Purge de Sofi Oksanen

Purge de Sofi OksanenC’est parce que je n’ai entendu partout que des éloges de ce livre que j’ai décidé de le lire : les journalistes, la presse, la blogosphère, il fait l’unanimité, un livre estonien sur l’Union soviétique et ses lendemains qui déchantent, ça n’était pas gagné. Pas gagné non plus d’expliquer pourquoi je n’ai pas été aussi impressionnée par cette lecture que je m’y attendais.

La grande force de ce texte se situe dans les deux personnages féminins, une vieille femme, Aliide, qui en recueille une jeune, Zara, sans savoir que leur rencontre ne doit rien au hasard. La vieille est méfiante, les gens de son village ne l’aiment pas et lui font des misères ; la jeune est mal en point, traquée, en fuite. Mais ni l’une ni l’autre ne veut raconter son histoire, c’est donc sous la forme de flash-back que nous est dévoilé le passé de chacune.  Zara, on s’en doute très rapidement, est prostituée par deux sales types qui l’exploitent et entendent bien la récupérer ; Aliide, Estonienne de naissance a, aux yeux des habitants, trahi son pays en épousant un organisateur du Parti au temps de l’occupation soviétique.

Alors que j’aurais aimé en savoir plus sur la jeune femme, c’est sur Aliide qu’on va en apprendre beaucoup. Au centre de sa vie, l’amour qu’elle porte à Hans, le beau Hans, qui a épousé sa sœur Ingel, la belle Ingel à qui tout réussi alors qu’elle Aliide est insignifiante. Par amour pour cet homme devenu son beau-frère et qui a rejoint les nazis au temps de l’occupation allemande, elle sera capable de tout, surtout du pire.

Le roman porte certes une grande puissance dramatique de part son sujet et ses personnages. Ces deux générations de femmes montrent à quel point les femmes sont toujours victimes des hommes, de la guerre, de l’amour. Leur corps ne compte pas, il n’est qu’objet de plaisir, de souffrance, d’intimidation. Il n’y aura jamais nulle part de dignité pour les femmes tant que des hommes useront de la force pour obtenir ce qu’ils veulent.
Il construit également un certain suspens qui mêle secret de famille, amour caché, jalousie et dénonciations. Petit à petit, on comprend ce qu’a fait Aliide et qui est effectivement Zara.
Enfin l’auteur, mi-Estonienne, mi-Finlandaise sait de quoi elle parle et connaît très bien le sujet et l’époque qu’elle restitue avec simplicité (même s’il est quand même nécessaire de compulser l’historique des événements car l’histoire de l’Estonie n’est pas vraiment à notre programme scolaire… D’ailleurs quelques notes de bas de page du traducteur auraient été bienvenues pour expliciter certaines allusions).

Cependant, je n’ai pas trouvé dans ce livre la tension et la densité humaine qu’un tel sujet aurait mérité. Je pense que l’auteur perd en intensité à cause de descriptions très longues notamment du quotidien d’Aliide. J’aurais aimé en savoir plus sur les relations entre Aliide et son communiste de mari, plus que l’odeur de ses aisselles et de son haleine, sur leur vie dans le logement collectif par exemple. J’aurais surtout aimé mieux connaître Zara, dont le potentiel n’est pas exploité. N’est-elle finalement insuffisamment caractérisée et personnalisée que pour mieux représenter les filles de l’Est sexuellement exploitées à l’Ouest depuis la chute du mur ?

En choisissant de rester dans la description des faits, l’auteur tient le lecteur éloigné de ces deux femmes. On sait ce qu’elles ont fait, on ne sait pas ce qu’elles ont ressenti. Il n’y a aucune psychologie dans ce texte, tout est descriptif, les gestes du quotidien comme les actions du passé. On est dès lors pas loin du behaviorisme à l’américaine, qui privilégie les actes au détriment de l’intériorité.

Enfin, je ne trouve pas au style la puissance du propos. Non que ce texte soit mal écrit, loin de là, mais il n’a rien de remarquable pour autant. Des thèmes aussi forts que la jalousie, la culpabilité, la peur transparaissent dans les situations dramatiques, mais pas dans les mots qui les évoquent. Le style est assez plat, à la manière des dialogues entre ces deux femmes sur le qui-vive. Elles ne se disent rien l’une à l’autre, et les retours en arrière ne sont pour moi pas assez forts humainement pour les incarner lors de leur rencontre.

Alors oui les thèmes sont graves, oui l’Estonie est un pays opprimé qui mérite qu’on s’intéresse à lui, oui l’auteur à un look rock’n’roll tout à fait réjouissant, mais ça n’a pas suffi à emporter mon adhésion.

