Méfiez-vous des enfants sages de Cécile Coulon

Méfiez-vous des enfants sagesOn a tous notre Amérique à nous, faite de films, de lectures, de musiques. Des grands espaces, de la poussière, des bus Greyhound et des buildings babeliens. Pour beaucoup de grands écrivains américains, ceux que j’affectionne en tout cas, l’Amérique c’est aussi le beau rêve qui se fracasse contre la frontière, la misère, le racisme et le vide de l’existence. Si la jeune Cécile Coulon situe son roman dans une ville de l’Amérique profonde, c’est certainement qu’à l’instar d’autres écrivains non américains, elle y trouve le matériau mythique et l’espace de légende où déployer le vaste mal être qui colle à la peau de la jeune Lua, narratrice des deuxième et troisième parties de ce roman.

La première partie se présente comme un puzzle, un ensemble de personnages dont on ne sait pas le nom pour la plupart, qui vivent, rêvent et se croisent sans que le lecteur comprenne ce qu’ils ont à voir entre eux. La première est une jeune fille qui part vivre son rêve d’adolescente à San Francisco ; le second un Suédois arrivé aux États-Unis à vingt-et-un ans ; le troisième Eddy, dessine des robots et vit une intense histoire d’amour avec une superbe femme à l’œil de verre. Leurs relations s’éclairciront dans la seconde partie, mais on comprend déjà qu’ils ont tenu leur rêve entre leurs mains et que la vie les leur a retirés.

Lua elle ressemble à une petite fille bien sage et pourtant, l’araignée monstrueuse que son père a laissé échapper dans la maison va hanter ses cauchemars au point de se loger dans son cerveau et d’alimenter les peurs les plus irrationnelles.

« Je pleurai de plus belle. Kerrie me laissa seule dans ma chambre, et dès qu’elle eut refermé la porte, j’eus l’impression de voir la mygale derrière chaque meuble. Je l’imaginais sous mon lit, en train de tisser, je la voyais grimper au plafond, avec ses immenses pattes de mère destructrice. Je pleurais, je bouffais mes doigts, me recroquevillant dans les coins. Si j’ouvrais un tiroir, j’avais immédiatement l’image de ce gros corps velu jaillissant d’entre les planches. Si je me couchais, je la voyais se glisser entre les draps, ses immenses pattes frôlant mes petites jambes blanches. Ma vie devint un véritable enfer.« 

Tout se détraque dès lors, ses petits deals d’enfant modèle ne sont plus de mise. Ceux qui pourraient lui servir de béquilles sont eux-mêmes des brisés de la vie, jeune prof ou voisin bourru, trop abimés pour durer. Elle compatit et souffre aussi, parce qu’elle n’a pas la carapace d’indifférence qu’il faut pour vivre heureux. « Si l’on veut vivre en paix, il faut faire comme si on ne savait pas toute la douleur que l’autre endure. C’est mieux comme ça.« 

Vingt ans, c’est jeune pour écrire un livre et pourtant, Cécile Coulon fait preuve d’une belle maturité de style et maîtrise très bien la construction narrative. On s’étonne moins qu’elle traduise avec réalisme les tourments adolescents. Son Amérique ressemble visuellement à celle de Edward Hopper, celle du quotidien des petites gens, un peu figée, assez mélancolique, très minimaliste dans la mise en scène. Le ton quant à lui est désabusé, parfois jusqu’au cynisme, empreint d’une grande tristesse et si révolte il y a, elle se dit sur un mode ironique, bien plus efficace que des cris. Il fait mal être dans l’Amérique de Cécile Coulon, c’est évident, elle l’écrit et le lecteur le sent.

Cécile Coulon sur Tête de lecture

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Méfiez-vous des enfants sages

Cécile Coulon
Viviane Hamy, 2010
ISBN : 978-2-87858-332-8 – 110 pages – 16 €

24 commentaires sur “Méfiez-vous des enfants sages de Cécile Coulon

    1. J’étais assez hésitante au départ, 20 ans, ça fait jeune pour écrire, et en plus un auteur français qui écrit un livre américain, ça ne me plait pas le plus souvent parce que c’est bourré de clichés. Et non, enfin pas vraiment, cette jeune femme utilise très bien les images qu’on a / qu’on se fait du pays et son propos est bien plus pertinent que je ne pensais. A découvrir donc, c’est son deuxième roman.

    1. C’est à vous qu’il faut souhaiter bonne continuation. Je suis certaine que la route que vous empruntez vous mènera loin car elle commence vraiment bien. Au plaisir de vous lire à nouveau.

    1. J’ai pu constater sur le net que le public clermontois la soutenait très largement. Si la demoiselle garde la tête froide, il doit être en effet très intéressant de la rencontrer.

  1. Méfiez-vous des enfants sages ? mais pas du père Noël nous promet de très bonnes et saines lectures pour 2011
    Amicalement et tout mes meilleurs voeux
    Oncle Paul

  2. Un billet qui donne envie de découvrir ce livre qui pourrait bien me plaire ! Et écrit par une toute jeune femme en plus ! J’espère que tu as passé de bonnes fêtes de Noël Ys !

    1. Je serais ravie que certains lecteurs choisissent ce livre grâce à moi : il est bien peu présent sur la blogosphère et c’est bien dommage. Quant aux fêtes de Noël, elles furent douillettes et casanières…. comme j’aime…

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