Il est clair que Michel Houellebecq se fait ainsi le chantre de la banalité du style et de la fadeur littéraire qui a trop s’affirmer finit par ennuyer et à diluer l’intérêt du lecteur qui s’intéresserait à Houellebecq pour autre chose que son versant scandaleux.

Houellebecq parle du monde, de ce qu’il devient, de ce qu’il sera, tout en représentations plutôt qu’en sensations. Photographier la carte plutôt que la route, c’est se mettre à distance, loin de celui qui pourrait y cheminer ; c’est aussi préférer une représentation plutôt que la réalité. En tournant le dos à l’humain, Houellebecq perd en intensité parce que la littérature n’a pas besoin que de concepts, il lui faut aussi des émotions. Exprimer des émotions, c’est ce que Jed Martin ne parvient à faire ni avec son père, ni avec sa fiancée Olga, ni avec son ami Michel Houellebecq. Il ne parvient à s’exprimer qu’à travers ses œuvres, qui le rendent aussi riche que seul. D’où un livre froid, privé de vie, qui tourne parfois à l’insupportable encyclopédie.

La carte et le territoire

Michel Houellebecq
Flammarion, 2010
ISBN : 978-260812-4633-1 – 428 pages – 22 €

106 commentaires sur “La carte et le territoire de Michel Houellebecq

  1. c’est le premier livre que je lis de l’auteur et contrairement à toi dont j’apprécie l’article pourtant, j’ai été heureusement surprise. J’ai particulièrement apprécié la description des relations entre artistes et entre disciplines artistiques

  2. Lu, bien aimé (billet en cours, pour le moment, j’ai tout noté en vrac). Je relis ton billet et je n’y retrouve pas ce que j’ai ressenti à la lecture (excepté le même agacement que toi pour les mots ou les groupes de mots en italique, que je comptais aussi évoquer). Mais je n’avais aucune attente particulière et je ne pouvais pas non plus être déçue par rapport à des oeuvres précédentes, puisque je n’avais rien lu de lui…

  3. Je suis tout à fait d’accord avec ton billet, en particulier avec la dernière phrase, qui résumer bien les défauts de ce roman qui me semble largement surévalué par les médias.

    1. Ce prix Goncourt est à pleurer : pourquoi ce livre-là, tellement plat, alors que les précédents avaient vraiment une forte et un ton ? C’est bien triste et tellement consensuel…

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