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Purge

Sofi Oksanen taduite du finnois par Sébastien Cagnoli
Stock (La Cosmopolite), 2010
ISBN : 978-2-234-06240-5 – 399 pages – 21,50 €

Puhdistus, parution en Finlande : 2008

88 commentaires sur “Purge de Sofi Oksanen

  1. Eh non il ne fait pas l’unanimité !
    Chez nous aussi on est resté un peu perplexe, et quelques lecteurs sont venus nous dire qu’ils n’avaient pas raffolé.
    C’est un livre de caractère semble-t-il, mais comme tout ce qui a du caractère, il y a des opposants

    Belle analyse, quoi qu’il en soit !

    1. Merci pour l’ajout à Google-reader
      J’ai ajouté moi aussi dans mes favoris.
      Je mettrai un lien sur mon site, mais je suis en train de faire des changements (nouveau design) alors je vais attendre un peu pour ne pas faire 2 x la même chose

  2. ça me rassure qu’il ne fasse pas l’unanimité, je n’ai pas eu envie de le lire jusqu’ici et quand je le ferai, ce sera avec moins d’attentes…

  3. Je le lirai mais quand il sera moins sur les blogs, car sinon les attentes sont trop hautes et cela m’a donné pas mal de déceptions ces derniers temps. Mais cela dit, ce que tu dis me fait croire que je devrais plutôt aimer. Car je ne suis pas fan de l’intériorité et du déballage de ressenti. Cela dit, toi non plus. Donc si tu dis que ça manque vraiment, ça doit être le cas. On verra le jour où je me déciderai à le lire.

    1. Moi aussi, à force de voir un livre que j’ai envie de lire au départ trop présent sur les blogs, ça m’ôte l’envie, il faut attendre que tout ça se calme un peu, comme si je n’en savais plus rien…

  4. J’ai vraiment ressenti une tension à la lecture. Mais, comme il est dit dans les autres commentaires, quand on lit beaucoup de billets souvent élogieux sur un livre, on en attend quelque chose d’autre ou supllémentaire et résultat, on ne le trouve pas…

  5. je ne savais pas que ce fut une pièce de théâtre à l’origine.

    le problème avec un livre dont tout le monde parle, c’est qu’on s’attend à qq ch de grandiose et l’on est souvent déçu, à cause de cela justement !

    bon dimanche

  6. Je l’ai acheté le jour de sa sortie et lu dans la foulée, je n’avais donc encore presque rien entendu sur lui, ce qui est un avantage. Je n’ai pas été gênée comme toi par le manque d’intériorité, j’ai trouvé les faits suffisamment forts par eux-mêmes et j’ai été embarquée dans l’histoire sans quasiment respirer.

  7. La lecture est vraiment un phénomène fascinant.

    Les attentes, nos perceptions, le degré de fidélité à l’auteur, la personne qui nous le recommande, le temps de l’année où nous le lisons, nos propres émotions, la fatigue, la lecture « tout d’une traite », le temps qu’il fait (à l’extérieur et dans notre tête !); voilà tous les éléments qui influencent notre appréciation.

    Ah oui, j’oubliais … l’histoire, le style, la page couverture, les promesses de la 4e de couverture …!

    Et vive les blogues et les critiques littéraires qui nous permettent de partager, d’exprimer nos accords et désaccords …

    Et finalement, moi, j’ai adoré « Purge » !!!!

    Joyeuses Fêtes !!

    1. Tu listes exactement tous les éléments qui rendent la perception d’un livre si aléatoire d’un individu à l’autre et même d’un même individu selon les époques. Un livre qui a enchanté nos vingts ans de parisien révolutionnaire pourra faire périr d’ennui nos quarante ans de fonctionnaire campagnard 🙂 Le livre pourtant n’aura pas changé… le vrai grand livre n’est-il pas celui où des gens extrêmement différents à des époques les plus diverses sauront se retrouver, y trouveront de l’intérêt ou sauront en être émus ? Vaste question…

  8. Tout comme toi j’en ai entendu beaucoup d’éloge aussi bien sur le net que dans des emissions tel le masque et la plume et je dois dire que j’en attend beaucoup. Ton avis me ferra le lire sans en attendre un chef-d’œuvre.

