Les monstres de Templeton de Lauren Groff

Les monstres de Templeton de Lauren GroffLes brillantes études en archéologie de Willie Upton se terminent plutôt mal : après un séjour de fouilles en Alaska qui doit révolutionner l’histoire du premier peuplement américain, elle rentre chez elle, à Templeton, enceinte de son vieux professeur que la colère de sa femme fait trembler. Abattue et triste, elle arrive le jour où un très étrange monstre vient de crever la surface du lac, raide mort. D’où vient-il, que fait-il là, comment a-t-il vécu tout ce temps, est-il le seul représentant de sa race inconnue ? Autant de questions qui passionnent cette ville tranquille de l’état de New York, la Mecque du base ball, assaillie de touristes chaque été. En plus de ce sport on ne peut plus américain, Templeton s’enorgueillit d’être le berceau du premier écrivain américain, James Franklin Temple (lire James Fenimore Cooper, de même Cooperston, ville natale de l’auteur, pour Templeton), aïeul de Willie Upton et fils du fondateur de la ville, Marmaduke Temple.

Assaillie de souvenirs et dévorée de doutes, Willie doit faire face à une terrible affirmation de sa mère : elle n’est pas la fille d’une liaison hippie qu’elle aurait eue alors qu’elle pratiquait l’amour libre avec plusieurs partenaires, comme elle le lui a toujours affirmé. Non, Willie n’est pas née de père inconnu puisque Vi, sa mère, sait très bien qui est son père, un enfant de Templeton lui aussi, totalement ignorant de sa descendance. Et pour bien faire, ce père serait aussi un peu de sa famille, lointain rejeton d’une liaison illégitime. Voilà donc Willie Upton, vingt-huit ans, partie sur les traces de ses très nombreux ancêtres, des plus proches, ses grands-parents, jusqu’aux plus lointains, dont le célèbre près fondateur Marmaduke Temple et son fils écrivain.

Voilà encore un roman comme seuls les Américains savent les écrire : historiquement documenté, il mêle l’histoire personnelle de l’héroïne à la recherche d’elle-même à l’histoire de sa ville mais plus largement, aux fondements des États-Unis. Quoi de plus grandiose en effet que la brillante histoire des grands hommes qui à force de travail, de charisme, de force et de courage ont construit un pays fort et prospère. C’est ce que les petits Américains apprennent dans leurs livres d’Histoire, c’est ce que, devenus grands, ils sont fiers de croire et de faire croire : la foi, la vertu, la famille, le travail, autant de valeurs scintillantes que Lauren Groff éteint les unes après les autres en sondant les âmes et les reins de ses personnages.

Mais parce que le monde n’est pas blanc ou noir, elle n’en fait pas des personnages manichéens, parés de tous les vices ou de toutes les vertus. Ils sont avant tout humains, ce qui donne plus encore de réalisme à son propos. Elle réussit de plus à ne pas égarer son lecteur dans cette très nombreuse famille, en affichant l’arbre généalogique de Willie au fur et à mesure de l’avancée de ses recherches, mais surtout en donnant à chacun une voix bien particulière qui le rend unique et reconnaissable. Comme le monstre caché du lac de Templeton, les ancêtres pas très glorieux de Willie vont refaire surface, susciter maintes interrogations et obliger à regarder le passé avec un regard nouveau, moins idéaliste mais plus près de la vérité.

En enchevêtrant la trame historique à l’histoire tout à fait contemporaine de Willie Upton, Lauren Groff démontre à quel point l’histoire du pays trouve encore des résonances en chaque habitant. Chaque Américain est le fruit d’une histoire bien particulière qui le façonne et le marque d’un sceau unique. Et comme ce monstre inattendu, le passé peut ressurgir pour dévoiler au grand jour ce passé qu’on voudrait garder enfoui pour montrer aux touristes, c’est-à-dire au monde, la face sereine du pays.

Lauren Groff sur Tête de lecture

 

Les monstres de Templeton

Lauren Groff traduite de l’américain par Carine Chichereau
Seuil (Feux croisés), 2008
ISBN : 978-2-259-20743-0- 434 pages – 21,90 €

The Monster of Templeton, parution aux États-Unis : 2008

35 commentaires sur “Les monstres de Templeton de Lauren Groff

  1. Effectivement, vous êtes séduites !
    je vais être obligée de le noter !

    ça m’énerve, tous ces blogs sur les livres, cela me donne encore plus envie qu’une vitrine de librairie !!!

  2. je craignais ces monstres, mais je vais céder aux billets tentateurs, d’autant plus qu’il est à la bibli de S. (ainsi qu’une sorte de « suite » du même auteur)

  3. je l’avais repéré au salon du livre de Paris au printemps dernier… il faut que je me le procure !!!

  4. Depuis le temps que je l’ai noté chez Manu… je ne le perds pas de vue, et si mes bibliothèques voulaient bien se donner la peine de l’avoir, je l’aurais déjà lu ! 😉

  5. C’est vraiment une très belle lecture! C’était un de mes coups de cœur de l’an dernier! C’est vraiment un roman très dense et très enlevé à la fois comme je les aime!

  6. change de biblio !!!
    tu as de ces conseils!
    à la BM de mon village, des livres, mais rarement des nouveautés ou alors, les prix goncourt et autres, ou nouveautés 8 mois plus tard (tout petit budget), qq livres de la biblio du conseil général… je ne me plains pas… bibliothécaire très très sympa et BM gratuite !
    pareil à la biblio du village d’à côté (autre bibliothécaire très très sympa et aussi gratuite !)
    quant aux biblios de marseille… faut s’accrocher dur pour les nouveautés même si en plein d’exemplaires dans différentes biblios de la ville !!!
    (ex : « Purge » : un exemplaire en « préparation » pour être prêté, 8 autres en commandes d’achat et pas possibilité de réserver…)
    (et j’ai de la chance d’avoir lapossibilité de me rendre dans tant de biblios différentes… même si j’achète bcp de livres par ailleurs !)

    1. Ah la la, comme je la connais cette problématique : je m’occupe d’une médiathèque, on dit chez nous « tête de réseau », i.e. elle s’occupe d’un réseau de cinq points lecture on ne peut plus ruraux. Alors crois-moi, si dans les tiens tu trouves des bibliothécaires sympas et qui discutent, tu as de la chance parce que dans mon réseau, il n’y a que des mamies, pas toujours sympas, qui ne lisent QUE du terroir. Dans ma bib, je change les nouveautés romans tous les trimestres, en essayant de faire plaisir à tous, aussi aux mamies qui lisent du terroir… pas facile en cette rentrée littéraire de 700 romans d’en choisir 30 !

  7. Ah, je suis contente que ça t’ait plu! J’ai été agréablement surprise par le côté pas manichéen, en fait. Pas un grand chef d’oeuvre stylistique mais ça fait très bien « la job »!! J’aime beaucoup quand on même petite et moyenne histoire!

    1. Moi aussi j’aime bien le mélange Histoire et destins individuels, surtout quand c’est fait aussi intelligemment que dans ce livre et avec tant d’humour.

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