Le vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda

Le-vieux-qui-lisait-des-romans-d-amourPanique au village : une pirogue rapporte le corps sans vie d’un homme blanc, au visage lacéré. Le maire, alcoolique et incompétent, accuse les quelques Shuars qui se trouvent là, les indigènes étant sa cible préférée. Mais le vieux Antonio José Bolivar Proaño qui connait bien la forêt et ses habitants, humains et animaux, comprend que c’est une femelle ocelot qui a attaqué le Blanc par vengeance. Sa perspicacité vaut au vieil homme d’être enrôlé dans la chasse à l’ocelot en compagnie du maire, surnommé la Limace, et de quatre hommes du village. Et d’un peu plus d’un million de lecteurs, rien que pour la France. Car Sepúlveda, qui dispose pourtant du même nombre de mots que tous les écrivains, parvient avec un grand pouvoir d’évocation à transporter son lecteur en forêt amazonienne au point d’entendre couiner les ouistitis et de serrer furieusement les dents au seul nom de Rubincondo Loachamin.

Le vieux qui lisait des romans d’amour a bien des qualités, l’une des moindres étant d’avoir fait connaître cet auteur chilien en Europe. Il vivait alors en exil en Allemagne, mais son propos n’était pourtant pas directement politique (ni récit de prison, ni dénonciation du régime de Pinochet, ça viendra plus tard, dans une série de chroniques reprises dans La folie de Pinochet) :  à travers le personnage du maire obèse et borné, ce sont tous les gouvernants ignares qui sont visés. Luis Sepúlveda attirait notre attention il y a vingt ans sur l’état de la forêt amazonienne et le statut précaire de ses habitants primitifs. Sujets qu’il connaissait bien pour avoir partagé pendant un an la vie d’une tribu shuar.

Il y avait de quoi s’indigner ou verser dans le pamphlet,  mais Sepúlveda choisit un romanesque entre humour et tendresse. On l’aime d’emblée le vieil Antonio à l’incroyable esprit de déduction. A l’action il préfère la littérature, à la lutte, les souvenirs. Le roman n’échappe dès lors pas au manichéisme, il s’y complait même avec ses Blancs cupides et idiots face aux bons indigènes qui vivent au rythme de la forêt. Antonio fait figure de vieux sage, il a assimilé la sagesse et le mode de vie des Shuars. Les portraits sont poussés jusqu’à la caricature et permettent, par exemple, de se moquer du maire de bon coeur et en toute bonne conscience. Le roman prend dès lors des allures de fable, dans le registre de l’Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, autre texte court qui valut à son auteur une notoriété mondiale. Des textes certes charmants, agréables à lire, je crois qu’on dit attachants, mais dont la force est édulcorée par la fable.

Le vieux qui lisait des romans d’amour

Luis Sepúlveda traduit de l’espagnol par François Maspero
Seuil (Points n°P70), 1995
ISBN : 2-02-023930-2 – 120 pages

Un viejo que leía novelas de amor, première édition : 1992

61 commentaires sur “Le vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda

  1. Je l’ai lu à sa sortie et au final je n’avais pas beaucoup aimé. Il faut dire qu’à l’époque le tam-tam médiatique était assourdissant, sans doute trop pour le résultat.

    1. La publicité autour des livres les dessert parfois car on en attend beaucoup. C’est étrange, je ne me souviens pas du tapage fait autour de celui-là, j’étais pourtant en fac d’espagnol à l’époque, en plein dans la littérature sud américaine qui me plaisait beaucoup. Mais il est vrai que je n’avais d’yeux que pour Vargas Llosa et Garcia Marquez, j’étais un peu obnubilée…

  2. Evidemment, j’ai adoré. Le propos, l’atmosphère, la fable certes, mais aussi l’humour et la poésie. J’aime beaucoup la plume de Sepulveda. Pour éviter le charmant et l’édulcoré, tu pourrais peut-être lire Les roses d’Atacama, un beau recueil de textes engagés ( que j’ai présenté il y a peu, c’est dire si j’ai aimé -).

    1. Moi aussi j’aime bien l’histoire du chat et de la mouette, ainsi que son adaptation en dessin animé. C’est juste que c’est plus un conte pour les enfants, mais il me plait pour ce qu’il est.

  3. celui là fera partie de ceux pour lesquels nous sommes d »accord 😉 Je l’ai lu il y a 5 ou 6 ans, j’avais adoré mais j’avoue n’en avoir que très peu de souvenirs… tu me donnes bien envie de le relire !

    1. Ce n’est peut-être pas tant l’histoire qui me restera à l’esprit que l’évocation de la forêt et de ce vieux sage qui a appris la nature et les hommes, une philosophie de vie en somme, auprès d’un peuple si frustre et si simple.

  4. Je ne suis pas fanatique de Sépulveda même si comme tu le dis c’est assez sympathique, par contre l’histoire d’une mouette a fait un tabac auprès de mes petits enfants surtout que le livre est accompagné d’un CD audio qui permet après la lecture par mamie de réécouter l’histoire aussi souvent que l’on veut !

    1. je comprends la formule « encore un auteur »… il y a en beaucoup dont on se dit qu’on les suivra, ou qu’on lira les précédents, et voilà, le temps passe…. on lit, on lit, mais jamais assez pour rassasier nos envies…

  5. Lu et aimé, même s’il ne m’en reste rien..; Oui, je sais… On retrouve certains personnages dans un autre recueil de nouvelles, d’ailleurs, aimé aussi. Je précise que j’ai lu tout cela bien après le tam tam médiatique.

  6. Je suis comme Kathel, j’ai le souvenir d’une lecture agréable, quelques images de ce vieil homme encore en tête mais je serais bien incapable de parler convenablement de ce roman :/
    J’ai encore dans ma PAL « Journal d’un tueur sentimental », l’as-tu lu?

  7. Je partage un peu ton avis sur la force du propos altérée par l’humour et la fable. Il reste néanmoins que l’auteur raconte magnifiquement son histoire et qu’on s’attache à ses personnages. Du même Sepulveda, j’ai beaucoup aimé (plus que Le vieux…) L’ombre de ce que nous avons été.

  8. Je vais commencer la lecture de ce livre aujourd’hui normalement car avec d’autres blogueuses nous l’avons programmé en lecture commune pour le 20 février ; il faut donc que je m’y mette mais ton bémol me fait un peu freiner des deux pieds. Mais bon, qui vivra, verra comme on dit…

  9. On l’a lu ensemble à quelques jours près ! Je m’attendais a beaucoup plus l’aimé. J’ai un avis assez difficile a exprimer en fait envers ce roman !

  10. Je n’ai lu que ton dernier paragraphe car ce livre est dans ma PAL depuis un bon moment. Je suis quasi certaine qu’il me plaira mais je n’ai pas encore trouvé le temps de l’ouvrir..
    En tout cas c’est toujours aussi agréable de lire tes articles toujours pertinents.

  11. Je viens juste de finir de le lire. J’ai beaucoup aimé, il est entraînant une fois que l’on a commencé on n’a pas envie de lâcher. Ce vieil homme m’a apporté beaucoup de tendresse.
    Je suis allée vers cet auteur suite à une émission que j’ai vu et qui m’a donné envie d’aller plus loin.
    Je ne sais pas ce que je vais en retenir, mais je suis sûre qu’il ne me laissera pas « indemne »
    Bonne journée

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