  9. même si j’ai beaucoup aimé, je l’ai trouvé assez dur à lire, dans le sens où il y a des non-dits et de longues descriptions.
    par contre, je n’ai pas été désappointé comme toi sur les sentiments pas explicités dans ce texte : pour moi, ils transparaissaient au fil du récit par leurs attitudes, notamment celles qu’elles avaient au moment où elles étaient toutes les deux réunies. je trouve que c’est une force du récit d’avoir réussi à transmettre des sentiments uniquement par des attitudes, mais peut-être que tout le monde ne peut les voir à travers les attitudes. dans ce cas, oui, on peut dire que l’auteur a « raté » quelque chose.
    et j’ai trouvé ce livre mieux réussi que la plupart des livres de la sélection goncourt, pourtant très salués par la presse eux aussi (je sais, la litté étrangère est bien meilleure aujourd’hui que la production française, mais quand même 😉 )

    1. En règle général, j’aime l’exubérance, le caractère latin des personnages qui explosent… c’est pourquoi j’ai tant de mal avec la littérature (et le cinéma) asiatique : les non-dits, le renfermé, la rumination… j’ai du mal. Mais j’apprécie aussi la finesse d’une analyse psychologique tout en nuance, en révélations successivement amenées pour éclairer un personnage. Mais ici, je n’ai rien trouvé de tout ça, et je crois que c’est ce qui manque à ce roman, une certaine intériorité qu’à mes yeux de seuls actes ne peuvent suffire à traduire.

  10. L’unanimité est généralement suspecte. Ce n’est pas tant le fait que ton avis soit mitigé plutôt que les arguments que tu avances pour expliquer ta déception qui douchent mes envies de découvrir ce roman.
    A garder dans un coin de la LAL pour le découvrir, l’esprit à nouveau « vierge », d’ici plusieurs mois, sans doute…

  11. J’ai aussi ce livre dans ma PAL, mais comme tous les livres dont on entend trop parler en « super génial méga-bien », j’ai peur d’être déçue au final. Ce que tu dis ne m’étonne pas tant que ça. Affaire à suivre… 😉

  12. je crois que je comprends ta déception, même si je fais partie de l’unanimité ! (ceci dit, j’ai moi aussi quelques clients qui n’ont pas aimé du tout! et qui, contrairement à toi, n’ont même pas trouvé d’intérêt à la vie de ces deux femmes et à l’histoire du pays)

    1. J’ai lu ta devinette du jour : quelle blague ! J’ai les mêmes à la bib, des gens qui ont entendu parler, ou vu à la télé un bouquin dont l’animateur parlait si bien qu’ils ont envie de le lire… la couverture est bleue… enfin y’a du bleu dedans… et l’auteur est un homme… enfin je crois… 🙂

  13. J’ai beaucoup aimé cette lecture, j’ai été prise même si je lui reconnais des défauts. le challenge serait de trouver LE roman qui fait l’unanimité. Y en a t-il un sur cette terre ? je ne pense pas !

  14. Plus les avis sont mitigés, plus j’ai le goût de le lire. Par contre, j’attendrai la sortie en poche. Mon porte-monnaie préfère et en plus, ça me donnera le temps de décanter tout ces avis.

    1. Je l’espère aussi. Moi aussi, à force de lire et d’entendre tant d’avis positifs, j’ai eu envie de le découvrir… bonne curiosité qui permet de se faire un avis sur ce qu’il faut bien appeler le petit phénomène de la rentrée littéraire.

  15. Je suis en pleine lecture (p. 260 exactement) et je ressens exactement la même chose que toi. Je pensais être emportée, soufflée par la narration et finalement la description matérielle des choses, d’Aliide me laisse de marbre.
    On verra d’ici la fin si cela change !

  16. Tout comme toi, je préfère en général des personnages plus humains et à la psychologie plus travaillée. Pourtant dans Purge, cette froideur vis à vis des personnages ne m’a pas choquée car il me semble que cette démarche est volontaire. Dans un processus de guerre, de peur, de méfiance et de violence permanence, les gens se retrouvent souvent déshumanisés. La barbarie entraîne hélas la perte de la dignité et de la subtilité de l’être humain.

    1. Oui bien sûr, je suis d’accord. Mais je ne m’ôte pas de l’esprit qu’il doit être bien compliquée pour une jeune femme de se mettre dans la peau de personnages aussi complexes, au vécu aussi difficile pour leur donner une ampleur qui oblige à l’empathie, ou au refus, au moins à une réaction…

  17. Tiens tiens, c’est le premier avis plutôt négatif que je rencontre. Je ne t’ai pas lue en entier, je reviendrai par là quand j’aurais lu Purge qui m’attend sagement dans ma pile.

  18. La première fois que j’ai entendu parler de ce roman c’était en juin dernier (véridique) alors que le roman n’était même pas encore sorti. Et depuis, j’ai tellement vu de billets que j’ai soigneusement éviter de le prendre lors de mes passages en librairies (réaction assez classique chez moi dès que j’entends trop parler d’un livre). Je pensais le lire peut-être dans quelques années, une fois l’ébullition retombée. Et puis, comme In Cold Blog, en lisant ton billet et les arguments que tu avances, je me demande si finalement je le lirai un jour…

    1. Il semblerait qu’entendre trop parler d’un livre dans les médias, blogs compris, ne soit pas un atout finalement… étrange… parce que si on ne parle de certains livres, si on ne les médiatise pas, on ne les lira jamais. Il doit y avoir un juste milieu entre trop et trop peu… Je ne suis pas mécontente d’avoir lu celui-là, qui me semblait échapper au produit marketing. Et il y échappe en effet, il est vraiment différent de ce qu’on lit d’habitude aujourd’hui, même s’il ne m’a pas convaincue.

  19. Même si tu as des bémols et bien moi j’ai beaucoup aimé ton billet 🙂
    Très complet, très clair, etc… J’aime tes chroniques Madame Ys même si je n’ai pas toujours le temps de passer en temps et en heure et d’y laisser des commentaires réguliers…
    C’était le petit mot gentil de Noyel et de la future nouvelle année ^^

  20. Comme je suis contente de voir que toi aussi ce livre ne t’a pas emballé ! ! Je l’ai lu il y a un ou deux mois et j’en ai fait une critique qui a étonné plus d’un dans le sens où je disais avoir ressenti un manque de profondeur et de contexte historique pour un pays que nous ne connaissons pas. Merci Yspaddaden, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ta critique ! Et surtout je ne suis pas seule ! ^^

  21. Je regarde ce livre avec perplexité depuis sa sortie.
    J’étais sûre que tu confirmerais que j’avais raison d’être perplexe ! 😉
    Bonne année Ys !

  22. Ton avis est moins enthousiaste que les autres et il me donne d’autant plus envie de lire ce roman, afin de me faire ma propre idée. Ca tombe bien, je viens de me l’offrir !

  23. J’ai lu « Purge » pendant mes vacances et je dois dire que je n’ai pas non plus trouvé que c’était un chef-d’oeuvre. j’ai beaucoup aimé les deux personnages féminins et la construction également qui alterne les différentes époques. Je ne savais pas trop pourquoi je n’avais été plus touchée mais je crois que tu m’as donné la raison, il n’y a pas de psychologie dans le texte et c’est sans doute ce qui m’a manqué.

    1. J’ai beaucoup de mal avec des personnages froids comme ceux-là, je trouve que même si leur histoire leur donne de la chair, l’intériorité est indispensable pour qu’ils m’intéressent et peut-être me touchent.

  24. Alors, finalement, il ne fait pas l’unanimité ?!
    Peut-être que tu en as entendu trop parlé, que tu as lu trop de choses sur ce roman, et quand on se fait une montagne d’un livre on est parfois un peu déçu en le lisant, dommage…
    Quand même, bonne année 2011, pleine de belles lectures et découvertes !

    1. Merci beaucoup et bonne année à toi aussi. Peut-être que quand on a envie de lire un livre, il faudrait ne pas en entendre trop parler, alors ne pas bloguer… difficile…

  25. Je l’ai trouvé hier chez le bouquiniste. Je vais enfin pouvoir me faire mon avis. C’est vrai que pour l’instant je n’ai quasi que des avis positifs. Je n’ai lu ta chronique qu’en diagonale, pour ne pas me faire trop influencer dans ma lecture…

  26. Je n’ai pas été emballé ce roman, qui m’a semblé froid et ennuyeux, et que j’ai assez vite abandonné. Si c’est ça, le chef d’oeuvre de la rentrée littéraire…

    1. Je ne sais pas s’il a été qualifié de chef d’oeuvre, mais disons qu’il a fait du bruit, surtout parce que les thèmes sont forts, originaux et que l’auteur est jeune et rock’n’roll. Après, on aime ou pas l’écriture…

  27. Merci Ys pour cet avis divergent mais tout aussi intéressant (et peut-être plus) que l’ensemble des billets qui encensaient ce roman de la rentrée littéraire … Tu m’as donné une autre vision de ce roman que j’ai toujours envie de lire ! Il a fait beaucoup de bruit à sa sortie, trop sans doute, et cela m’a un peu effrayée ! Je le lirai lorsqu’il sortira en poche et qu’il aura été un peu mis de côté. Dans tous les cas, c’est surtout l’histoire de l’Estonie qui m’intéresse au travers du passé de ces deux femmes.

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